Quand Bombay danse avec Lille…

Quelle histoire se cache derrière les curieuses chorégraphies hollywoodiennes ? Inutile de prendre l’avion pour Bombay, Mastani, une association lilloise, nous livre quelques clés pour comprendres d’anciennes traditions indiennes.

  A ceux qui pensait que la musique et la danse avaient cessé d’être, En Fait vous ouvre les portes du Mastani, une association “familiale” gérée par sept femmes, et qui depuis cinq ans déjà, propose des cours et stages de danses indiennes à Moulins. Leur but ? Faire découvrir la culture indienne tout en se faisant plaisir : “la danse ça doit pas être une prise de tête, ce n’est pas à l’asso de créer une exigence”, affirme Vidji, la présidente.

Marine (en haut) fondatrice & directrice artistique, et Vidji (présidente), habillées d’un sari, qui se compose traditionnellement d’un choli (blouse près du corps).


  Bollywood, c’est la réunion de “Bombay” et “Hollywood” pour désigner l’industrie du cinéma en Inde dans les années 70. S’il est encore aujourd’hui très apprécié d’après Vidji, c’est en raison de ses chorégraphies contemporaines puisant leur source dans les deux épopées fondatrices de la mythologie hindouiste: le Ramayana et le Mahabharata (-500 av JC).

Ces deux textes sont notamment à l’origine de la très symbolique histoire de Rama et Sita, deux amants bannis du royaume d’Ayodhya. Après s’être réfugiés dans la forêt, le démon à neuf têtes Ravana, sous le charme de Sita, décide de l’enlever. Mais Rama n’a pas dit son dernier mot. A l’aide du Dieu singe Hanumān, il forme une armée et s’engage dans une longue bataille contre le démon, qu’il finira par vaincre. De retour au royaume, le couple est accueilli par des diyas, sortes de lampes aujourd’hui symboles de la fête Divali célébrée partout en Indes en octobre.


Rāvaṇa aux dix têtes et aux vingt bras


    Cette histoire ruisselante de symboles (le bien, le mal, l’entraide, l’amour, la séduction), est un premier aperçu des nombreux codes présents au sein des danses indiennes classiques. La tenue vestimentaire constitue à elle seule un ensemble de connotations non négligeables: elle varie selon l’activité, la danse, le jour, ou la caste, qui se constitue des Brahmanes (prêtres), des Kshatriyas (guerriers), des Vaishyas (artisans et marchands) et des Shudras (ouvriers et serviteurs). Les autres sont les Dalits (intouchables).


Groupe de Mastani, en tenue orange et vert (symbolisant respectivement la spiritualité et la festivité), dans une danse en hommage à Ganesh.


  De la même façon, les mouvements de danses ne sont pas le fruit du hasard. Ils sont clairement explicités dans le Nāṭyaśāstra considéré comme le cinquième Veda (textes d’origine divine). Datant du IIe siècle, il aurait été écrit en sanskrit (langue ancienne du sous continent indien) par le dramaturge Bharata Muni. et se compose de trente-huit adhyâya (chapitres) définissant l’idéal esthétique indien, soixante-sept mudrâs (positionnement des mains), et trente-six mouvements d’yeux. Il est également fondé sur la production de huit émotions primaires.


Mouvement pendant lequel Marine montre qu’elle se regarde dans un miroir et met sa Tika, le bijou que l’on place au milieu du front.

    Parmi les danses classiques les plus populaires reprenant ces traditions et ayant inspiré la danse bollywoodienne, l’on compte notamment le Bharata Natyam (danse du temple). Il nait de l’interdiction par les colons britaniques (début XXe) aux devadasi de pratiquer leur danse de temple, alors considérée comme de la prostitution. A noter qu’il existe également de nombreuses danses indiennes n’ayant pas pour référence le Nāṭyaśāstra, et qui rencontrent un fort succès aux Etats Unis et en Europe.



Groupe de Mastani, en tenue jaune et noire (respectivement symbole de lumière et de pureté originelle) réalisant la danse du Banghra, à base de percussions.

   De son côté, l’association Mastani joue des codes traditionnels, en y ajoutant son grain de sel. L’an passé, la présidente avait proposé la création d’une histoire comme base chorégraphique du gala: “l’imaginaire indien se redécouvre au contact de l’asso. C’est aussi en se renouvelant que l’on capte le public” affirme Vidji, qui se souvient du succès de la représentation. Et Mastani n’a pas dit son dernier mot. Car malgré les contraintes sanitaires que l’on connaît (annulation des représentations), l’association continue de donner ses cours en visio ou en demi-groupes.

Emilie Cordier