L’hiver vient et le grand froid aussi. Alors que le gouvernement avait décrété un nouveau confinement au mois de novembre, les Restos du cœur ont lancé leur 36e campagne d’hiver. L’objectif ? Venir en aide aux plus précaires en leur apportant principalement des denrées alimentaires. À Lille, une équipe de joyeux bénévoles s’active tous les soirs de la semaine pour faire vivre le seul point de distribution de repas chaud de la ville.
Ce soir, c’est pizza. Les livreurs sont accueillis par des sourires et une certaine impatience. Grâce à des partenariats avec des enseignes de restauration, les membres de l’association peuvent offrir un petit plaisir supplémentaire lors des distributions de repas chaud aux personnes démunies. En plus d’un couscous complet, d’une compote, d’un yaourt à boire ou de biscuits, une part de pizza est offerte pour chacun des 138 quidams présents ce mardi de novembre. « C’est un petit score ! » annonce le responsable de l’activité « Resto chaud », Bernard Windels, à son équipe de volontaires. En moyenne, 150 repas sont prévus. Les portions sont adaptées en fonction du nombre de personnes présentes. Il peut y avoir du rab. D’autres dîners vont à des bénévoles d’une association différente qui les apporte à ceux ne pouvant se déplacer. Et s’il en reste encore, Jérôme récupère les derniers repas pour les habitants d’un camp de rom’ au Bois de Boulogne – celui de la citadelle de Lille. Ancien monsieur sécurité des Restos du cœur, il témoigne : « Avant, la distribution avait lieu à la gare Saint-Sauveur. C’étaient les vrais gens de la rue : ça se battait au couteau. Ici, c’est plus calme. » A part quelques réticences à porter le masque ou à se laisser servir les barquettes sans les toucher, aucune perturbation n’est généralement à signaler.

« Tout le monde se tutoie »
L’accueil est strictement inconditionnel. Tout le monde peut bénéficier des distributions des Restos du cœur. « Nous n’avons aucun moyen statistique pour savoir qui vient. Juste, on se connaît » révèle Françoise Pierron, co-responsable de la distribution les mardis soir. Emmitouflée dans son imper rouge, la petite dame aux cheveux bleus appelle tout le monde « mon ami. » Signe de l’ambiance chaleureuse qui règne au 217 rue des Postes. Auparavant haut lieu de convivialité, bénévoles et personnes démunies avaient pour habitude de partager repas, café, thé et viennoiserie tous ensemble au local. « Je connais plein de gens qui viennent manger ici », continue-t-elle. Volontaire aux Restos depuis plus de 20 ans, elle servait les repas dans un wagon SNCF au tout début de son expérience. « On se raconte nos vies. On peut en faire des bouquins » confie-t-elle, sincère. Même son de cloche chez Véronique, bénévole en communication pour l’association. Présente ce soir, elle fait le tour des centres pour en apprendre davantage du fonctionnement réel d’une distribution. Et derrière son sourire, elle s’exclame : « Il y a toujours une bonne ambiance aux Restos du cœur ! Tout le monde se tutoie. » Mais aujourd’hui, et ce depuis quelque temps, les tables sont rangées contre les murs ornés de portraits de Coluche et les chaises sont empilées. La chaude fumée du thé s’est évaporée, la machine à café a cessé de grogner et les habituels convives éphémères n’en sont plus. Ils mangent dehors, sur le parvis, ou chez eux, quand c’est possible. Alors que le centre a fermé une semaine début novembre à cause d’un cas covid, il se soumet maintenant à un strict protocole.

Un drive à la place d’un repas partagé
Sans-abris, familles aux RSA, habitants du quartier ou étudiants en situation de précarité, le public accueilli est éclectique. Agglutinés devant le portail depuis plus d’une heure pour certains, ils sont une centaine à attendre le top départ de 18h30. Un volontaire s’occupe de la régulation : 7 par 7, ils s’élancent dans un sens de circulation précis indiqué par le marquage au sol et des barrières métalliques. La porte d’entrée diffère de celle de sortie, mais la distanciation sociale n’est pas forcément respectée. Après un coup de gel hydroalcoolique, rapide mais obligatoire, ils peuvent récupérer leurs repas qu’ils mettent dans un sac. Un véritable drive où presque une dizaine de bénévoles s’occupent de la distribution derrière des tables pleines à craquer. Dans la bonne humeur, bien sûr, mais certainement pas dans le calme. Entre ceux qui se servent allègrement sans demander, ceux qui sont alcoolisés et ceux qui racontent leur journée, les personnes démunies ne sont pas réellement efficaces. Mais qu’importe : ils prennent le temps d’échanger et de prendre des nouvelles avec les membres de l’association. Les cris des uns et les rires des autres donnent lieu à une charmante petite cacophonie digne d’un marché de village. Toujours sous l’œil avisé de bénévoles bienveillants et à l’écoute. Ils réorientent régulièrement ceux dans le besoin vers d’autres services comme « des examens de santé ou des cours de français proposés par les Restos », détaille Jean-Yves Vasseur, co-responsable de la distribution du mardi. Sa collègue et amie de longue date, Françoise Pierron, ajoute : « On essaye de leur donner les bonnes adresses. On compose parfois le 115, le numéro d’urgence hébergement. Mais il y a beaucoup d’appels. Parfois, on n’a pas le choix de les envoyer aux urgences. Quand il y a des familles à la rue avec un bébé dans un landau… »

La seule distribution de repas chaud de la ville
À la fin de la soirée, la vingtaine de bénévoles partagent exceptionnellement le repas. C’était pizza pour vraiment tout le monde, ce soir. Ils ont fini assez tôt. À 19h, plus personne ne faisait la queue et le centre accueillait seulement les retardataires. Pendant que les plus courageux s’attellent à la plonge, certains ont mis la musique et chantent, dansent. Les équipes, pour la plupart multigénérationnelles, changent chaque jour. Ceux qui ne sont pas à la distribution peuvent aussi s’occuper des maraudes. Patraques après le service, Françoise et Jean-Yves préfèrent se reposer sur un banc. Ils expliquent : « On est la seule association à offrir des repas chauds dans le département. Il faut des normes et des locaux spéciaux. » Alors que les Restos proposent 11 points de distributions de carton alimentaires dans la ville, ils n’ont qu’un local pour les repas, ouvert tous les soirs de la semaine. « Mais on a de la chance. La mairie est très réactive avec nous. On n’a pas été embêté plus que ça avec le confinement » estime Françoise. Et la fréquentation n’a pas baissé d’un chouia. Les Restos ont encore, 36 ans après, le monopole des cœurs. Ceux des précaires comme ceux des puissants.
Mathieu Alfonsi

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