François Ruffin, aujourd’hui député de la première circonscription de la Somme, est fondateur et rédacteur en chef du journal Fakir et réalisateur du documentaire Merci Patron! Le picard, après une maîtrise de lettre, entre pour deux années au CFJ, le Centre Français de Journalisme. Parfois décrite comme « la meilleure école de journalisme en France et même en Europe », il raconte son expérience dans ce livre.

« Pierre Lescure, Laurent Joffrin, Bernard Pivot, Patrick Poivre d’Arvor, David Pujadas » les dits « grands noms » du journalisme issu du Centre Français de Journalisme (CFJ) ne manquent pas. François Ruffin, étudiant au sein de la prestigieuse institution (promotion 2002) expose et dénonce les mécanismes de la production de l’information qui commence… dès la formation des journalistes. Il observe une transformation qui s’opère à la fin des années 1990 se traduisant par l’apport de capitaux par de grands groupes de presse (Le Monde, Havas, TF1…) et des instituts de sondage pour faire face à la faillite de l’école. Transformation qui signifie une nouvelle ère pour l’école avec l’entrée au Conseil d’administration de ces acteurs et leur prise de pouvoir subséquente. Le tournant libéral est engagé.
Production rapide d’une information décontextualisée et rapidement consommée, nécessité de suivre l’opinion, volonté d’avoir le scoop, panurgisme dans la recopie du fil AFP, nécessité d’obéir aux oukases de la hiérarchie. François Ruffin fait montre d’un esprit critique qui met à nu le système de libéralisation de l’information et de ses structures. « Ainsi condamne-t-on un certain nombre de fautes – affirme Ruffin – plutôt que de s’attacher à la pratique, routinière, admise, des médias. Ainsi en appelle-t-on à l’éthique plutôt que d’étudier nos conditions de production : « les règles du marché, la productivité du travail, le rendement économique de l’information, l’organisation rationalisée ». Ainsi stigmatise-t-on des individus plutôt que d’analyser la structure (p.126).
L’effet étant une marchandisation de l’information que reconnaissent dans cet ouvrage les PDG de Canal+, RTL, Ouest-France, rédacteurs en chef de Paris-Match, La Croix, de France 2 « Je suis un lessivier de la presse et je le revendique », « Nous ne vendons pas des produits, nous vendons des audiences. » « On est dans l’univers de l’information, donc de la marchandise ». « Tous les titres chez nous doivent être rentables, à hauteur de 10 à 15% (p.135) ».
L’intérêt de cet ouvrage se trouve moins dans les petites phrases tout à fait significatives que dans l’analyse structurelle de l’un des premiers maillons de la (re)production de l’information et de la classe journalistique. « L’effet de ce cursus est de propulser vers les postes stratégiques du journalisme français une population aux profils peu variés », « proche des élites politiques et économiques », sans « expérience d’autres mondes sociaux »[1].
Avec la critique médiatique naissante depuis les années 1990 d’un Alain Accardo, Pierre Bourdieu ou Serge Halimi, l’ouvrage de François Ruffin apporte un regard tantôt désabusé, tantôt combatif, mais qui s’impose comme un maillon important dans la compréhension de la production de l’information.
Gary LIBOT
[1] Erik Neveu sociologie du journalisme (p.23) cité dans les petits soldats du journalisme (p.248)
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