Le quatrième pouvoir : une influence à recouvrir

La presse est à la fois une force de déstabilisation du pouvoir en place et un moyen de légitimer, de renforcer, d’asseoir ce même pouvoir. On a souhaité émanciper la presse du pouvoir politique et des « puissances d’argents » pour reprendre les mots de De Gaulle au sortir de la libération de 1945. Seulement, depuis une quarantaine d’années et surtout depuis le tournant libéral de 1983 de Mitterrand et de son 1er ministre Pierre Mauroy, le secteur privé n’a fait que gagner du terrain sur le secteur public. L’économie s’est financiarisée, les frontières se sont ouvertes, les plus grandes cotations boursières ont pris une ampleur sans précédent. Ce contexte de privatisation de l’économie a mené de nombreuses entreprises à acquérir des titres de presses, des radios et des chaînes de télévisions en tous genres. A tel point qu’aujourd’hui il n’existe aucune chaîne de télévision ou de radio nationale complétement indépendante. Pour la presse écrite on assiste à une concentration vertigineuse ; 7 milliardaires contrôlent près de 95% de la production journalistique française. Et ce avec des répercussions sur la pluralité de l’information, sur son exhaustivité, son objectivité. Ce dossier a pour objectif de voir dans quelles mesures, la liberté de la presse est partie intégrante d’une démocratie saine puis comment l’information se retrouve modifiée, biaisée par les pressions économiques et politiques et enfin quelles sont les  solutions qui permettraient d’assurer la reconquête du 4è pouvoir.

I. Origine et idéologie

  • L’origine du terme remonte à Edmund Burke qui l’a utilisé dans le cadre d’un débat parlementaire sur le développement de la presse devant la chambre des Communes de Grande-Bretagne  en 1787.
  • En France, Balzac affirme en 1840 que « La presse est en France un quatrième pouvoir dans l’État : elle attaque tout et personne ne l’attaque. »
  • François Mitterrand a déclaré dans une Lettre aux Français : « Montesquieu pourrait se réjouir qu’un quatrième pouvoir ait rejoint les trois autres et donné à sa théorie de la séparation des pouvoirs l’ultime hommage de notre siècle. »

déclaration des droits de l'homme et du citoyen

Le quatrième pouvoir vient s’ajouter aux pouvoirs d’une république démocratique : l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Il suit le principe fondamental de la démocratie incarné par l’art.2 de la Constitution  » le gouvernement du peuple pour le peuple et par le peuple  » (expression d’Abraham Lincoln).

Hommage gravé dans le marbre dans la Constitution de la 5ème République. En son article 34 : « la loi fixe les règles concernant : les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ; la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias  … »

=> La mémoire des excès et des coup d’éclats des médias est aussi une leçon de démocratie, c’est ce que nous allons voir en détail par la suite.

Évolution de la notion au cours du 20è siècle

Depuis le 20e siècle, les médias sont au cœur de mutations et controverses. D’un côté, la presse semblent progressivement perdre ses qualités démocratiques : bourrage de crâne au cours des guerres, manque d’indépendance et de pluralité de vues, maccarthysme aux EU, développement de la “gutter press” …

D’un autre côté, on se rend compte que la personnalisation du pouvoir des présidents De Gaulle et J. Kennedy est affaibli par la presse. La presse critique le pouvoir en place notamment lors de la guerre du Vietnam ou suite au Watergate.

Les médias du 20e siècle sont modelés par des circonstances politiques et économiques qu’ils subissent ou sur lesquelles ils agissent.

C’est aussi au cours du 20e siècle qu’a été instaurée La Journée mondiale de la liberté de la presse. Elle a été créée en décembre 1993 par  l’ONU, suite au séminaire pour le développement d’une presse africaine indépendante et pluraliste à Windhoek en Namibie (1991). Ce séminaire a conduit à l’adoption le 3 mai 1991 de la Déclaration de Windhoek pour la promotion de médias indépendants et pluralistes.

