Le quotidien des directeurs d’école : « Rien n’a changé depuis le décès de Christine Renon »

Un an après le décès de Christine Renon, directrice d’école à Pantin, en septembre 2019, les revendications des directrices et directeurs d’école sont restés les mêmes. Nombreux sont ceux qui dénotent l’absence de changement depuis cet évènement et leur quotidien semble être toujours aussi épuisant.

« C’est la course totale« , ce sont les premiers mots que la directrice Agathe formule lorsque nous décrochons le téléphone. Nous entendons sa voix essoufflée et devinons à travers le téléphone qu’elle peine à reprendre sa respiration. Nous pourrions presque entendre les palpitations de son cœur et voir ce dernier s’emballer. Elle poursuit tout en essayant de reprendre son souffle. « Je ne fais que courir« .

Agathe a 38 ans et est directrice d’école maternelle dans la région PACA. Travaillant dans la fonction publique, elle est soumise à un devoir de réserve. Nous préservons donc son identité. Elle a débuté en tant que directrice d’école maternelle, en septembre 2016, sans aucune formation. Ce n’est qu’à la fin de l’année, qu’elle a bénéficié d’un stage de formation d’une durée de trois semaines. Pendant cette période, elle explique avoir dû apprendre énormément de choses en un laps de temps assez court. Une réalité qui ne la concerne pas uniquement. L’enquête d’Opinionnway publié le 7 janvier dernier sur le site du ministère de l’Éducation Nationale révèle que sur les 64% de la profession à avoir répondu au sondage, 54% des directeurs indiquent n’avoir jamais « bénéficié de formation continue depuis leur entrée dans la fonction ». Et de nombreux directeurs disent ressentir le besoin d’une formation.

Mais avant d’être directrice, Agathe est enseignante. En effet, la direction des établissements du premier degré (maternelle et élémentaire) est confiée à un instituteur ayant au moins deux ans d’ancienneté. Le directeur cumule donc deux postes. C’est le cas d’Agathe qui enseigne quatre jours sur cinq, mais aussi celui de Claire ancienne directrice de maternelle et Jean-François directeur en école primaire depuis 20 ans près de Reims.

« Une surcharge de travail« 

Pour assurer son poste à la direction, Agathe dispose d’un jour pendant lequel elle est déchargée de son poste d’enseignante. Mais ces heures ne semblent pas suffisantes. Depuis l’affaire de Christine Renon, tous trois affirment haut et fort : « Concrètement, non, il ne s’est rien passé. Il n’y a eu que des annonces« . Ce que réclament les directeurs c’est plus de temps, plus de décharges et une aide administrative. « Depuis des années et des années, c’est ce qu'[ils] demandent » affirment Agathe.

Tous ou presque ont encore en mémoire le suicide de Christine Renon. Il y a un an, une vague de protestations dénonçant les conditions de travail des directrices et directeurs d’école, déferlait sur les réseaux et différents médias. Christine Renon avait laissé une lettre accusant l »Éducation Nationale et le gouvernement de les surmener et de ne pas mettre en place des dispositifs leur permettant d’alléger leur charge de travail. En ayant rencontré plusieurs directrices et directeurs d’école, les conditions de travail ne semblent pas avoir évolué.

Son sacrifice n’a servi strictement à rien, d’ailleurs, nous recherchons de nouveaux directeurs pour se suicider » –

Jean François, directeur d’école sur le ton de l’ironie attestant de son désarroi

« Avec la Covid c’est pire qu’au temps de Christine Renon malheureusement” affirme Agathe. Pour pallier ce manque, elle, comme beaucoup de directeurs cumulent les heures supplémentaires. Son contrat de 35 heures encadre sa journée. Sur le papier elle devrait faire 8h20-11h30 puis 13h20-16h30. Pour atteindre les 35 heures, l’Éducation Nationale compte neuf heures de préparation pour les cours.

Pour les enseignants et directeurs en élémentaire, 108 heures supplémentaires sont prévues pour l’organisation, les réunions avec les parents et autres préparations. Mais le travail consacré à la direction n’est pas compris dans ce temps horaire.

En plus de la charge de travail, les directeurs doivent également composer avec un manque de moyens pour encadrer et accompagner les enfants en situation de handicap. Une responsabilité importante pour des personnes n’ayant pas été formées pour. Agathe, Claire et Jean-François ont tous affirmé devoir se battre pour obtenir un AESH (Accompagnants des Elèves en Situation de Handicap).

Claire explique que les directeurs gagnent 150 euros en plus par mois.

Claire rappelle aussi que les directeurs ont la responsabilité des élèves au pénal, ce qui ajoute une part à leur stress quotidien.

Enfant dans la cour de l’école – image libre de droit. Crédit photo: Matthew Henry

Dans la peau d’Agathe

En réalité, lors des journées où elle enseigne, Agathe arrive à l’école vers 7h45 et passe au bureau de direction. Elle vérifie s’il y a des messages et des emails. Elle s’assure qu’à la garderie où se trouvent ses enfants, tout se passe bien. Puis elle prépare sa classe. À 8h20, les élèves rejoignent les bancs de l’école et suivent son enseignement jusqu’à 11h30, l’heure du repas pour les plus jeunes. Agathe enfile sa casquette de directrice et accompagne les élèves externes à la sortie pour qu’ils puissent aller déjeuner. Puis c’est son tour. En moins de 30 minutes, elle engloutit son repas et retourne aussitôt s’occuper de la gestion de la direction. À 13h30, c’est le retour des externes. Agathe ouvre le portail et accueille les enfants. Puis deux options se présentent à elle. Soit elle prend en charge un groupe car ses élèves en petite section font la sieste, soit elle retourne préparer sa classe. À 14h30 les enfants se réveillent. L’après-midi de classe débute. À 16h30 , elle rend les élèves aux familles un par un avant de retourner au bureau jusqu’à 17h30-18h, des heures supplémentaires qui ne sont évidemment pas comptabilisées. Claire, ancienne directrice d’école maternelle vers Reims, partageait aussi le même type de journée. Elle ne quittait jamais l’école avant 17h30. Et c’est sans compter les réunions qui peuvent parfois s’étendre jusqu’à 20 heures.

