Etions-nous mentalement préparés à un deuxième confinement ?

  Face à la seconde vague épidémique, les psychologues ont dû adapter une nouvelle fois leur mode de consultation. Pour Isabelle Chambon, psychologue à l’hôpital de Toulon, cette période d’isolement s’annonce encore plus complexe que la première, et pas seulement pour les patients…

Le télétravail: “un exercice auquel nous n’étions absolument pas préparés”

   Déjà en mars, Isabelle Chambon avait dû faire preuve de flexibilité en proposant des rendez-vous non plus physiques mais téléphoniques. “Moi tant pis je vais faire front à ce virus, car j’ai besoin de venir vous voir” lui assurait l’une de ses patientes. Mais dans le cadre hospitalier, impossible de faire exception. “C’est un exercice auquel nous n’étions absolument pas préparés” insiste la psychologue, dont les patients, pour beaucoup atteints du SIDA, sont réticents à adopter la technologie. “Ce sont des personnes désocialisées (…), ils sont confinés depuis bien longtemps” poursuit-elle.

Sans compter qu’Isabelle Chambon a également dû repenser la manière d’établir le contact avec un nouveau patient: “Une secrétaire à l’hôpital identifiait les personnes isolées et je les appelais ensuite, sans jamais les avoir rencontrées. En temps normal, la demande émane soit d’un médecin, soit du patient lui même. C’est donc quelque chose de totalement nouveau dans mon travail”.  

“Un cadre qui a volé en éclat”

 Si ces nouvelles formes de consultations constituent “un moyen d’éviter des aggravations”, elles ne représentent en revanche pas une alternative durable aux séances habituelles: “Il pouvait y avoir un travail d’élaboration, mais c’est toujours à reprendre en présence car c’est l’essence même de la thérapie. (…) Ces rendez-vous téléphoniques étaient une contenance psychique”.  Selon Isabelle Chambon, une thérapie doit nécessairement se réaliser dans un cadre, défini par un lieu, un espace, et un temps. Mais depuis le confinement, ce cadre a volé en éclat.

S’est alors établi un tout nouveau rapport entre le le psychologue et le patient: “Il y a eu un envahissement du travail dans ma vie personnelle. Les patients avaient mon numéro de téléphone, et pouvaient m’appeler le soir, dans des moments d’angoisse.. il m’arrivait de travailler de 9h jusqu’à 21h.” Mais pour la psychologue, cet investissement était un mal nécessaire face à la dangerosité du contexte: “c’était soit ça soit laisser les patients seuls et isolés. Pour beaucoup le confinement était un ascenseur vers le désespoir”.

“Le premier confinement a réveillé des angoisses”

Paradoxalement, cette crise a également permis à Isabelle Chambon de travailler avec ses patients sur des peurs profondément enfouies, qu’ils n’avaient auparavant jamais partagées.

“Le mécanisme de défense de certains patients atteints de VIH a volé en éclat. Ce sont des personnes qui ont déjà connu ce qu’était un virus. Ils sont vraiment dans la prise de conscience qu’ils peuvent mourir. Et ce virus est revenu mettre le doigt dessus.” Pour répondre à ces angoisses, la psychologue a alors choisi de mettre entre parenthèse certaines problématiques pour axer ses entretiens sur la question du temps pendant le confinement: “C’est vrai qu’on abordait moins certains sujets comme le viol, une inquiétude par rapport au conjoint, aux enfants, la maladie…. Ce qui était essentiellement questionné c’était ce rapport au temps suspendu, qui est tout à fait singulier chez des personnes malades”.

Pour autant, si la nouveauté que représentait le premier confinement a parfois permis de libérer la parole, il en est autrement du second: “ça a été supportable parce que c’était quelque chose que personne ne connaissait, mais les gens vivent beaucoup moins bien le second confinement.”

“C’est comme si nous étions capables de supporter et penser toutes les situations”

Mais les patients ne sont pas les seuls à avoir dû affronter l’angoisse. Comme le rappelle Isabelle Chambon, les psychologues ont également été pris de court face à l’épidémie: “On a été embarqué comme tous les autres dans ce mouvement de sidération, avec la peur de mourir ou d’attraper le virus, surtout à l’hôpital.” La psychologue pointe alors du doigt la représentation erronée d’une profession pensée comme invulnérable: “On a eu un rôle à jouer partout, auprès des patients, des équipes soignantes et des médecins. C’est comme si nous étions capables de supporter et penser toutes les situations”.

Échanger avec d’autres professionnels du métier a alors été déterminant pour repenser son travail et poursuivre son activité. “De mon côté, j’ai fait les démarches auprès de psychologues pour réfléchir”.  Même si pour l’instant peu d’écrits ont été publié dans le domaine, une chose est certaine: cette période de crise fera l’objet de nombreuses études inédites.

Emilie Cordier