Féminisme : les femmes à bout de force ?

L’époque est différente, mais le combat reste le même. Encore en 2017, les femmes luttent pour leurs droits qui ne cessent de diminuer. Entre les déclarations sexistes du président Trump, les pros anti-avortement qui gagnent du terrain et le harcèlement quotidien dont sont victimes les femmes, nous nous sommes demandés si certaines avaient encore la foi de se battre. Les femmes ont-elles baissé les bras ou au contraire, sont-elles encore plus actives pour faire valoir leurs droits ? L’association Stop Harcèlement de rue a observé ces derniers temps une absence d’engagement dans sa lutte tandis que de nombreux problèmes font surface chaque jour. La question féministe n’a jamais été aussi importante avec la recrudescence d’événements tels que le refus de femmes dans certains bars ou de nombreux propos sexistes recensés au quotidien.

52 000. C’est le nombre d’hommes inscrits sur le groupe Facebook Babylone 2.0, où photos dénudées de jeunes femmes circulent à leur insu. Ce groupe secret réservé exclusivement  aux hommes  à  provoqué  un  raz-de-marée  de  réactions  dans  l’opinion publique. Relayée par la blogueuse Christelle Charlier sur son blog 2 Girls 1 Mag, l’information a très vite été reprise sur les réseaux sociaux puis dans la presse. Et pour cause.

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La page Facebook Babylone 2.0, supprimée depuis (Crédits leparisien.fr)

Ce groupe était le lieu où les membres partageaient des photos de femmes, la plupart du temps leur conquête d’un soir, et s’en targuaient comme si elles étaient de vulgaires trophées. Au sein de ce groupe bourré de testostérone et ultra macho, on parle de jeunes filles comme  de  la  viande  prête  à  être  consommée. Ciblé au plus vite après sa découverte, Facebook l’a supprimé de sa plateforme. De nombreuses jeunes femmes ont alors élevé leurs voix contre ce genre de pratiques sur les réseaux sociaux, qui restent la plupart du temps impunies. A travers cette page, c’est peut-être toute une société qui s’y reflète, y compris jusque dans les réseaux sociaux. Ce groupe sexiste et humiliant envers les femmes n’est pas le seul à s’être développé sur la toile. Depuis le début des années 2000, de nombreux autres sites ont eux aussi porté atteinte à l’image de la femme.

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Exemple de publication sur le groupe Babylone 2.0 (Crédits Konbini.com)

Pourtant, ce phénomène n’a rien de nouveau. Prenons le “revenge porn” par exemple, entendez “revanche pornographique” en français, qui consiste à diffuser des photos dénudées voire à caractère pornographique dans le but de nuire à un ou une ex partenaire. Ce genre d’agissement  n’a  rien  de  nouveau  et  pourtant  on en parle très peu malgré un nombre incalculable de victimes. Pauline, dont les photos n’ont pas été publiées sur les réseaux sociaux mais ont circulées dans son lycée il y a 6 ans, affirme s’être sentie “trahie et salie”, avant d’ajouter qu’elle n’osait plus regarder le jeune homme en question dans les yeux. Bien souvent, ces jeunes femmes envoient leurs photos sous la menace de leur compagnon : “il m’a incité en me disant que si je ne le faisais pas, il me quitterait”. Une réaction qui pourrait paraître naïve mais Pauline justifie cela par l’innocence dont elle a fait preuve : “peut-être aurais-je dû me dire que pour me demander des choses pareilles il ne valait pas la peine. Mais l’insouciance de ma jeunesse m’a également mené jusque là…”. Mais le plus difficile pour la jeune femme a surement été le regard des autres : “je sentais que les gens ne me regardaient plus de la même façon”.

