Calais : une éternelle jungle ?

Calais. Zone tampon entre une France qui ne se veut pas durablement accueillante et une Angleterre qui se rêve durablement hermétique. Les accords du Touquet, signés par Sarkozy en  2004, marquent la naissance d’un foyer de migration comme ne manquerait pas de le devenir Calais dans un contexte d’intenses conflits au Proche-Orient. Le camp, la « jungle » comme il fut  appelé, représente un palliatif à l’accueil de réfugiés n’ayant pas résisté au zèle politique de démantèlement, logique comptable du libéralisme  aidant. Des centres d’accueils et d’orientations (CAO), foyer temporaires, auront-ils encore un  sens pour les réfugiés, une fois le plus difficile de l’hiver derrière eux ? La volonté politique de  résoudre le « problème » Calaisien, dirigé par des lieux communs et des discours de circonstances, se traduit-elle vraiment par la fin de l’arrivée de réfugiés dans cette région ?


Calais : de Sangatte à la Jungle
 
Depuis 1995, de nombreux migrants ont fui leur pays pour  aller en Grande-Bretagne, où les immigrés clandestins  peuvent plus facilement trouver du travail, et où ils ont  parfois de la famille ou des amis. Devant l’augmentation de leur nombre au fil des années, se pose peu à peu la question des conditions sanitaires et sécuritaires de l’hébergement de ces migrants.

En 1999 s’ouvre le centre d’accueil de Sangatte, géré par la  Croix-Rouge. Le bâtiment est un hangar de 27 000 m2  appartenant à Eurotunnel et réquisitionné par l’État. Prévu  pour 800 personnes au maximum, il en abrite rapidement  1800. Des bénévoles s’y succèdent pour aider les migrants  clandestins. Il devient très rapidement saturé et ferme en  2002. La première jungle est alors construite dans la forêt  aux alentours du port. En novembre 2002, le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy en ordonne le démantèlement. En  trois ans, entre 60 000 et 70 000 personnes (1) auraient  transité par ce centre.

La fermeture engendre une baisse du nombre de migrants : 400 sont recensés fin 2005. Les «nuisances» engendrées par  certains migrants entraînent une réaction gouvernementale : en avril 2009, les campements sauvages sont rasés au  bulldozer et les forces de l’ordre procèdent à l’arrestation de  190 migrants. Le flux de migrants ne tarit cependant pas. Et  ce jusqu’au printemps 2014, dans un contexte de guerre au  Moyenne-Orient, une vague de réfugiés passant via la  Méditerranée par l’Italie et la Grèce, atteint l’Europe : le  nombre de migrants à Calais croît à nouveau.

En mai 2014, trois campements sauvages de 550 migrants au  total sont démantelés à la suite d’une épidémie de gale. En  juin, le nombre de migrants est estimé à 900 par le milieu  associatif (2). En juillet, le camp principal est également  démantelé… Le 2 septembre 2014, face à une nouvelle vague de migrants, Bernard Cazeneuve instaure un centre d’accueil de jour, nommé Jules Ferry, pour un coût de 13 millions  d’euros. Manuel Valls annonce en août la création de 1 500  places d’accueil pour un coût estimé à 18 millions d’euros (3).

En septembre 2014, la maire UMP de Calais, Natacha  Bouchart, menace de fermer temporairement le port de  Calais, bien qu’il s’agisse d’une action illégale qui l’exposerait à des poursuites judiciaires, afin d’envoyer « un message fort » aux autorités britanniques.

En juin 2015, les estimations sur le nombre de réfugiés vont du simple au quintuple : entre 5500 et 6 000 pour le Figaro. 30 000 pour The Daily Telegraph.

Entré de la jungle de Calais

Une entrée de la jungle de Calais à la mi-février. Photo : Gary Libot

La situation, tant évoqué par les associations en faveur des migrants que par le gouvernement, n’est plus tenable. L’insécurité au sein de la jungle de Calais est, dès la fin 2015, devenue un enjeu de taille. Les rixes entre ethnies et les débordements policiers ne facilitant pas les choses. Calais, la jungle, c’est un constant renouvèlement. Après le démantèlement du camp de Sangatte, l’opération se perpétue. A chaque intervention du ministère de l’intérieur, Bernard Cazeneuve rappelait que : « Le démantèlement vise à mettre les hommes, femmes et enfants qui fuient, à l’abri des guerres”. Mais démanteler le camp de Calais, n’aide pas, ipso facto, à reloger ces personnes sans habitation. Sur la zone sud de la jungle de Calais, rasée début 2016, la sous-préfète du Nord-Pas-de-Calais, mis en place peu de temps avant le démantèlement, un camp comprenant des « containers », dans lesquels il est possible de tenir à cinq maximum. Chauffage d’appoint, lits superposés, rangements spartiates les composaient… Ils resteraient là, mais pour combien de temps ?

« Dans les CAO, le traitement est inégal. On a appris par exemple que certains exilés ont été placés dans des hôtels en résidence surveillée, alors que Bernard Cazeneuve avait promis qu’il n’y aurait aucune mesure coercitive à l’égard des migrants »

— Didier Degrémont, président du Secours catholique dans le Pas-de-
Calais, 18 Février 2017.

C’est le 24 octobre 2016, que l’opération « Démantèlement de la jungle de Calais » débute. Les migrants sont embarqués dans des bus, trente-neuf pour 1631 migrants ce jour-là selon Libération. La plupart sont déposés dans des Centres d’Accueil et d’Orientation (CAO). Une autre partie tentera sa chance en région parisienne, alors que certains migrants résignés à ne pas quitter la zone, resteront sur place, vivant comme si la jungle n’avait jamais disparue, “nostalgique” de cette «chance», et des promesses qui leurs ont été faites.

