Manif après manif : au cœur du black bloc avec Noémie, 21 ans

ENTRETIEN. Elle s’est mêlée au black block pendant les défilés de la Marche des libertés à Lille. Noémie, 21 ans, nous explique ses motivations et le fonctionnement de cette stratégie politique.

Des voitures brûlent, des vitrines sont dégradées et les projectiles commencent à voler. En réponse, les forces de l’ordre sortent les gazeuses. « Ahoo ! Ahoo », le Black Bloc ne recule pas. Un policier tombe à terre, et se retrouve roué de coups. Samedi 28 novembre, la manifestation contre la loi « sécurité globale » a été émaillée d’incidents, notamment à Paris où 48 policiers et gendarmes ont été blessés.

Suite à la diffusion des affrontements violents entre manifestants et forces de l’ordres, les polémiques autour des Black Blocs font leur grand retour. Déjà pointés du doigts pendant les manifestations des gilets jaunes, qui sont ces militants, qui pour lutter contre le capitalisme se masquent, cassent et s’attaquent à la police ?

Cagoule, lunette et gants

Ce 5 décembre, Porte de Paris à Lille. Les camions de la CGT balancent plein pot des chansons militantes tandis que la manifestation se met en place. Dans ce cortège, ils sont plusieurs centaines, tout de noir vêtus. Il lance le premier slogan « Tout le monde déteste la police ». Au milieu de la foule, Noémie brave le cortège aux côtés des militants radicaux du Black Bloc. « Je veux m’immerger au sein du groupe et exploiter cette pratique », affirme-t-elle.

Il y a deux ans, Noémie manifeste pour la première fois contre la loi Orientation et Réussite des Étudiants (ORE). Devant son université, elle porte bras tendus une pancarte face aux CRS. Un projectile vole en direction des forces de l’ordre. En réponse, ils gazent la foule. « Ce jour-là, je me suis faite gazer avant mes partiels, et pourtant je n’avais rien fait de mal. ». Un tournant pour la jeune fille. « J’ai été choquée de voir tant de violences de la part des policiers envers des manifestants pacifiques ». Deux ans plus tard, Noémie a rejoint le Black Bloc.

Au moins deux interpellations sont à noter place Bellecour suite aux échauffourées. Photo Progrès/Maxime JEGAT9 /10

« J’ai enfilé ma veste à capuche, mis mon foulard autour du visage, et je suis rentrée dans le bloc. Ils sont très mobiles, il faut les suivre et savoir se fondre dans la foule ». Les cagoules noires doivent préserver leur anonymat. « Ce dress code permet d’abord de ne pas être identifiable par les forces de l’ordre et de se protéger.de leurs attaques. Ensuite, il faut savoir que tous les blacks blocs ne sont pas des casseurs. Mais tous ceux qui sont cagoulés et masqués acceptent d’assumer collectivement les opérations du groupe ». La jeune fille le sait bien, elle observe leurs pratiques depuis plusieurs mois. « Le Black bloc n’est pas une organisation, c’est une manière de protester ». Et cette modalité d’action politique, Noémie y adhère, car elle la trouve en adéquation avec sa lutte contre l’Etat et le capitalisme.

Je rêvais d’un autre monde

« Les manifestations pacifiques ne suffisent pas pour combattre le capitalisme. ». Pétards, fumigènes, et pneus qui crament participent à l’ambiance de la marche. Proche de la Grand Place, une vitrine se fait esquinter. « Je ne suis pas là juste pour casser » rappelle Noémie. L’étudiante dénonce les accusations qui visent le Black Bloc. « On nous prend pour des bons à rien en quête d’adrénaline. Je suis étudiante en Master de sciences politiques, ce n’est pas un jeu pour moi. J’ai de réelles convictions et engagements pour lesquels je dois me battre. ». En effet, amendes, peine de prison, arrestation, ou casier judiciaire, les risques sont élevés pour ceux qui oseront rejoindre les rangs. Pourtant, Noémie reste catégorique : « c’est pour la lutte, ça ne m’arrêtera pas ».

Des gaz lacrymogènes ont été lancés pour disperser la foule. Photo Progrès/Maxime JEGAT

Et cette lutte, c’est la sienne. « Je ne me sens pas légitime de parler du Black Bloc en mon nom. Je voudrais donc rappeler que ceci est mon expérience personnelle. Tous ceux qui pratiquent cette contre-offensive ne sont pas les-mêmes, nous sommes ici pour des raisons différentes ». Marqueur à la main, elle redécore la façade de plusieurs commerces, ces « symboles du capitalisme ». « La rue est à nous ! », crie Noémie point levé, avant de s’effacer dans un nuage de fumée.

Cidjy Pierre