J’étais loin d’être la première personne à qui cela allait arriver […]

Et contre ce regard justement, elle conseille de “garder la tête sur les épaules, inutile de se sous-estimer, l’erreur est humaine. La victime vaut toujours mieux que celle qui salie”. A l’époque, le sujet n’était pas encore très démocratisé et en tant que victime, Pauline n’en a d’ailleurs parlé à aucune autorité quelle qu’elle soit, elle dénonce : “j’étais loin d’être la première personne à qui cela arrivait, et les débats ne sont pas au rendez-vous à ce sujet”. Mais puisque de telles actions se démocratisent et deviennent courantes, la loi a dû elle aussi être modifiée en conséquence. C’est pourquoi depuis le 7 octobre 2016, l’article 226-1 du code pénal a été modifié élargissant les mesures aux contenus sexuels diffusés sans consentement que ce soit en lieu privé ou public. En dehors du contexte, la loi change aussi les conséquences avec jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende.

Comment expliquer que des jeunes femmes comme Pauline hésitent encore à se manifester alors que la lutte féminine atteignait un pic dans les années 1960-70 ?

Les femmes se battent depuis des années pour obtenir certains droits. Si certains d’entre eux ont été acquis relativement rapidement comme le divorce ou le droit de travail, d’autres sont le fruit d’une lutte acharnée qui pose encore certaines questions aujourd’hui, comme c’est le cas de l’IVG. Il aura fallu attendre la médiatisation d’une effroyable histoire de viol, qui condamna une jeune fille pour avoir avorté de son agresseur, pour faire avancer le débat du droit à l’avortement en France. Retour sur l’affaire de Bobigny. En 1972, Marie Claire, 17 ans s’est faite violer par un garçon de son lycée. Désemparée, la jeune fille qui ne souhaite pas garder l’enfant, sera soutenue par sa mère et des collègues de cette dernière. Dénoncée par son violeur alors qu’il était arrêté pour vol de voiture, Marie Claire, sa mère ainsi que ses trois collègues sont inculpés.

Dénouement de l’affaire Marie-Claire Chevalier (Crédits Ina.fr Youtube) :

Lors de cette affaire, un manifeste nommé « le manifeste des 343 salopes » est publié dans le numéro 334 du magazine Le Nouvel Observateur. Les signataires de cette pétition sont 343 femmes dont des célébrités comme Catherine Deneuve ou Simone De Beauvoir s’étant faites avorter, s’exposant alors à des poursuites. Le manifeste des 343 salopes a relancé le débat sur la dépénalisation de l’avortement dans l’hémicycle. Malgré l’opposition, la loi est finalement adoptée et elle est promulguée le 17 janvier 1975 soit 8 ans après la loi Neuwirth autorisant l’utilisation de la contraception. L’entrée en vigueur de cette loi était prévue pour une durée de 5 ans, mais elle a finalement était reconduite sans limites de temps.

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Article du Nouvel Obs, reprenant les nombreuses femmes ayant signé le Manifeste des 343

Après  le  temps des victoires, le temps des indignations vient aujourd’hui. Nous sommes en janvier 2017, soit 42 ans après l’adoption de la loi pour le droit à l’avortement et sur un trottoir lillois, nous pouvons lire un tag « Anti IVG ». De l’autre côté du globe, des voix  se  lèvent  contre le nouveau président des Etats Unis, Donald Trump, qui interdit dorénavant le financement d’ONG internationales soutenant l’avortement. Les droits des femmes se dégradent ils ? Donald Trump est le parfait exemple de cette dégradation. Cet arrêt de financement a été voté par des hommes pour des femmes, de quoi susciter une réelle indignation. En plus d’afficher une quasi inexistante parité au sein de son gouvernement, Donald Trump choque avec des propos plus misogynes les uns que les autres.

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L’une des nombreuses déclarations sexistes de Donald Trump (Crédits Francetvinfo.fr)

On assiste alors depuis le début de sa campagne et depuis sa prise au pouvoir, à une banalisation totale de ce genre de comportements. La banalisation de comportements inacceptables envers les femmes ne se déroule pas qu’au pays de l’oncle Sam, mais malheureusement partout dans le monde : en France avec l’affaire Baupin ou le refus d’entrée aux femmes dans un café, en Arabie Saoudite avec Starbucks qui plie aux règles du pays qui interdit les femmes d’être dans le même endroit qu’un homme, ou encore en Russie où les violences faites aux femmes sont tolérées…

Mais alors quel est le bilan aujourd’hui ?