Dans la charte d’éthique des journalistes, on peut lire “renforcer les valeurs démocratiques”

Quand la presse impose son pouvoir …

  • L’affaire du Watergate ou comment la presse a fait tomber un président américain

En 1974, un scandale éclate aux EU : le président Nixon aurait placé des micro au Watergate à Washington : siège démocrate. Ce sont les journalistes Bob Woodword et Carl Berstein qui font cette découverte en enquêtant sur une étrange affaire de vol. Ils gagneront le prix Pullitzer pour leur travail.

Un ancien chercheur de la NASA explique dans le Huffingtion Post, pourquoi cette affaire est la preuve que le système démocratique américain fonctionne. Bien que le système ait permit à Nixon d’avoir un service d’écoute pour espionner ses ennemis, il a aussi permi aux journalistes de découvrir le pot aux roses et de le révéler. Ce qui a conduit à la démission d’un président sans qu’une seule goutte de sang soit versée. Les  journalistes ont travaillé de pair avec la justice. La presse s’affirme ainsi comme indispensable à l’équilibre des pouvoirs et empêche les dérives dictatoriales en alertant l’opinion publique.

http://www.ina.fr/video/I12150249/affaire-watergate-la-demission-de-richard-nixon-video.html

1:17 : « Les trois pouvoirs: le judiciaire, l’executif et la presse vont aller jusqu’au bout. »

  • Affaire Cahuzac : l’ex ministre du budget fraude le fisc.

C’est ce que découvre Fabrice Arfi, journaliste à Médiapart et instigateur de l’affaire Sarkozy-Kadhafi. Tout part d’un enregistrement audio laissé par erreur sur la boîte vocale de son ex-opposant local, Michel Gonelle. Un enregistrement qui avait été confié au fisc dès 2001. Pourtant quand Gonelle demande les avancées de l’affaire,  il apprend  que «la communication du dossier est refusée». Il raconte, je cite : «L’explication qui m’a été donnée est qu’il existe une procédure particulière pour les hommes politiques, les footballeurs et les responsables de l’administration fiscale». L’ex-maire RPR (puis UMP) opposant de Jérôme Cahuzac explique avoir tenté d’entrer en contact avec l’Élysée après les révélations de Mediapart, le 4 décembre 2012. Il a cherché à joindre le préfet Alain Zabulon, membre du cabinet présidentiel qu’il connaissait. Sans succès. C’est par un article publié sur lemonde.fr que, selon ses dires, Michel Gonnelle apprend que la présidence l’engage à se tourner vers la justice. «J’ai pensé qu’une porte se fermait et j’en ai été extrêmement déçu.», a-t-il dit au près de la commission d’enquête sur l’action du gouvernement. On comprends que le gouvernement ne se battra pas pour qu’éclate la vérité, comme l’a fait Fabrice Arfi.

Le journaliste se retrouve avec, entre les mains, une révélation potentiellement explosive. Mais pour lui il n’est pas question d’agir sans enquêter en profondeur ni sans convictions. Comme il l’explique dans son livre L’affaire Cahuzac, à Médiapart on ne fait pas dans l’acharnement contre les politiques. Pour lui, tout l’intérêt de l’affaire est dans son sens plus large : c’est ce qu’elle dit sur un gouvernement et aussi sur notre démocratie.

extrait : https://www.youtube.com/watch?v=N90sLEiOkfA -> 1m 30

Arfi ajoute que les journalistes doivent être “ des chiens de garde “. Ce sont eux qui poussent la démocratie à évoluer et à se perfectionner au moyen d’une adaptation  perpétuelle.

