ENQUÊTE: Comme J’Aime, maigrir mais à quel prix?

Comme J’Aime, ça marche”, c’est le slogan du programme minceur à domicile numéro 1 en France. Lancé en 2010 par Bernard Canetti, il s’est imposé sur le marché avec une campagne de publicité presque agressive. Pourtant, certains professionnels de l’alimentation se montrent sceptiques à son égard. Communication, santé et assiette: la recette miracle de Comme J’Aime ? 

Nous répondons à tout le monde, nous sommes très accessibles” nous assure Mathilde Canetti, directrice générale de Comme J’Aime. Accessibles oui, mais méfiants. Selon elle, les journalistes font partie des détracteurs du programme: “C’est la rançon du succès, on a fait beaucoup de pub, on a été très visible.  Aujourd’hui, “ un article sur Comme J’Aime, fait vendre, surtout quand on le critique”. Elle regrette cependant un intérêt médiatique tardif venu en 2015, après le succès du programme: “On est parti de rien. Personne ne s’est intéressé à nous et on s’est accroché. C’est dommage de ne pas souligner quand une entreprise en France réussit et surmonte les difficultés”.

Mathilde Canetti l’avoue, “c’est grâce à la pub que ça marche”. Selon une enquête du Parisien, l’entreprise est en 2018 le premier investisseur de spots publicitaires avec un budget de 128 millions d’euros. Pour autant, le choix d’un tel budget a un effet d’usure sur la population causant même, une perte de crédibilité. Sur les réseaux sociaux, Comme J’Aime a été tourné en dérision à de nombreuses reprises.

Bienveillance ou soft power alimentaire ?

Aujourd’hui, Comme J’Aime compte 350 employés. Et si la méthode a été vivement critiquée, son succès, lui, est indéniable. Selon la directrice, il repose notamment sur un  aspect: “introduire l’humain dans la perte de poids, l’échange, le dialogue.” Un accompagnement qui instaurerait une véritable relation de confiance: “On n’est pas une machine qui donne un texte pré fait” annonce-t-elle. 

Une affirmation qui fait sourire Marie (prénom modifié), ancienne téléconseillère chez Comme J’Aime. Recrutée en 2018, elle a rapidement rompu son contrat, mal à l’aise avec l’idée de vendre un programme dont elle connaissait un peu trop l’envers.

Si la société a été épinglée en 2019 pour “publicité mensongère” avec sa semaine gratuite, Marie, le savait déjà: “Pour avoir la semaine gratuite, il fallait payer la formule d’un mois. Les clients qui n’étaient pas satisfaits pouvaient être remboursés, oui, mais ils devaient payer les frais de port pour renvoyer le colis, aux alentours de 25€”.

Sur le site, la légende précise désormais que les frais de port de retour sont aux frais du client souhaitant arrêter le programme (Source: commejaime.fr)

Sa mission chez Comme J’Aime? Contacter ceux qui avaient déposé une demande en ligne. S’ ils ne répondaient pas, elle devait les appeler plusieurs fois pendant une semaine: “Pour moi, c’était du harcèlement. J’étais gênée d’insister mais j’étais obligée”.

Sur le site, la légende précise désormais que les frais de port de retour sont aux frais du client souhaitant arrêter le programme (Source: commejaime.fr)

Et lorsque les potentiels clients répondaient, l’appel devait durer entre 20 et 45 minutes, le temps de les “mettre en confiance”. “Il fallait appâter, vendre du rêve et avoir réponse à tout.” Les techniques de vente étaient bien rodées. Marie avait reçu des exemples de cas, au cours de sa formation, l’aidant à savoir comment rebondir avec les clients. Elle se devait d’être convaincante, son salaire dépendait du nombre de programmes qu’elle parvenait à vendre par semaine, après tout.

Comment convaincre les clients? La réponse Comme J’aime (Source: anonyme)

Les courses, c’est vraiment fini?

Le détail qui fait toute la différence (Source: commejaime.fr)

Pour se vendre, Comme J’Aime vante l’absence de corvée: plus de courses ni de cuisine: les repas livrés à domicile, sont prêts en seulement 2 minutes.

Sur la brochure du programme, la précision “hors laitages et fruits” est mise entre parenthèses, pourtant, ce n’est pas un détail anodin. Comme l’explique Marie, au programme déjà onéreux, “ il faut encore ajouter des produits frais (ndlr: laitages, fruits et légumes)  qui représentent, eux aussi, un certain budget” explique Marie.

