La Première Guerre Mondiale (1914-1918) a grandement marqué notre histoire contemporaine. Politiquement, militairement, socialement, la Grande Guerre a secoué le monde entier par sa violence inédite. Du côté des soldats, la mentalité des hommes a évolué, ces derniers marqués par la peur et la mort au quotidien. Pourtant au cœur de ce conflit, à la frontière franco-belge, les combats ont cessé le temps d’un Noël en 1914. Marqués par une trêve improvisée, allemands et britanniques vont se rassembler pour célébrer la fête de Noël, l’occasion d’organiser un match de football, symbole de partage et de rencontre.
A l’aube de la Première Guerre Mondiale, les soldats ne s’attendaient pas à s’engager dans un combat à long terme. La formation des tranchées et l’arrêt d’une guerre de mouvement laissant place à une guerre de position longue est difficile physiquement et mentalement. La Grande Guerre marque un tournant par sa violence inouïe cassant les codes de la guerre existants. Finie l’idée de faire capituler l’adversaire pour être vainqueur. Le soldat lutte pour tuer celui qui est en face, éliminer un homme pour réduire la puissance de l’armée ennemie. C’est une guerre d’anéantissement où la déclaration de guerre disparaît. Les progrès techniques favorisent la violence par le développement des armes. Obus, mitrailleuses ou encore blindés marquent les territoires occupés mais surtout les soldats qui y font face. C’est une nouvelle guerre où l’on a changé d’échelle.
En s’enterrant dans les tranchées, le soldat vit au quotidien avec la mort. Les compagnons, le champ de bataille et la violence ramènent constamment cette ambiance pesante sur les soldats liées à des conditions sanitaires sont déplorables. Le soldat développe rapidement un sentiment de vulnérabilité, le sentiment d’être un anonyme face à la mort avec aucune réponse possible. Les obus et les gaz terrifient pour ces soldats. Ils ne peuvent voir les offensives adverses et l’ennemi devient alors anonyme.. Cette expérience de guerre combattante désindividualise les gens, et leur donne une impression de victime ne comprenant pas les enjeux. Les hommes n’ont qu’un seul objectif, celui de résister et non plus celui de vaincre. De plus, les guerres de position imposent l’ennui dans les tranchées. Cet ennui renforce les traumas du champ de batailles. Ces hommes sont touchés et essaient de tenir comme ils le peuvent notamment grâce à l’alcool et aux différentes drogues prescrites pour les soulager. Ce contexte inattendu éloigne le soldat des loisirs, du confort et du bonheur qu’ils connaissaient.
Une trêve pour Noël
En décembre 1914, seulement quelques mois après le début du conflit, les soldats sont épuisés. Les temps sont difficiles pour chaque camp. L’animation de la guerre du mouvement et le repli en guerre de position avec la création des tranchées fatiguent les combattants. Ils doivent de plus faire face à la fatigue mentale qui s’installe au fur et à mesure du temps, insinuant ainsi l’éternisation de la guerre. L’hiver glacial refroidit les hommes qui ont dû mal à quitter leurs bases pour rejoindre le champ de bataille. Le soldat cherche du repos, un moyen de se ressourcer et retrouver une part d’humanité dans un conflit où elle a disparue. C’est dans la ville belge d’Ypres, située au niveau de la frontière franco-belge, que la magie de Noël opère le 25 décembre 1914.
Dans un No Man’s Land qui sépare très légèrement les troupes britanniques des troupes allemandes, ces derniers offrent aux Alliés un signe de paix en ce matin de Noël. Alors que les britanniques surveillent la tranchée ennemie comme chaque jour, ils aperçoivent divers sapins et décorations de Noël embellissant le paysage et les allemands poursuivent par des chants de Noël. Surpris par la situation de voir leurs ennemis sous un nouveau jour, les britanniques répondent aux allemands en rejoignant leurs chants pour célébrer Noël. Tout ce symbole prend son sens lorsqu’un soldat allemand se dirige le No Man’s Land les bras levés en signe de paix, rejoint par un allemand puis par le reste plusieurs hommes des différentes tranchés afin de se souhaiter un « Joyeux Noël. » Les ennemis communient puis fraternisent afin de proposer une trêve jusqu’au Nouvel An, pour se détendre, partager mais aussi pour enterrer leurs morts.. Ces symboles d’humanité uniques entre les deux camps lors de la Première Guerre Mondiale prendra forme par une union dans le sport pour faire un match de football.
Le match du partage
Dans cette courte période d’euphorie et d’union entre les deux camps, les soldats ont cherché à évacuer leurs souffrances internes. Ce jour-là, ces hommes ont vu à travers le football la solution de partager, de se dépenser et de vider toutes leurs pensées juste en se concentrant sur le ballon à la recherche d’une opposition cette fois-ci amicale.
Plusieurs sources nous témoignent la présence d’un ballon de football qu’un ou plusieurs anglais en possédaient un. Un soldat allemand et le lieutenant Bairnsfather ont rapporté que cette scène a bien eu lieu. Le lieutenant allemand écrit dans son carnet le 25 décembre : « Vers midi, il fut suggéré d’organiser un match de football. À l’évidence, quelqu’un avait reçu un ballon dégonflé en cadeau. L’un des nôtres a pris le ballon et a tiré dedans » Cette pause au cœur du conflit marque pour ces hommes l’opportunité d’échanger, de faire des rencontres de voir en l’ennemi un homme et non juste un combattant qui cherche à nous abattre. Ce match de football symbolise l’humanité des soldats qu’ils avaient renfermé dans leurs tranchées. Un moyen d’expression mais aussi de libération où la communication se fait même si l’on n’a pas la même langue, la même culture.

Ce fameux match se serait organisé sur une route, plus ou moins praticable et proche d’un champ. Le lieutenant Bairnsfather raconte alors : « Nous avons marqué les buts avec nos képis. Les équipes ont été rapidement formées pour un match sur la boue gelée, et les Fritz ont battu les Tommies 3 à 2 ». Le soldat allemand partage dans son carnet cette expérience comme bénéfique au vu de tout ce que les soldats avaient traversé : «Deux Anglais rapportèrent un ballon de leur tranchée et un match de football vigoureux débuta. C’était si merveilleux et étrange. Les officiers anglais le pensaient également. Plus tard dans la soirée des officiers soumirent l’idée d’organiser un grand match de football entre les deux positions le lendemain. ». Cette rencontre improvisée fera même l’objet d’une brève dans le média britannique The Times puisqu’un docteur britannique présent témoignera de la situation dans une lettre. Le journal du 1er Janvier 1915 titre donc : « Le régiment a eu un match de football contre les Saxons, qui les ont battu 3-2 ».
Même si quelques historiens doutent encore de la dispute d’un réel match, les témoignages des hommes sur place nous laissent à penser que quoi qu’il arrive, les allemands et les anglais ont tapé le cuir ensemble le temps d’une trêve, d’un moment de paix où la guerre, la violence et l’ennui étaient oubliés. Avec Noël comme symbole de partage, toutes les troupes de ces tranchées se sont réunies pour récupérer ce qu’ils avaient perdu depuis le début de la Première Guerre Mondiale. Comme quoi le football rassemble et cela à n’importe quelle époque.
Louis Havet
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