  • Panama Papers : ou la corruption de la démocratie

Révélation internationale de scandales de fraudes fiscales implicant pas moins de 11.5 millions de documents confidentiels. Ces documents proviennent du cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca. Ils détaillent des informations sur plus de 214 000 sociétés offshore ainsi que les noms des actionnaires de ces sociétés. Parmi eux se trouvent des hommes politiques, des milliardaires, des sportifs de haut niveau ou des célébrités partout dans le monde. Les têtes d’Etats sont en mis en cause dans plus de 40 pays. Les informations ont été envoyées par un lanceur d’alerte anonyme connu sous le pseudonyme de John Doe. Elles ont d’abord été donné au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung en 2015. Rapidement, ces fichiers ont été partagés avec les rédactions de média dans plus de 80 pays par l’intermédiaire de l’International Consortium of Investigative Journalists (ICIJ), une association de journalisme d’investigation international. Le scandale est rendu publique simultanément par plusieurs journaux dans le monde le 3 avril 2016.

Entre autres chef d’état, le nom de David Cameron est cité : https://www.youtube.com/watch?v=vUCXoEr1KS0

(voir jusqu’à 1:25)

Résultat ? Rien qu’en France 560 contrôles fiscaux sont lancés sur la base de ces fameux Panama Papers.

Le problème soulevé ? Celui de l’opacité des systèmes qui contrôlent les états…

II- Le pouvoir politique et économique prend le contrôle de la presse

Le 20ème siècle a marqué l’intensification de l’utilisation de la presse pour faire accepter des guerres à des peuples qui n’en veulent pas. Cela est le résultat à la fois de la pression économique et politique, prenons un exemple.

– Affaire du Maddox et la guerre du Vietnam : 4 aout 1964 les médias déclarent que le « Maddox » un navire américain est attaqué par le Nord Vietnam Communiste. Lyndon Johnson déclarera que c’est « une attaque délibérée qui n’a pas été provoquée ». Le président obtiendra les pleins pouvoirs pour faire échec au communiste et au nom de la défense du sud Vietnam.

Le problème c’est qu’un rapport viendra prouver quelques mois plus tard que cette attaque n’a jamais existé. Que c’était un prétexte pour engager cette guerre pour laquelle l’opinion générale était globalement opposée. Pour cela il fallait provoquer un incident, quitte à l’inventer, pour indigner et faire adhérer plus facilement un peuple à une guerre qui ne serait pas accepté en temps normal.

Il en sera de même en 2003 avec le général Powell qui apporte une soi-disant preuve d’armes de destructions massives en Irak lors du conseil de sécurité de l’ONU. Le tout pour rentrer en guerre avec eux. Cette preuve était comme chacun de nous le sait, montée de toute pièce.

Le problème dans ces affaires c’est que le pouvoir politique, l’industrie de la presse et l’industrie militaire ont souvent des intérêts convergents. Les propriétaires des journaux étant fréquemment aussi des acteurs de l’économie de l’armement ou en tout cas fréquentant des cercles communs.

Evidemment il serait un peu simpliste de taper sur les doigts de l’appareil médiatique quand il n’a fait que relayer une information émanant de la plus haute sphère du pouvoir et qui s’est montrée fausse. Mais considérant que cet appareil est la main droite du pouvoir économique, la puissance de l’industrie militaire mais aussi du bâtiment qui évolue dans un milieu commun avec la presse : L’ambiance rédactionnelle de cette dernière est au « va-t-en-guerre », aux analyses simplificatrices, binaires et manichéennes.

 -> Le vocabulaire employé n’est jamais neutre.

En plus de ça, une analyse du lexique employé par le milieu journalistique pour couvrir une guerre à une importance cruciale dans la réception du message auprès de la population. La presse utilise aussi le vocabulaire, le lexique pour obtenir le consentement du peuple. J’ouvre une rapide parenthèse qui me semble très parlante.

Prenons les mots « frappe » et « intervention ». Ils sont modernes : celui de « bombardement », démodé, est impopulaire. Un sondage réalisé les 26 et 27 mars 1999 par le CSA pour le Parisien a ainsi affirmé qu’une majorité relative de Français (46% contre 40%) désapprouvait à l’époque les « bombardements aériens des forces de l’OTAN contre la Serbie ». Cependant, le lendemain, une nouvelle enquête d’opinion Ipsos, prétendait qu’une majorité absolue de Français (57% contre 30%) approuvait « l’intervention militaire de l’OTAN en Yougoslavie » (voir L’opinion ça se travaille p-27).