Il semble que la plupart des français pensent que l’égalité est acquise et que les femmes n’ont plus de raison de se battre. Sophie Roman, dirigeante de l’association Osez le féminisme affirme que “les femmes se mobilisent moins parce qu’elles ne prennent pas conscience des stéréotypes dans lesquels elles sont enfermées”, ce qui explique ce manque d’implication aujourd’hui. Cependant, des groupes luttent encore comme c’est le cas des associations La Barbe ou encore Ni putes, ni soumises. Néanmoins l’image que l’on a du féminisme aujourd’hui, empêche certaines femmes de s’impliquer.

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Jugées trop radicales, les Femen font souvent polémique (Crédits lemonde.fr)

 

En cause notamment, les mouvements  extrémistes  comme  les  Femen  qui,  même  si leur lutte peut être légitime, dégradent l’image que les suffragettes notamment avaient tenté de construire. Cela dit, les Femen restent l’un des rares groupes à ne pas agir dans l’ombre et à manifester de manière directe comme ça avait pu être le cas devant l’hôtel de Dominique Strauss Kahn en tenue de soubrette, il y a maintenant un peu plus de 5 ans. Face à l’absence d’implication, la dirigeante de la section lilloise d’Osez le féminisme le dit : “il faut que les femmes osent s’engager”.

Des actions sont tout de même menées comme des manifestations symboliques, on se souvient alors qu’en octobre 2015 des femmes avaient accroché des serviettes hygiéniques “ensanglantées” dans tout Paris pour protester contre la taxe tampon. Elles voyaient alors dans cette taxe un affront, comme une punition du fait d’être simplement nées femmes. Cela dit, avec l’arrivée d’internet et des réseaux sociaux, le féminisme a pu mener son engagement au-delà de l’action traditionnelle.

 

En effet, l’essor des blogs, sites web et réseaux sociaux ont permis à de nombreuses femmes de parler, dénoncer les actes à leur encontre tout en restant dans l’anonymat. Pour Sophie Roman, les nouvelles technologies ont modifié la lutte  féministe  de  manière  considérable.  « Quand  on  regarde  auparavant,  les  femmes n’avaient que la télé ou la radio pour communiquer de leurs actions. Aujourd’hui, il est primordial pour une association d’utiliser les réseaux sociaux » nous explique-t-elle. Cette nouvelle plateforme utilisée pour la cause féministe permet de communiquer plus facilement, prendre contact rapidement avec des bénévoles ou des victimes.

Selon Sophie Roman, il est nécessaire d’être « plus percutant et impactant pour marquer les esprits au travers des réseaux sociaux ». Ces nouveaux outils ont permis l’essor de blogs et sites qui s’opposent à leurs nemesis masculin comme le Babylone 2.0 version féminine. Plus récemment, c’est le site Les femmes ont le pouvoir qui vient d’être lancé, reprenant les engagements féministes des candidats  à  l’élection  présidentielle.  Créé  sur Facebook, ce groupe est un lieu où l’on rassemble ses idées pour améliorer les droits des femmes en France.

Que ce soit de manière active en protestant dans les rues ou de manière passive en agissant sur les réseaux sociaux, les femmes continuent leur combat pour l’égalité. A travers notre enquête, nous avons pu déterminer pourquoi et comment les femmes se dressaient contre leurs détracteurs. Même si l’implication des femmes est moindre, des actions sur internet mais aussi directes restent importantes. Le samedi 4 mars s’étaient organisés plusieurs événements et manifestations pour la journée internationale de la femme, montrant ainsi que non, les femmes ne baissent pas les bras.

Une enquête réalisée par Chloé PULVIRENTI, Nicolas LEFEVRE et Théo PALUD