Pour les directeurs, des demi-journées leur sont accordées, lorsque l’école compte plus de trois classes, afin qu’ils puissent s’occuper des tâches spécifiques à la fonction. Pour Agathe, c’est le jeudi. Mais ces temps semblent ne pas suffire puisqu’elle se rend un mercredi après-midi sur deux à l’école pour travailler. L’école est fermée, elle en profite donc pour avancer sur ses différentes missions en tant que directrice. Avant, elle s’y rendait toutes les semaines mais sa vie personnelle ne le lui permet plus. Alors, elle se sent davantage stressée et surmenée.

En tant que directeurs, ils se retrouvent à échanger avec un large public. Ils s’occupent à la fois des élèves de l’école, de leurs classes dont ils ont la charge quatre jours sur cinq, et des parents d’élèves. Avec le plan Vigipirate, l’entrée des parents dans l’établissement est interdite . Ils assurent donc le retour des élèves auprès de leur famille. Mais Ils échangent également avec la mairie et l’Éducation Nationale. En effet, les locaux des écoles maternelles ainsi que ceux du primaire appartiennent aux municipalités. Certains intervenants comme les animateurs ou les ATSEMs (agent territorial spécialisé des écoles maternelles) sont gérés par les villes.

Cette multitude d’échanges expliquent que plusieurs tâches, plus ou moins importantes, se cumulent et s’ajoutent à sa journée. Aujourd’hui, jeudi 8 octobre, journée de décharge, elle avait prévu un exercice de sécurité. Ce dernier doit obligatoirement être réalisé la premier période de l’année, avant les vacances de la Toussaint. En lien avec les attentats terroristes et notamment celui de Nice du 14 juillet 2016, l’Académie demande à la direction de rédiger des plans particuliers de mise en sûreté. Avant la mise en place du plan Vigipirate en France, les plans concernaient uniquement les préventions aux risques naturels comme des inondations, des incendies, les séismes ou autres. Désormais il y a ce nouveau plan particulier de mise en sûreté en cas d’attentat. Agathe avait donc déterminé la date et l’heure de l’exercice, elle l’avait rédigé et avait prévenu les parents des enfants en amont. Une fois l’exercice réalisé, elle doit faire remonter son compte rendu ainsi que ses remarques qu’elle dépose sur une plateforme dédiée.

Cet exercice faisait partie des choses importantes qu’elle devait impérativement gérer ce jeudi. Mais au fil de la journée, un tas d’imprévus se sont accumulés et elle explique : « je n’ai pas pu boucler mes travaux comme je l’aurais souhaité, et c’est tout le temps comme ça ».

Un dévouement qui empiète sur la vie privée

Selon Claire, si l’École tient toujours debout, malgré l’épuisement général des directeurs et enseignants, c’est en partie parce que ces personnes sont dévouées envers leurs écoliers.

Claire affirme que le système continue de fonctionner parce que le dévouement des directeurs(trices) et enseignants est presque sans limite.

Il arrive parfois que les directeurs(trices) se retrouvent en charge de missions qui ne sont pas les leurs. Jean-François explique même qu’il lui arrivait de partir de l’école pendant son temps de délégation pour régler des problèmes de maintenance comme une ADSL qui ne fonctionne pas. Or, il n’est pas légalement en droit de quitter l’école pendant ces heures.

Jean-François


Selon l’étude d’OpinionWay , sur l’ensemble des directeurs ayant répondu au sondage « 9 directeurs sur 10 déclarent » être interrompus pour répondre à « une sollicitation liée à leur fonction de direction » lorsqu’ils sont en classe.

Son métier, bien que passionnant, a un impact sur sa vie privée. Maman de deux jeunes enfants de 7 et 4 ans, elle doit sans cesse s’organiser pour combiner à la fois sa vie privée et sa vie professionnelle. « J’ai moins de disponibilité que certaines directrices plus âgées ou ayant des enfants plus grands et donc plus autonomes. Mes enfants sont constamment à la garderie, ils n’ont pas choisi d’être enfant de directrice ».

Le soir, une fois rentrée chez elle, Agathe continue de travailler et sent que cette pression pèse sur son comportement. Elle ne se sent pas toujours très calme et apaisée. Ses journées fusent à 100 à l’heure. Le cerveau toujours en ébullition, elle note sur son carnet les choses à faire pour le lendemain. Les heures passent et la liste s’allongent. Son travail, elle y pense tout le temps.

Mais au final, pour eux, ce poste est très important. Avant d’être directeur, ils sont enseignants. S’ils ont choisi ce métier c’est avant tout par passion et pour transmettre leur savoir aux générations futures. Selon Agathe, » l’École » devrait être « un idéal de société » et refléter les valeurs de cette dernière.

Agathe, comme beaucoup, aime son métier

Maëlliss Patti et Romain Goudarzi.