Lorsque le milieu politique, le milieu de l’information et le milieu économique ont des intérêts communs pour l’entrée d’un pays comme les États-Unis dans une guerre. Il devient alors aisé de manipuler, en tordant la perception de la réalité, d’un peuple pour obtenir son adhésion à un conflit.

Voilà comment l’économie et la politique utilise la presse comme un relai à leurs intérêts.

« Depuis une trentaine d’années, à mesure que s’accélère la mondialisation libérale, ce «  quatrième pouvoir » a été vidé de son sens, il a perdu peu à peu sa fonction essentielle de contre-pouvoir. Cette choquante évidence s’impose en étudiant le fonctionnement de la globalisation, en observant comment un nouveau type de capitalisme a pris son essor, non plus simplement industriel mais surtout financier, bref un capitalisme de la spéculation. En cette phase de la mondialisation, nous assistons à un brutal affrontement entre le marché et l’Etat, le secteur privé et les services publics, l’individu et la société, l’intime et le collectif, l’égoïsme et la solidarité.  Le premier terme enchainant les victoires sur le second.

Comment la presse perd-t-elle peu à peu sa fonction de contre-pouvoir ?

Les moyens de communication de masse (stations de radio, presse écrite, chaînes de télévision, Internet) se regroupent de plus en plus au sein d’architectures foisonnantes pour constituer des groupes médiatiques à vocation mondiale. Des entreprises géantes comme SFR, Viacom, Google, Warner, General Electric, Microsoft, Telefónica, RTL Group, Orange, etc., ont eu de nouvelles possibilités d’expansion en raison des bouleversements technologiques. La « révolution numérique » a brisé les frontières qui séparaient auparavant les trois formes traditionnelles de la communication : son, écrit, image. Elle a permis l’apparition et l’essor d’Internet, qui représente un quatrième mode pour communiquer, une nouvelle façon de s’exprimer, de s’informer, de se distraire.

Ces trois sphères, avant si différentes, se sont peu à peu imbriquées pour constituer une seule et unique sphère au sein de laquelle il devient de plus en plus difficile de distinguer les activités relevant de la culture de masse, de la communication ou de l’information.

En d’autres termes, les groupes médiatiques possèdent désormais deux caractéristiques nouvelles : premièrement, ils s’occupent de tout ce qui relève de l’écrit, de tout ce qui relève de l’image, de tout ce qui relève du son, et diffusent cela au moyen des canaux les plus divers (presse écrite, radios, câble, via Internet et par toutes sortes de réseaux numériques). Seconde caractéristique : ces groupes sont mondiaux, planétaires, globaux, et pas seulement nationaux ou locaux.

En 1940, dans un célèbre film, Orson Welles s’en prenait au « super-pouvoir » de « Citizen Kane » (en réalité, le magnat de la presse américain de l’époque William Hearst). Pourtant, comparé à celui des grands groupes mondiaux d’aujourd’hui, le pouvoir de Kane était presque insignifiant.

Ignacio Ramonet directeur de l’édition espagnol du Monde Diplomatique et créateur du réseau ATTAC se lance dans une comparaison très parlante entre la presse et l’alimentation.

« Il se produit dans le domaine de la presse ce qui s’est passé avec l’alimentation. Pendant très longtemps, la nourriture a été rare, et elle l’est toujours dans de nombreux endroits du monde. Mais lorsque les campagnes commencèrent à produire en surabondance, en particulier dans les pays d’Europe de l’Ouest ou d’Amérique du Nord, grâce aux révolutions agricoles, on s’aperçut que de nombreux aliments étaient contaminés, empoisonnés par des pesticides, qu’ils provoquaient des maladies, causaient des infections, entraînaient des cancers et toutes sortes de problèmes de santé, allant jusqu’à produire des paniques de masse comme la peste de la « vache folle ». Bref, avant on pouvait mourir de faim, maintenant on peut mourir pour avoir mangé des aliments contaminés… »

La presse comme support de communication

Étant donné que de nombreux groupes industriels, de télécommunication, de l’automobile, de l’armement, du luxe et autres ont avalés de nombreux médias, tous supports. Il aurait été un vaste gâchis qu’il ne s’en serve pas, de façon indirecte pour faire la promotion de leurs porteuses affaires.