Si cette dernière a préféré renoncer à l’aventure Comme J’Aime, trouvant le métier de téléconseiller trop “agressif”, tous les postes sont différents. Juliette (prénom modifié), employée en tant que diététicienne à ses débuts, tient à distinguer le service commercial du service diététique dans lequel “Il n’y a pas de démarchage”. Il s’agit alors de suivre les clients qui ont déjà reçu leur colis pour les mettre en confiance et entretenir avec eux un lien particulier: “Le but, c’est que le client ait envie de continuer avec nous et qu’il ne s’arrête pas au premier colis”.

 La Santé au second plan

Pour décrypter le contenu du programme Comme J’Aime, nous avons confronté le point de vue de deux professionnelles de l’alimentation. 

La première, Juliette, est employée chez Comme J’Aime. Soumise à la clause de confidentialité, elle explique que chez le géant du repas minceur à domicile, seule la directrice Mathilde Canetti est habilitée à répondre aux questions des journalistes. Une discrétion, qui évite selon elle un certain acharnement: “Il y a eu un procès, des enregistrements, des enquêtes… Chaque entreprise a du bon et du moins bon, et en tant que salarié c’est important de le respecter.” Du “moins bon”, que les clients de Comme J’Aime n’aimeraient sûrement pas retrouver dans leurs assiettes…

Juliette travaille au sein de Comme J’Aime depuis plusieurs années (imprécision volontaire). Si elle ne peut donner l’intitulé de son poste, elle explique être entrée dans l’entreprise comme coach en diététique. Fraîchement diplômée, elle s’est tournée vers Comme J’Aime avec l’envie d’y trouver une stabilité et une indépendance financière.  » À l’époque, c’était une entreprise familiale, on était que 5 diététiciennes, il y avait vraiment une bonne ambiance et une proximité entre la direction et les salariés qu’il n’y a plus aujourd’hui”.

« S’il fallait être diététicienne pour avoir le poste à l’époque, ce n’est plus le cas maintenant« , explique-t-elle. Moins d’exigences sur le CV et des contrats plus courts: c’est le nouveau modèle de l’entreprise. Des décisions qui ont entraîné un “turn over énorme” au sein du personnel. “Je pense que les diététiciennes s’attendaient à plus de proximité avec le client (Ndlr: et non patient), le téléphone ce n’est pas fait pour tout le monde non plus, ici c’est 20 minutes par client, il faut rentabiliser le temps”.

Mais finalement, qu’est ce qu’on mange?

En présentant le contenu du programme, Juliette insiste: “On n’est pas sur une privation, ce qu’on prône c’est une alimentation équilibrée, inspirée du PNNS: le programme national de nutrition santé” (cf: mangerbouger.fr). Pour ce faire, le régime se base sur une moyenne calorique de 1200 à 1500 calories. 

Ce qu’on propose est varié: légumes, féculents, protéines et à partir du moment où l’alimentation est équilibrée, on évite les carences nutritionnelles”. En ce sens,  explique Mathilde Canetti, Comme J’Aime est un programme alimentaire et non un régime restrictif. “On réapprend à manger en bonne quantité”.

Des arguments plutôt convaincants (Source: commejaime.fr)

Entre alors en jeu le point de vue de notre deuxième spécialiste de l’alimentation, Cécile Fanchon Périou, diététicienne, nutritionniste et sophrologue à Lille. Lorsque nous lui parlons de la fourchette de calories utilisée par Comme J’Aime, celle-ci alerte sur ses risques. Selon elle, ce nombre est à la limite des calories nécessaires au bon fonctionnement du métabolisme de base soit, de la consommation d’énergie nécessaire aux organes vitaux. 

Concernant les menus, elle redoute des plats riches en protéines, possiblement problématiques pour les personnes atteintes de diverses pathologies : “Il n’y a pas de vrai suivi au niveau médical, alors que ce n’est pas anodin de faire un régime comme ça. Le plus souvent, si vous décidez de faire un régime, c’est parce que de base vous n’êtes pas en très bonne santé” (sauf s’il s’agit de “2-3 kilos pour des raisons esthétiques« , ajoute-t-elle).

Le plus  souvent, les clients de Comme J’Aime souffrent d’un déséquilibre alimentaire qui les conduit à une perte d’entre 8 à 10 kg. Alors si le programme est accessible à tous, il n’est pas vendu aux mineurs, aux personnes sous traitement ou encore à celles ayant des TCA: anorexie, boulimie… 

Pour le diagnostic client,  chez Comme J’Aime: “On se base sur l’IMC, sur l’activité de la personne et sur ses antécédents de santé” répond Juliette. Si une personne a un IMC inférieur à 20, le programme lui sera refusé. En fonction du profil, plusieurs formules existent: “On propose trois programmes. On pourrait faire mieux mais en matière de logistique c’est impossible”: des contraintes logistiques qui semblent prévaloir sur la bonne santé des clients. 

