Voyage en pays ch’ti: un patrimoine minier sauvé par le septième art

Le site de Wallers-Arenberg fait partie du patrimoine minier des Hauts-de-France. Aujourd’hui protégé par l’UNESCO au même titre que les terrils avoisinants, son statut a été fortement menacé pendant de nombreuses années. L’association des mineurs a su capter l’attention de l’industrie du cinéma, qui a sauvé le site des bulldozers.

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Deux grands monuments du site de Wallers-Alenberg: le chevalement, et Jacques Potier, ancien mineur.

Sur le paysage se découpe l’ombre des chevalements. Ces grands monstres de fers ne sont plus en fonctionnement, mais l’écho de leurs ascenseurs semblent encore résonner dans les galeries. À mes côtés, entre deux blagues baragouinées dans un patois ch’ti, Jacques Potier.

Jacques fait ma taille, sent la bière et a la langue bien pendue, même s’il garde une noble politesse pour parler de son patrimoine. 
C’est du haut de ses 15 ans qu’il est arrivé la première fois aux mines. « Ici, on est mineurs de père en fils » Pas le choix.

Si aujourd’hui tout adolescent tremblerait comme une feuille à l’idée de descendre « au fond », Jacques, lui, fait référence à ce temps comme « la bonne époque ». La journée était néanmoins était très rude: lever dans les corons à l’aurore, descente dans les galeries à 6h30, retour à l’air pur à 13h30, passage à la douche, avant de souffler dans la salle des pendus. Dans les galeries reconstituées, faites de carton-pâte de cinéma, Jacques me montre l’ascenseur, divisé en deux. « Du côté droit, tu descends blanc. Du côté gauche, tu remontes noir. Et attention, ce n’est pas raciste c’que j’dis hein ! ». Si cette remarque me fait rire, Jacques ne plaisante pas. Sa mine, c’est la moins raciste de la région selon lui. Ici, ils étaient tous frères. D’ailleurs, à la fin de la journée, après la douche, on avait l’habitude d’aller à l’estaminet de l’autre côté de l’avenue « boire quelques bières ».

Au cours de notre visite, il m’explique l’histoire. La mine a fermé en 1989, et durant deux ans, les mineurs se sont battus contre des coopératives voulant racheter le site et le raser.
Ils créent une association d’anciens mineurs pour la défense de leur patrimoine. Le réalisateur Claude Berri prend vite part à leur combat. Soumettant son scénario de Germinal, il investit les lieux pour le tournage du film. Les décors, ils les a laissés sur place. Et face au succès du long-métrage, tout le site se réadapte. L’association des mineurs propose des visites individuels ou en groupe du site, et côtoient l’industrie cinématographique: un studio de cinéma s’installe à quelques pas, sous le plus petit chevalement.

L’histoire semble s’être arrêtée quand on parle avec Jacques. Il me dit être content des cinéastes, mais il m’en parle d’une manière distante, comme s’ils faisaient partie d’un autre monde, bien qu’ils aient sauvé le sien. Lorsque je vois poindre sur ses traits une mélancolie, je lui demande si tout ça lui manque. Il me répond alors « J’en ai perdu des copains, mais les murs sont toujours là. Et tant que moi j’serai là, ça bougera pas. »

Preuve qu’on a pas besoin de courir de très longues distances pour voyager à travers des histoires. Le patrimoine de la région, entre terrils et centres miniers, s’est retrouvé en danger à plusieurs reprises avant d’être intégré au patrimoine de l’UNESCO. Leur immobilité risque d’être tout autant néfaste pour leur longévité, et pourtant des appels à projets se bousculent à la porte. À l’image du site de Wallers-Arenberg, inachevé bien que réhabilité, Jacques pointe le problème « Ce sont les financements qui manquent. ».
Peu de gens veulent investir dans ces zones oubliées.  Aujourd’hui, le site constitue d’ailleurs une étape du Paris-Roubaix. Et ce qui nous rassure en partant, c’est que si la silicose n’a pas su l’achever, aucun bulldozer ne saura lui passer dessus.

Camille Vanderschelden