Dassault et le Figaro : il raffole du rafale !

Arnault et Le Parisien : Censure de Merci patron !

La presse automobile également est une presse subjective coincée dans l’étau de la publicité.

Le problème démocratique : La presse n’est plus représentative des multiples horizons politiques et du débat d’idée en France.

Les journalistes se pensent indépendant et s’il on exclut toute pression directe, ils le sont. Mais ces pressions sont sous-jacentes, non-dites, invisibles, diffuses.

Voir Les nouveaux chiens de gardes (documentaire).

Voilà ce que l’on peut rapidement dire à leur décharge de leur indépendance, qui est en réalité un simulacre d’indépendance.

Mais à leur charge, les cercles que les journalistes côtoient, créent des groupes sociaux, des groupes d’élites qui intériorisent un code de conduite. Menant on peut l’imaginer à une une perte de liberté de parole, à un rétrécissement idéologique, à une forme d’autocensure.

Les liens entre média / politique / économie créent une caisse de résonance qui diffuse en grande majorité l’idéologie qui est le produit de ces milieux et menant donc à un aplatissement idéologique. Rentrons dans le concret.

L’élection de Reagan et de Tchatcher au début des années 80 vont conditionner les orientations de la politique mondiale jusqu’à aujourd’hui. Le fameux « there is no alternative » de Thatcher fermant tous les horizons politiques hormis celui de la domination du marché dans l’économie, de la libération des forces du capital qui passe entre autre de la destruction de l’état social décrit comme un poids qui empêcherait la richesse de la nation et inciterait à la paresse généralisée

Serge Halimi résumera ce que l’on appelle la « pensée unique » comme « Le recentrage des partis de gouvernement autour d’un tronc commun de thèmes irrécusables : libre-échange, construction européenne, atlantisme, guerres « humanitaires ». La transposition de ce mouvement se fera prestement dans la presse, puisque les médias dominants sont devenus un parti de l’ordre social et qu’ils campent désormais, à quelques sujets de société près, sur le même terrain. »

Les médias grands publics (à quelques exceptions près) n’expriment plus qu’une seule et même idéologie : l’idéologie libérale.

La population se retrouve remplie d’information allant toutes dans le même sens et si l’on ne souhaite pas se plier à ce dogme, nous sommes en dehors du réel, de la modernité, archaïques (petite pensée pour Macron qui en est l’un des effets les plus récents). Ou l’on est d’accord avec la mondialisation et on accepte ses conditions sans rechigner, ou l’on est condamné au silence, à une relative inexistence dans les vitrines médiatiques les plus grandes. Bien que celle-ci se fasse au détriment de plus grand nombre en faveur d’une élite (c’est le sujet du livre Le Grand bond en arrière du même Serge Halimi), elle est omniprésente. Cette hyper-représentativité donc ce qu’on appelle « la pensée unique ». Ce même concept, reprit par des personnalités de droite (comme de gauche) qui prétendent détruire cette pensée unique quand ils n’en sont que la dernière sophistication.

Alors que la presse devrait être la machine à porter la voie de tous, elle ne se fait la voie seulement de ceux par qui elle est possédée et qui ont tout intérêt à voir la mondialisation libérale s’intensifier. Elle distord les multiples horizons politique qui créer des choix de société bien concret au profit d’une seule vision.

La presse aux mains de l’économie et du politique c’est aussi cela. La réduction du champ des possibles, pour qu’un seul ne soit envisageable.

