Le fléau des arnaques à la location

Chaque année, et principalement au mois de septembre et de janvier (période de rentrée scolaire), des dizaines de témoignages apparaissent sur les réseaux de location d’appartement alertant sur des arnaques à la location, de la part de personnes averties ou victimes de ces dernières. Comment ces escrocs réussissent-ils à arnaquer à travers la location d’appartement et quelles en sont les conséquences ?

Dans le cadre de cette enquête, nous avons nous aussi cherché un appartement à Lille. Sur le site Leboncoin, nous avons trouvé une offre pour un studio de 22 m² situé Rue Masséna, pour un prix de 400 euros par mois toutes charges comprises, un prix 20% moins cher que les autres annonces du même type dans le même quartier. L’offre ne comportait aucune autres informations et nous a semblé suspecte. Nous avons donc pris contact avec le vendeur, qui nous a expliqué vouloir communiquer par mail. Il nous alors envoyé des photos et présenté l’appartement, tout équipé, à proximité de tout commerce pour un loyer mensuel de 400 euros charges comprises.

Il nous explique que l’appartement était occupé par sa fille pour ses études mais qu’elle venait de finir et rentrait chez eux en Corse. Une copie quasi conforme à celle de plusieurs autres offres, comme celle d’un appartement au 125 rue Solférino, 35 m² à 400 euros charges comprises (cité plus bas), qui recherchait un locataire pour l’appartement que sa fille quittait après avoir terminé ses études pour rejoindre Colmar.

Il nous a ensuite demandé, comme pour toutes les autres victimes, de lui fournir plusieurs documents comme garantie de la location, tel qu’ une pièce d’identité, un avis d’imposition, la dernière quittance de loyer, ainsi qu’un dépôt de garantie d’un mois de caution et d’un mois de loyer soit 800 euros via un mandat cash en bureau de tabac. Dans le doute et ne pouvant rien faire d’autre, nous avons décidé de stopper l’expérience. Par la suite, nous n’avons plus reçu de mail. De plus, rencontrer le “pseudo-propriétaire” était bien évidemment impossible.

Une méthode bien rodée

Dans la plupart des cas d’arnaque à la location, les appartements proposés se situent dans des « zones tendues », dans des villes de plus de 50 000 habitants dans lesquelles il y a un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logement. Dans ces zones, de nombreuses personnes rencontrent des difficultés sérieuses d’accès au logement. Ces zones dites « tendues » sont aussi caractérisées la plupart du temps par une moyenne du montant du loyer assez élevé. Il s’agit principalement de zones situées dans les grandes agglomérations françaises comme Paris, Marseille, Lyon, Lille, etc…

Les appartements proposés par les arnaqueurs sont généralement bien, voire très bien situés. Le loyer proposé est en-deçà de ce qu’on peut retrouver dans le quartier ou la ville, rendant l’offre très attractive. La plupart de ses offres sont accompagnées de photos d’appartement entretenu, « bien propre ». Ces annonces sont présentées au milieu d’une multitude d’autres et peuvent donc apparaître comme la perle rare.

Des excuses pour louer rapidement

Généralement, la discussion entre la victime et l’arnaqueur se fait via e-mail, où le faux propriétaire explique chercher dans l’urgence un nouveau locataire pour son appartement. Dans certains cas, la personne a des problèmes impérieux à régler dans une autre ville ou à l’étranger, dans d’autres, c’est un membre de la famille qui quitte le domicile et laisse donc l’appartement vacant.

Dans ces villes tendues, les propriétaires n’hésitent pas, pour se prévenir de tout impayés, à multiplier les garanties. Les demandes faites par l’arnaqueur à la victime peuvent donc sembler légitime. Pièce d’identité, bulletin de salaire, contrat de travail, Les dernières quittances de loyer, et même dans certains cas, relevé bancaire.

Pour rendre toutes ces demandes plausibles, les arnaqueurs n’hésitent pas à envoyer des pièces d’identité obtenues frauduleusement, via d’autres arnaques en ligne.

Si au début de la conversation, le faux propriétaire se dira disponible c’est à la suite de plusieurs échanges qu’il expliquera ne pas être présent dans la ville, et qu’il a donc besoin de garanties supplémentaires avant la visite de l’appartement, Expliquant s’être déjà déplacé plusieurs fois pour des visites d’appartements qui se sont révélées infructueuses. En l’occurrence, une garantie financière. Il vous demandera donc d’acheter des cartes prépayées disponible dans les bureaux de tabac ou sur internet (disponible pour régler ses achats en ligne) à hauteur d’une ou deux fois le montant du loyer, pour s’assurer de la solvabilité du futur locataire.

Il n’y a pas réellement de profil type pour la victime, néanmoins, nombreux sont les étudiants ou parents d’étudiants à s’être déjà fait avoir. Les étrangers sont aussi victimes des arnaques à la location, comme cette étudiante chinoise arnaqué en septembre à Lille : https://www.lavoixdunord.fr/868183/article/2020-09-21/lille-une-etudiante-chinoise-decouvre-que-le-logement-qu-elle-loue-n-existe-pas

Des victimes peu ou pas averties des différents types d’escroqueries en ligne, et qui cherche à louer des appartements sur des sites de location peu ou pas sécurisé, telles que Leboncoin ou différents groupes Facebook.

Au fil de l’eau, nous avons tout de même voulu savoir comment la police enquêtait sur ces affaires et quelles étaient les conséquences de ces arnaques sur les victimes.