Sur le site, les champs sont déjà pré remplis sur un surpoids (Source: commejaime.fr)

Pour la diététicienne et nutritionniste lilloise, le calcul de l’IMC (poids divisé par la taille au carré) utilisé par Comme J’Aime, n’est pas une valeur sûre. La formule ne prend pas en compte certaines variables essentielles selon elle, telles que l’âge, le métier, l’histoire, la culture, ou encore l’éducation reçue. 

Comme J’Aime: qu’en pensent les clients?

Estelle, (prénom modifié) a testé le régime pendant quelques mois. Sa principale motivation? Le budget. Elle l’avoue, la première semaine a été dure car  la sensation de faim était très présente. Mais l’adaptation s’est faite progressivement et elle a rapidement perdu du poids qu’elle n’a pas repris par la suite. Si le programme a fonctionné sur elle, elle avoue qu’il est compliqué à suivre sur le long terme à cause d’une certaine lassitude. 

Et après la diète?

En l’espace de 10 ans, Comme J’Aime a accompagné plus de 400 000 personnes, mais Mathilde Canetti met en garde: “Ce n’est pas une technique miracle”, une personne pourra reprendre du poids si elle retrouve ses mauvaises habitudes. 

Selon Juliette, un régime de 1200 à 1500 calories n’est pas viable à vie, c’est pourquoi, après plusieurs semaines de programme, Comme J’Aime propose à ses clients une phase de stabilisation: “On les réintroduit à 1800 calories avant qu’ils reprennent une alimentation normale lorsqu’ils ont fini Comme J’Aime” explique-t-elle. Une alimentation normale? De quoi rappeler la particularité de ce “rééquilibrage alimentaire”.

Des repas présentés avec de bonnes qualités nutritionnelles (Source: commejaime.fr)

Une méthode remplie d’illusions pour Cécile Fanchon Périou: “On vous vend des paillettes et du rêve. On vous dit: vous occupez pas, on va le faire à votre place, mais on ne vous apprend pas comment faire et ça finit par déséquilibrer la personne dans sa vie quotidienne”. Un aspect qui, selon la spécialiste, joue également sur la culpabilité des personnes: “Avec ce genre de programme, on en arrive vite à se dire: si tu n’es pas capable de le faire, tu es nul. On culpabilise la personne de ne pas être à la hauteur dans une société de consommation”.

Des croyances opposées qui illustrent un métier de diététicien bien différent à l’extérieur de Comme J’Aime. Cécile Fanchon Périou explique, “Notre travail, c’est d’éduquer les gens sur ce qu’ils doivent manger dans cette société capitaliste qui encourage l’argent.” Un système libéral sur lequel s’est construit Comme J’Aime: “Pour faire du bénéfice, ils font avaler des produits de mauvaise qualité nutritionnelle et des gélules en disant que ce sera plus efficace alors que nous, on essaye de faire consommer en conscience, local et un peu plus végétarien….” Un contre-discours sur l’alimentation minceur que la diététicienne et nutritionniste lilloise regrette.

Comme J’Aime, régimes et programmes minceurs : entre enjeux de santé et intérêts pécuniaires

Si les sujets de la minceur et du poids sont devenus politiques dans nos sociétés, ils  posent également certaines questions sur le plan de la santé. Outre l’enjeu médical, ils soulèvent des problématiques sociales, esthétiques ou encore bien-être.

Face à ce constat, c’est un marché très alléchant qui s’est organisé, et ce, depuis plusieurs décennies: régimes draconiens, programmes minceur, médicaments amincissants… Selon la directrice de Comme J’Aime,  Mathilde Canetti, “beaucoup de méthodes ont eu un effet de mode et ont disparu”.  Ainsi, dans ce business, l’enjeu est aujourd’hui de s’imposer en tant que leader.

Mais retrouver la santé et la ligne grâce à un programme est-ce vraiment possible? Des exemples comme celui de Comme J’Aime montrent que dans leur quête de minceur,  beaucoup sacrifient leur forme ou leur porte-monnaie.

Les 3 programmes phares (Source: commejaime.fr)

Alors comment solutionner le problème du poids? Pour Cécile Fanchon Périou, diététicienne et nutritionniste, il s’agit avant tout une question d’équilibre et de conscience sur le système alimentaire contemporain: “A l’heure actuelle, avec tout ce qui se passe dans le monde, on devrait apprendre à bien manger, arrêter de surconsommer, protéger notre organisme… ”. Se détourner progressivement de la surindustrialisation liée à alimentation et privilégier les objectifs santé aux objectifs minceur, telle pourrait être la clé d’une alimentation responsable et raisonnable pour la santé de l’Homme et de l’environnement puisque avant d’être l’objet d’un marché la nutritionniste le rappelle: “L’alimentation, est une médecine de prévention.”

Flore Lheureux et Manon Serenne