Quelle est la situation aujourd’hui ?

Ils errent désormais çà et là: “On les voit dans les bois matin et soir, ils ne savent pas où aller, il faut bien qu’ils aillent quelque part (…) Que voulez-vous y faire ? C’est malheureux…” nous répond Michel, travaillant dans une usine à côté de l’ancienne “jungle”. Mais le jeu du chat et de la souris s’est, depuis longtemps, instauré entre police et réfugiés.

Quatre mois après le très médiatique démantèlement de la jungle, ce que craignaient les associations est en train de se concrétiser : de nombreux mineurs isolés sont de nouveau présents à Calais et tentent chaque nuit de monter dans des poids lourds pour rejoindre l’Angleterre.

Le coordinateur de l’association Utopie 56 qui a repris les maraudes le 7 janvier 2017, dénonce une situation critique. Les mineurs sont à la rue, ils ne dorment pas la nuit et essaient de passer en Angleterre. Ils se reposent uniquement dans les accueils de jour des associations et le week-end, ils vont à la Maison du jeune réfugié de Saint-Omer quand les camions ne font plus la traversée.

« Nous avons recensé environ cent-cinquante migrants mineurs présents à Calais en ce moment. Et il y a de plus en plus de monde »,

— Gaël Manzi, de l’association Utopia 56, 18 Février 2017

Au total, en ajoutant les migrants adultes, les associations dénombrent entre deux cents et quatre cents exilés dans la ville. L’association explique qu’ils savent lesquels sont mineurs parce que la police les contrôle sans les arrêter, alors qu’ils ne voient quasiment pas les adultes. « Eux, ils se cachent parce qu’ils sont systématiquement arrêtés », explique François Guennoc, président de l’Auberge des migrants.

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L’Auberge des Migrants , dans un entrepôt en banlieue de Calais, a mis en place un couloir de douches pour les réfugiés. Photo : Gary Libot

L’après démantèlement

Après le démantèlement de la jungle fin octobre 2016, 1 952 mineurs ont été orientés en centres d’accueil et d’orientation pour mineurs isolés (CAOMI) d’après Utopia 56. Mais poussés par leur désir de rejoindre l’Angleterre, les réfugiés mineurs n’ont pas attendu la fermeture des CAOMI pour continuer leur parcours migratoire, direction Calais. « Entre 20% et 25% des mineurs en CAOMI ont repris la route », diagnostique Pierre Henry, directeur général de France Terre d’asile, une des associations missionnées par l’Etat pour gérer les établissements d’accueil des réfugiés. Ce dispositif provisoire d’hébergement était censé s’achever fin janvier, une fois toutes les demandes des mineurs étrangers étudiées, mais la date butoir a été repoussée au 31 mars.

En ce qui concerne les adultes aussi, les promesses formulées à l’automne paraissent loin. Bernard Cazeneuve s’était engagé oralement auprès des associations à ne pas renvoyer les « dublinés », c’est-à-dire les migrants ayant déjà demandé l’asile, dans le pays où cette première demande a été enregistrée. Selon le règlement de Dublin cette procédure est obligatoire, mais le gouvernement français avait promis de ne pas l’appliquer aux personnes qui acceptaient d’aller en CAO. La France devait donc instruire les dossiers de demande d’asile de ces réfugiés. Sur le terrain, les associations observent pourtant des pratiques différentes selon les préfectures. Fait important qui explique le retour précoce des migrants sur Calais.

Tentatives de minimiser la situation ?

Par ailleurs, la préfecture dénombre à peine cinquante à cent migrants présents dans la ville, estimant que ce sont principalement des primo-arrivants, c’est-à-dire des migrants qui ne sont pas passés par les centres d’accueil de l’Etat. Même son de cloche du côté de France Terre d’asile. Pierre Henry, le directeur de l’association, nuance d’ailleurs les chiffres donnés par les acteurs locaux en affirmant qu’« en moyenne sur l’ensemble du territoire, seuls un tiers à 40% de ceux qui se déclarent mineurs sont reconnus comme tels par les services sociaux ».

Une tentative de minimiser la vague de retours des mineurs sur le littoral ? C’est en tout cas ce que laissent penser les témoignages de plusieurs associatifs présents sur le terrain, appuyés par des commerçants de la ville, qui donnent des estimations plus importantes du nombre de mineurs revenus à Calais. Par ailleurs, pour le président de l’Auberge des migrants, le doute n’est pas permis : la plupart des mineurs revenus à Calais sont passés par des CAOMI.

« On le voit tout de suite, parce que les primo-arrivants, eux, sont complètement démunis et n’ont que très peu d’effets personnels, ce qui n’est pas le cas de ceux ayant fréquenté des centres », justifie François Guennoc.

Face à la dégradation de la situation, Calaisiens et associatifs ne se font pas d’illusions. « La pression politique va tenir jusqu’aux élections, on va continuer à faire la chasse aux exilés, et puis ça recommencera », se désole Gaël Manzi. « J’ai l’impression qu’on fait un gros retour en arrière. Une nouvelle jungle ? Ça va finir par arriver, j’en suis sûr ». Voilà qui est dit.

Anissa Sebou, Gwladys Schiex, Gary Libot

(1)-EuroStat
(2)-L’auberge des Migrants
(3)-Le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR)

Bannière photo : l’Express