C’est un sacré tollé qui s’est produit, suite aux propos de Nadine Grelet-Certenais au Sénat le jeudi 16 novembre. La sénatrice de la Sarthe a en effet suggéré que la représentation du tabac dans le cinéma français participait à la consommation auprès des enfants et des adolescents. Une accusation du septième art, à laquelle Agnès Buzyn avait dit « vouloir réfléchir ». Mais mettre la main sur la cigarette au cinéma ne serait-il pas un pas dans la censure ?
Fondu au noir. Ruelle de nuit. On discerne la cacophonie de la ville, étouffée par les hauts murs de brique. Le tueur apparaît à l’écran, évadé d’une porte dérobée. Ses chaussures battent le pavé et il marche dans une flaque un peu trop profonde. Grommelant, il sort une cigarette qu’il porte à ses lèvres. Une flamme s’allume… et l’écran s’éteint.
La censure au cinéma, n’est-ce pas un concept d’un ancien temps ? L’époque où l’on barrait de noir les rouleaux de pellicules découpés de part et d’autres, où l’État diffusait sa propagande sur le grand écran, volé aux réalisateurs et aux citoyens. Si la polémique lancée par Nadine Grelet-Certenais a été tempérée le 21 novembre par Agnès Buzyn sur Twitter, qui a affirmé n’avoir jamais « évoqué l’interdiction de la cigarette au cinéma ni dans aucune autre oeuvre artistique », la volonté d’État de réduire la consommation de tabac reste forte.
Le même tweet est en effet suivi d’un commentaire bien moralisateur qui semble découler d’un débat qui se veut sans doute efficace plus que polémique :
« En France, environ 70% des films font apparaître la consommation de tabac. Peut-être pouvons-nous nous demander : la liberté de création ne réside-t-elle pas également dans l’indépendance des réalisateurs vis-à-vis des incitations à montrer la cigarette à l’écran ? »
Est-ce là surtout le rôle de l’État de décider ou non la nécessité d’un élément cinématographique ?
Pour Léo Hardt, réalisateur et comédien, « l’utilisation de la clope est purement du choix du réalisateur et de personne d’autre ».
L’industrie Hollywoodienne se servait justement du tabac comme élément narratif dans les années 80: si un personnage fumait une cigarette, sa mort s’en suivait très rapidement dans le scénario.
Mais ce ne sont pas là les seules valeurs de la cigarette, qui est strictement un accessoire qui participe à un personnage: elle permettait aussi de dépeindre une ambiance mélancolique, angoissante ou contemplative. Les volutes de la fumée participent aussi aux jeux de lumières d’une scène.
Dire que la cigarette au cinéma est une incitation à fumer n’est plus un débat d’aujourd’hui. Il est vrai que l’industrie du tabac a financé l’industrie Hollywoodienne pendant un certain temps, pour promouvoir leur marque, comme Philipp Morris ou Lucky Strike. Mais ce financement était courant à la même époque où les affiches publicitaires existaient elles aussi. Pour rappel, avant la connaissance des méfaits du tabac, les publicités papiers et télévisuelles étaient très fréquentes.
Une fois les méfaits du bâton incandescent dévoilés, les publicitaires ne se sont pas laissés démonter. On se souviendra du célébrissime « Les médecins fument plus Camel que n’importe quelle autre cigarette », dépeignant un combat effronté de la communication.

Si la question d’une interdiction totale se pose depuis longtemps, les lobbys anti-tabac n’ont pas attendu pour faire dans la finesse. Les réalisations de ceux-ci sont bien plus choquantes, avec par exemple cette publicité quelque peu inoubliable tant elle crée un malaise:

La cigarette dans un film n’est jamais pour promouvoir son usage, prenez le contre-exemple le plus concret: Thank You For Smoking est un film sur la clope, et justement contre la clope.
Et la censure des cigarettes sur les affiches de cinéma ne s’est pas faite attendre non plus:
- Pulp Fiction, Quentin Tarantino, 1994: sur l’affiche américaine, Uma Thurman tient une cigarette à la main. Mais cette dernière a été effacée sur l’affiche française. En effet, trois ans avant la sortie du film, le gouvernement avait voté la loi Evin, interdisant la promotion du tabac même lorsqu’il s’agissait d’images culturelles.
- Coco avant Chanel, Anne Fontaine, 2009: a connu la même mésaventure. Les affiches montrant Audrey Tautou une cigarette à la main ayant tout bonnement été interdites par la régie publicitaire des transports publics parisiens.
- Gainsbourg: Vie Héroïque, Joann Sfar, 2010: Rebelote à la fin de l’année 2009. Ainsi, en septembre, c’est le biopic sur Serge Gainsbourg qui fait les frais de la censure par la RATP. Or, comme le rappelait le réalisateur à L’Express, sur l’affiche « ni cigarette, ni mégot ne sont visibles. Il y a juste de la fumée qui ne prend même pas toute l’image« . Et d’ajouter : « Je trouve ça presque insultant pour notre travail. » Et enlever sa clope à Gainsbarre, c’est un peu un sacrilège ma petite dame.
Pour Léo Hardt, le rapport à la censure n’est pas limité qu’à la cigarette: « C’est une espèce d’ingérence qui vient se mettre dans le cinéma, et c’est vraiment ça le problème. Le fait même de filmer dans des lieux publics donne lieu à un parcours du combattant: il faut remplir des cahiers des charges hallucinants, et à moins vraiment de tourner quelque chose sans aucun sens, il est impossible d’y tourner sans autorisation ».
Au plus des débats viennent attaquer le septième art, mis à mal par sa popularité auprès des plus jeunes, au plus on le transforme en ce qu’il n’est pas: quelque chose qui doit satisfaire un nombre incalculable de gens. Pourtant, le rôle premier du cinéma est de dépeindre la vie et ses tabous: la drogue dans Pulp Fiction de Quentin Tarantino, l’inceste et l’obsession du sexe dans Ma Mère de Christophe Honoré (insoutenable mais il fallait bien qu’il existe), la pédophilie dans Lolita de Stanley Kubrick…
Des sujets répertoriés et mis à mal dans nos sociétés qui se veulent propres comme une soutane de Pape. Pourtant, à force de tout interdire, on se retrouve bien vite avec des malades qui vont assouvir leurs vices sur des personnes innocentes. Alors loin de moi l’idée de prôner la pédophilie ou l’inceste, bien évidemment. Mais l’art est essentiel car il doit pouvoir discuter de tout, et faire réfléchir ou dialoguer les gens sur des thèmes qui ne sont pas abordables dans une conversation annodine, surtout dans une société qui se veut bien sous tous rapports.
« Il faut offenser quand on fait de l’art: ça force les gens à penser et réagir » martèle Léo Hardt « car sinon, on ne sert strictement à rien, à part peut-être faire de la pub pour l’État, car c’est comme ça qu’ils nous voient , Agnès Buzyn et compagnie. Comme des gens qui font de la pub ».
D’accord, c’est mal de mourir du cancer et ça rend les dents jaunes de fumer, mais le cinéma reste et doit rester, malgré son côté business, une oeuvre d’art. Le mal n’est pas de vendre quelque chose, c’est de croire que tout sert à vendre quelque chose. Et si on se retrouve déjà à dire « Bon tant pis, on oublie, y a que de la m**** à la télé ce soir, chérie », imaginez un peu ce qu’adviendra de vos sorties cinéma si l’État y prend la même marge de manœuvre…
Comment ne pas finir sur Le Pari, réalisé par Didier Bourdon et Bernard Campan en 1997 ?
Camille Vanderschelden
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.