III. Solutions alternatives pour assurer la reconquête du pouvoir

histoire-des-medias
Source : medias-libres.org

La presse indépendante

Aujourd’hui, nombreux titres se développent :

-Des pure players : Basta Mag ! – Reporterre – Mr Mondialisation – Médiapart – Sideways – Les Jours – Huitième étage

Qui font de nombreuses révélations. Exemple du Canard Enchainé :

* Affaire des HLM de Paris

*Révélations sur la vente de l’hippodrome du Putois à Compiègne par le ministre du budget Éric Woerth à la Société des Courses de Compiègne.

*Nombreuses révélations sur l’affaire Woerth-Bettencourt.

*Révélations sur les vacances de la ministre Michèle Alliot-Marie en Tunisie

Les problèmes de cette information : Elle est intellectuellement exigeante. Puis elle est payante. Mais c’est aussi le gage d’une qualité, le gage quelle n’est pas passé à travers le prisme des intérêts de l’argent ou du pouvoir. Le slogan de Médiapart à ce titre est représentatif : seuls nos lecteurs peuvent nous acheter.

 

Un autre financement pour une autre presse ?

Le financement participatif ou Crowdfunding – Le journaliste comme une sorte d’intermittent : Cela mènerait à ne plus financer les médias, mais directement les producteurs de l’information, à savoir les journalistes. (Voir Pierre Rimbert.)

L’information est pensée comme un bien public, mais produite comme une marchandise. Substrat indispensable à la formation des jugements politiques, elle concourt à forger des esprits « libres », des imaginaires collectifs. C’est l’arme à mettre en toutes les mains. Et parce qu’aucune société émancipée ne saurait s’en priver, la DDHC de 1789 proclame que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme » et que « tout citoyen peut donc parler, écrire, imprime librement » (article 11).

Mais, le législateur, toujours plus à l’aise dans la poésie des idées que dans la prose du quotidien, n’a pas établit les moyen de son ambition. Enquêter, corriger, mettre en pages, stocker, illustrer, maquetter, administrer, imprimer, fabriquer, distribuer, tout cela coûte cher. De ce fait, le droit universel de « répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit » (article 19 de la DDHC) se transforme en privilège. Celui d’une poignée d’industriels suffisamment fortunés pour s’offrir les grands moyens d’information.

Pour financer durablement l’information, depuis des décennies des modèles ont été proposés. En 1928 de la nationalisation des infrastructures proposé par Léon Blum ; en passant par la création de sociétés de rédacteurs dans les années 70 ou la mise en place d’une fondation nationale.

Pourtant, les efforts pour imaginer une refonte pérenne des médias ne demande pas un effort intellectuel incommensurable.

Première étape pour délimiter un cadre : faire la distinction entre presse récréative qui doit assumer sa qualité de marchandise et presse d’information politique et générale qui a pour but d’informer, d’instruire, d’élever le débat public et de former l’opinion. Cette deuxième presse ne doit pas être vue comme une marchandise mais comme un bien commun, qui est ainsi légitime pour être financée par la collectivité.

Deuxième étape : une mutualisation des services annexes à la production d’un journal via la création d’un Service commun : imprimerie, papier, outils de stockage, de diffusion, des moyens de recherche et développement. Rémunération des développeurs, des techniciens, maquettiste, correcteurs, secrétaire de rédaction, graphistes etc…

Dans ces conditions la masse salariale des entreprises de presse se réduirait aux seuls journalistes.

Cette mutualisation aurait pour effet d’engendrer des économies d’échelles importantes (pouvant même mener à une baisse du prix des journaux imprimés et en ligne).

Mais comment financer ce service commun ?

D’abord, dans le schéma proposé, les recettes des ventes (2,5 Milliards) couvrirait largement le salaire des journalistes (800 millions d’€).

Entendons-nous que ce nouveau système supprimerait les aides d’état (800 millions d’€) ainsi que la publicité (1,5 milliards d’€). Mais alors où trouver l’argent ?

