La gendarmerie inaugure une unité d’un nouveau genre : sa brigade numérique. Une initiative qui pose question, au vu de la manière dont les média audiovisuels reprennent en cœur et sans distance ces images.
22 février 2018, il est 6h du matin. Près de 500 gendarmes sont mobilisés pour évacuer une douzaine de militants endormis, dans le bois Lejuc à quelques kilomètres de Bure, là où un projet d’enfouissement de déchets nucléaires* voit une opposition se dresser depuis deux décennies.
Ce matin-là, le pôle communication de la gendarmerie est déployé. Il prendra des images de la préparation des escadrons de la gendarmerie, de l’évacuation du bois et de la destruction des cabanes et divers habitats, qu’il diffusera sur sa chaîne Youtube L’essor de la gendarmerie. Une forme d’automedia compréhensible, témoin d’une volonté de reprise en main de l’image de l’institution, dans un cyberespace où les images des violences policières ont circulé avec un certain succès (voir Taranis News ou Loïc Citation sur Youtube).
Cela ne serait pas aussi surprenant si, dès les journaux télévisés du 13h le même jour, les médias audiovisuels dominants et les chaînes d’information continue, n’avaient pas repris de concert les images tournées par la gendarmerie. Que ce soit le service public avec France 2 , BFMTV, ou des médias internationaux tel Euronews, toutes les ont reprises, seule l’AFP semble s’être déplacée tourner ses propres images qui, par ailleurs, sont quasiment identiques à celles tournées par la gendarmerie.
Imaginerait-on ces mêmes médias reprendre les images tournées par les habitants du bois expulsés et autres opposants¹, dont la détresse de voir leur habitat réduit en poussière en quelques secondes s’affiche clairement, qui plus est lorsque cette expulsion est motivée par la remise aux mains de l’ANDRA (Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs) d’un bois dont la propriété reste contestée par plusieurs recours en justice ?

Ce nouveau pôle de communication de la gendarmerie pose question. Surtout à voir le parti-pris éditorial, bien naturel, de ne pas publier d’images sur lesquels la violence policière pourrait se voir au grand jour. C’est notamment le cas pour la vidéo des « échauffourées » tournée par la gendarmerie lors de la manifestation aux abords du bois Lejuc du 3 mars 2018. Cette dernière ne montre pas les coups de matraque assénés au cortège de manifestants par un gendarme mobile (voir à 45 secondes). L’automedia des opposants en apporte la preuve dans une vidéo publiée sur internet (voir à 40 secondes).
Là encore, les images tournées par la gendarmerie seront reprises et diffusées telles quelle par TF1, France 2, France 3 ou autre CNEWS et France Info, cachant par là même la réalité des faits.
Cette logique d’externalisation pourrait à l’avenir continuer de séduire les principaux média audiovisuels dont la trésorerie se trouve côté pile, asséchée par leur(s) dirigeant(s), côté face sous perfusion de l’argent public². Ces média pourraient y voir l’occasion d’obtenir des images sans la nécessité de débourser les frais nécessaires au travail de terrain. L’indépendance de ces média, déjà effritée, en prendrait encore un coup.
Gary Libot
* www.alternatives-economiques.fr/stockage-dechets-nucleaires-a-bure-rien-nest-regle/00002924?t=fbd7939d674997cdb4692d34de8633c4 (accès payant)
¹ voir le site vmc.camp
² https://twitter.com/laurentmauduit/status/963475674584506369?s=12
Photographie : Hervé Kempf – Reporterre
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