Du côté de la Police

Les enquêtes de police sont parfois compliquées. Le pourcentage d’identification des auteurs d’arnaques locatives est maigre. Concernant la méthode utilisée, elle reste classique et très répandue. À la suite de nombreux refus de la part de l’hôtel de Police de Lille, nous avons contacté Régis, un inspecteur de Police qui travaille dans la région Provences Alpes Côte d’Azur, pour en savoir plus sur les méthodes des enquêteurs. Il nous explique :

“L’escroc prend des photos de biens immobiliers sur des sites officiels de vente ou location de biens et dépose une annonce en s’appropriant frauduleusement le bien. En principe il utilise le site Leboncoin. Pour récupérer l’argent, il utilise les documents d’identité de personnes victime de vol d’identité, pour ouvrir un compte virtuel (en bureau de tabac).

Il peut également se faire payer via l’achat de cartes virtuelles (en bureau de tabac style transcash) ou en virement à l’étranger (western union). En principe, il utilise un numéro de téléphone éphémère (via l’application ONOFF par exemple) ou utilise un opérateur téléphonique virtuel spécialisé dans les numéros frontaliers (forfait pris à l’étranger avec un numéro français 06 ou 07). La syntaxe des mails est généralement douteuse. Il y en a de plusieurs sortes, mais la plus courante c’est celle-là :

« C’est très simple, il vous suffira d’aller à la poste avec l’argent en espèce puis vous demandez à effectuer un Mandat Cash Urgent sur les coordonnées de ma femme. Une fois le mandat fait, la poste vous donnera un reçu postal dont vous gardez jalousement pour la visite (pour votre garantie vous ne me remettez par le reçu postal tant que vous n’avez pas visité et accepté le logement et signer le bail). Ainsi, une fois au rendez-vous, vous prendrez tout votre temps pour visiter le logement et si tout vous semble OK, nous signerons le bail puis vous donnerez votre dossier plus le récépissé original délivré à la poste contre les clés des lieux. »

A noter que la formule : “dont vous gardez jalousement” est une expression très répandue en côte d’Ivoire, au Sénégal ainsi qu’au Bénin.

La majorité des escrocs proviennent de ces pays ou d’ailleurs en Afrique. Il n’y a pas forcément de coopération entre les pays pour les interpeller. Ce qui rend, de fait, les enquêtes policières plus complexes. Une majorité d’entre elles sont souvent classées sans suite. Du côté des démarches pour les victimes, là aussi, les difficultés sont également présentes. La victime doit déposer plainte en donnant un maximum d’informations concernant le type d’annonce : le site de l’annonce, le pseudo de celui qui a déposé l’annonce, et tous les moyens de contact qu’elle a utilisés pour communiquer avec lui (mail, tél, etc). Avec ces éléments et surtout impérativement avec l’accord d’un magistrat, la police effectue des réquisitions chez les opérateurs et les sites hébergeurs de l’annonce pour tenter de remonter jusqu’à l’escroc.”

Une démarche complexe, qui porte parfois ses fruits. Mais les victimes sont le plus souvent démunis et ne savent pas comment réagir face à ces méthodes.

Et du côté des victimes ?

Pour aider les victimes, il existe des associations de défense et des recours en justice. Elles peuvent être indemnisée par leur banque selon les conditions de leur contrat ou toucher une indemnisation par le fonds de garantie d’aide aux victimes (mais assez compliqué car les démarches sont lentes et fastidieuses). Dans la plupart des cas, les pseudo-locataires (en effet, lors du l’arnaque il n’ont pas le statut de locataire étant donné que le contrat de bail n’a pas été signé par les deux parties) sont contraints d’intenter un procès devant le tribunal civil pour se défendre et tenter d’obtenir gain de cause. Une procédure longue et coûteuse qui peut décourager les particuliers. La victime peut également poursuivre les escrocs devant le tribunal pénal.

Pour faciliter les démarches, il est souvent fait appel à un conciliateur judiciaire. Ce dernier a pour mission de permettre le règlement à l’amiable des différends qui lui sont soumis. Il en existe dans tous les départements et même plusieurs par arrondissement à Paris. Ces instances, dépendantes du ministère de la Justice, sont en mesure de dresser un procès-verbal au pseudo-bailleur indélicat, si ce dernier est identifié. Un moyen de pression qui suffit parfois pour le contraindre à négocier. L’auteur de l’escroquerie risque 5 ans d’emprisonnement et 375000 € d’amende (article 313-1 du code pénal) mais en pratique s’il n’est pas connu et surtout s’il est identifié et interpellé et qu’il reconnaît les faits (ou pas) il doit indemniser la victime.

Article 313-1 du Code Pénal, source Legifrance version numérique.

Les conséquences de ses escroqueries peuvent prendre des ampleurs insoupçonnées. Dans la majorité des cas, celles-ci se limitent à la simple perte d’argent mais dans d’autres, elles peuvent aller beaucoup plus loin, avec par exemple un vol d’identité. Les escrocs contractent alors des emprunts à la consommation, ouvrent et débitent des comptes bancaires, etc.. et tout cela au nom de la victime.  En effet la majeure partie des documents demandés lors de la location d’appartement, comme le justificatif de domicile ou les dernières fiches de paie peuvent servir à l’ouverture d’un compte bancaire en ligne.

La prochaine fois qu’un bien immobilier vous intéresse, relisez l’annonce à deux fois et vérifier le montant du loyer demandé dans la zone de l’appartement proposé. Cela vous permettra peut-être d’éviter quelques désagréments.

Romain Goudarzi et Louis Nam