L’impôt serait une possibilité mais qu’il faudrait écarter car trop directement politique. Le mode de financement qui ne doit rien au marché ni à l’État est déjà là : c’est la cotisation sociale.

Selon les calculs de ce modèle (établit par Pierre Rimbert) : le besoin annuel de financement s’élève à 1,9 milliard d’€ à comparer aux 1,6 milliard d’aides à la presse (50% pour la presse d’intérêt général et 50% pour la presse de divertissement). Ces 1,9 milliards représentent un taux de cotisation de 0,1% de la valeur ajoutée (notre PIB étant grosso modo de 2 000 milliards d’€) dont viendrait s’acquitter toutes les entreprises.

Voilà un système dans lequel la publicité pour la presse d’information générale et politique serait supprimée. Les diverses aides d’état (TVA préférentiel, frais postaux réduit, subvention) disparaitrait. Le tout étant refondu dans un seul et même financement via la Cotisation sociale. Voilà l’une des possibilités pour recouvrer une certaine marge de liberté dans la production de l’information.

Cependant des questions restent bien évidemment en suspens : Comment distinguer sans ambiguïté les publications vouées à l’information, des titres récréatifs ? Qui dirigerait le service de mutualisation des infrastructures, comptant à la fois plusieurs milliers de salariés et une grande diversité de métiers ? Ou comment éviter la bureaucratisation d’une telle instance ?

Robert Musil déclarait « Les journaux ne sont pas ce qu’ils pourraient être à la satisfaction générale, les laboratoires de l’esprit, mais, le plus souvent des bourses et des magasins », les solutions et les voies pour un changement stable et pérenne sont pourtant là, seule la volonté en vue de l’application fait défaut.

 Faut-il légiférer ?

« Le droit de dire et d’imprimer ce que nous pensons est le droit de tout homme libre, dont on ne saurait le priver sans exercer la tyrannie la plus odieuse. »  Voltaire

Certes, en France la presse est protégée par la loi… mais seulement jusqu’à certaines limites. Pourtant, c’est une partie du rôle de l’État d’assurer l’indépendance de la presse. Pourquoi ne pas envisager des textes empêchant le conflit d’intérêt entre propriétaire du titre, publicitaires et la neutralité du journaliste ?

La nouvelle loi pour l’indépendance et le pluralisme des médias promulguée en France amorce une amélioration en ce sens. L’article 1er de cette loi instaure un droit d’opposition permettant à un journaliste « de refuser d’accomplir un acte qui lui serait imposé par son employeur et qui heurte sa conviction professionnelle formée dans le respect de la charte déontologique de l’entreprise qui l’emploie« .

L’ Assemblée a également validé plusieurs articles renforçant les missions du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pour assurer « l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes qui y concourent« . (Une disposition inspirée par certaines interventions de Vincent Bolloré à Canal+…)

  • Article 9 : Limitation à 20 % de la détention, directe ou indirecte, du capital des services audiovisuels par les personnes de nationalité étrangère.
  • L’article 11 prévoit que l’ensemble des publications de presse, écrites comme en ligne, porte à la connaissance de leurs lecteurs toute modification du statut de l’entreprise éditrice, tout changement dans les dirigeants ou actionnaires de l’entreprise et, au moins une fois par an, toutes les informations relatives à la composition de son capital, de ses organes dirigeants et à l’identité et la part d’actions de chacun de ses actionnaires qu’il soit personne physique ou morale.

On peut cependant reprocher à cette loi d’avoir retoqué certains article notamment en matière de protection des sources.

De manière générale, la France peut faire mieux en matière de liberté de la presse. Plutôt mauvaise élève selon Reporter Sans Frontière, elle se classe 45ème dans le classement mondial loin derrière la Finlande qui se situe en tête.

Classement de la liberté de la presse dans le monde par RSF
Crédits : http://www.rsf.fr

Marine DESSAUX et Gary LIBOT

Crédits Image à la Une : Janeb13 .