Gronde dans les écoles : pour les enseignants, le protocole sanitaire est jugé inapplicable

Ce mardi 10 novembre, certains enseignants sont en grève dans toute la France. Dans la ligne de mire de ce mouvement de prévention : des conditions sanitaires inadaptées à la situation. Et la crainte de voir, une nouvelle fois, les établissements dans l’obligation de fermer leurs portes.

Épuisé, stressé, écœuré… Faute de rassemblement possible, le Syndicat National Unitaire des Instituteurs, Professeurs des École et PEGC du département du Nord (SNUipp), affilié à la Fédération Syndicale Unitaire (FSU), a mis en place sur son site un « mur d’expression » où les enseignants sont invités à exprimer leur ressenti. Ce sont les mots qui ressortent le plus. Ils dénoncent un protocole sanitaire contradictoire et impossible à appliquer dans les classes. La communication du gouvernement est aussi visée : « mensonges et mépris », « on apprend les infos sur BFM », etc… Un véritable ras-le-bol est né de ce manque de clarté depuis la rentrée de novembre. « Bien qu’il soit compliqué à porter, le masque dès 6 ans protège les professeurs et les élèves. C’est une satisfaction » dévoile Alain Talleu, co-secrétaire départemental du SNUipp et enseignant dans une classe de CM1/CM2. Seul élément indispensable à la limitation du virus qui est respecté, le masque est l’arbre qui cache la forêt. Dans laquelle se trouve le problème de la distanciation sociale et de la limitation du brassage.

Des classes surchargées

« Mon souhait, c’est de passer à des demi-groupes », révèle Alain Talleu, en accord avec Corine Bastoni*, mère d’élève qui réclame des « classes hybrides. » Elle a retiré sa fille de la cantine et de la garderie. Bien lui a pris : la restauration et les temps périscolaires réduisent à néant le principe du groupe classe. Les élèves sont brassés entre eux. « En mai, les récréations étaient séparées. Il n’y avait pas d’échanges entre les classes », se rappelle le syndicaliste.

Aujourd’hui, les infrastructures ne sont pas forcément adaptées aux consignes : elles ne permettent pas à 30 enfants de se laver les mains dix fois par jour et l’aération des salles, toutes les deux heures, est parfois impossible. Le gel hydroalcoolique n’est pas forcément fourni. « Si on ne peut pas le faire, on laisse tomber… » regrette-t-il. La comparaison avec mai est criante. Les classes étaient réduites, les élèves décrocheurs, victimes de la fracture numérique, prioritaires, sur principe du volontariat. Alain Talleu analyse : « A l’École primaire, les enfants ne peuvent pas rester seuls chez eux donc la mise en place de demi-groupes est plus difficile, mais encore possible. Beaucoup de parents sont en télétravail et peuvent garder leurs enfants. Nous devons donner la priorité à ceux qui en ont le plus besoin. Tout le monde souhaite que l’école reste ouverte, même 2 jours sur 4. »

Le cruel manque de personnel

Une autre solution est ciblée par l’enseignant : augmenter les effectifs des professeurs. « Il y a une liste complémentaire de 55 noms dans le département, suite au concours de 2020. Seulement 8 ont été embauchés » déplore-t-il, alors que l’absentéisme est forcément grandissant. Ces renforts faciliteraient aussi la mise en place de demi-groupes. Lors d’une conférence de presse en ligne, organisée par les syndicalistes du Nord et du Pas-de-Calais, Thierry Quiétu, membre de la FSU Hauts-de-France, pointe un autre problème : « Il y a un gros manque de personnel nettoyant. Le ménage est par conséquent mal fait. Des endroits sont privilégiés. L’internat au détriment du gymnase, par exemple. Le plan de relance ne prévoit pas une augmentation de ces effectifs-là. »

Des parents pas toujours au fait du problème

Veille de grève, 16h30. C’est la sortie des classes à l’école primaire Desbordes-Valmore de Lille, dans le quartier des Bois-Blancs. Bien qu’il y ait un intervalle de 10 minutes entre la sortie des CP/CE1 et des CE2/CM1/CM2, un véritable attroupement se forme sur le parvis de l’établissement. Entre enfants, plus ou moins masqués, qui courent dans tous les sens, parents et instituteurs échangeant des informations, les distances semblent impossibles à respecter dans ces conditions. « Vous imaginez un enfant de 8 ans porter le masque toute la journée ? Je n’y crois pas » s’emballe Johannes Dutemple, père d’élève et employé dans le BTP. Il dénonce : « On leur donne deux masques pour la journée. Ce n’est pas assez. »

Attroupement à la sortie des classes aux Bois-Blancs, Lille, lundi 9 novembre (M.A.)

Mais sa colère n’est pas inhérente à chaque parent. Pour Mohammed Sadoun* et Olivier Willems*, le protocole est « applicable et parfaitement respecté. » Une réponse surprenante, mais ces deux pères d’élèves n’ont pas eu vent du mouvement de grève du lendemain alors que l’information est écrite noire sur blanc à l’entrée de l’école. La communication semble chancelante avec les enseignants, bien qu’ils soient eux-mêmes soumis à celle du gouvernement, qu’ils dénoncent tardive et incohérente. Certains parents s’en remettent donc aux dires de leurs enfants. Pour Houcine Affane, « les distanciations sont respectées, en classe comme à la cantine. » Mais selon Johannes Dutemple, son fils lui dit être assis à côté d’un autre élève. « Un mètre de distance, c’est impossible à appliquer dans une classe de 28. » Il a vu juste.

Mathieu Alfonsi

(*Noms et prénoms ont été modifiés)