Sekou, migrant guinéen à Lille, des rêves de peinture dans les yeux

Sekou Makanéra*, a émigré de Guinée avec son frère, il n’avait pas 16 ans. Traversée du Sahara, passage par la Libye puis revendu par des passeurs en mer Méditerranée. Traversée de l’Italie puis de la France pour, après plusieurs mois, rejoindre Lille.  Alors réfugié à la friche Saint-Sauveur jusqu’à son démantèlement en octobre 2017, Sekou sera placé en foyer d’hébergement. Son portrait, dans un clair-obscur saisissant, témoigne du dur chemin de ses migrants qui aspirent à une autre vie.

De complexion robuste, grand et athlétique, Sekou Makanéra ne passe pas inaperçu. Il ne passe pas non plus par quatre chemins pour se raconter : « Ma mère est décédée. Avec la polygamie de mon père, on se sentait abandonnés mon frère et moi, on a jugé bon alors de partir ».  Début d’un périple de plusieurs mois de Conakry en Guinée jusqu’à la Lille. Entre voyage sans le sou, travail rémunéré et forcé, traversée de la Méditerranée, vente aux enchères par des passeurs à la frontière libyenne, et arrivée déchirante en Sardaigne, le départ de son pays d’origine pour l’Europe fut ce qu’il est dans la majorité des cas : exténuant et déshumanisant.

«Sur l’île de Sardaigne, mon frère était majeur et moi encore mineur. J’ai été séparé de lui. On ne s’est pas revus depuis »  énonce-t-il, calmement. Grâce à l’aide d’un touriste belge rencontré en Italie, Sekou traverse la France jusqu’à Lille. « Arrivé ici en novembre 2016, j’ai demandé l’aide sociale mais on me l’a refusée, j’ai dû dormir dans la rue ».

Alors mineur et abandonné à son sort, plusieurs associations lilloises lui viennent en aide. Au centre d’accueil Ozanam dans un premier temps. « Là-bas j’ai rencontré des jeunes comme moi, ils m’ont dirigé vers le parc des Olieux. J’y suis resté plusieurs mois, dans la souffrance, dans la merde». Après l’expulsion du parc des Olieux dans le quartier de Moulin à Lille, Kaba effectue plusieurs passages en centre d’hébergement, à Maubeuge puis à Dunkerque.  « Je m’y sentais pas bien » argue le jeune homme, ainsi s’est-il fait expulser de ce centre d’hébergement : « Je préférais dormir en tente que dans le centre ».

Kaba Aboubaker Sidiki, de 18 ans, loge au foyer de longprès
Sekou Makanéra, sur un banc du parc Jean Baptiste Lebas (nommé le « Parc Rouge » par les réfugiés). Le 8 février 2018.

C’est alors qu’il se retrouve sur les lieux de l’ancienne gare Saint Saveur où entre 180 et plus de 200 réfugiés, femmes, enfants, familles confondues tentent de survivre. Après plusieurs mois sur place, la mairie ordonne l’expulsion des personnes sur place et le relogement de ceux qui « accepteront le dialogue social ». Comprendre : ceux qui rempliront un dossier d’information sur leur situation. « Certaines personnes sur place disaient que ce dossier servirait à savoir qui l’on est pour nous renvoyer chez nous, d’autres disaient qu’on obtiendrait un hébergement en le remplissant » Kaba Aboubaker, lui, remplit le dossier. Il obtient quelque temps après un hébergement à Lompret au nord-ouest de la capitale des Flandres.

En parallèle de cette situation, Kaba s’accroche à un CAP en peinture au lycée professionnel à Loos. Après des tests de niveau qui lui ouvrent les portes du lycée, Kaba scande avec conviction : «  j’ai choisi la peinture. C’est ce qui me plaît ». La précarité alimentaire dans laquelle il se trouve ne simplifie pourtant pas l’apprentissage : « on a un repas par jour, c’est pas suffisant. Bon ça reste mieux que rien… » Malgré les penchants ascétiques dont il fait montre, on imagine toutes les difficultés qu’il peut ressentir. « Mais à l’école j’étudie bien, c’est intéressant… J’ai des amis, y’a pas de « réfugiés » ou « pas réfugiés » là-bas, y’a pas de problème !  (…) J’ai un rêve aussi. J’aimerais d’ici dix ou quinze ans ouvrir mon entreprise de peinture. Mais pour l’instant mon rêve c’est d’être régularisé en France et de pouvoir travailler ».

Un moment de silence. Ses yeux se mettent à luire. Légèrement.

Une réminiscence : « Dormir dans la rue… être en situation irrégulière… c’est des moments inoubliables dans la vie. »

Aujourd’hui, la situation de Sekou Makanéra et l’espoir qu’il porte ne doit pas faire oublier la situation de ceux qui – majeurs ou mineurs – n’ont toujours pas de toit, ceux qui n’ont guère le droit d’aller à l’école, ceux à qui l’on dédaigne toute reconnaissance légale, ceux laissés dans le dénuement le plus crasse.

Gary Libot

* Le nom et prénom ont été changés