Depuis quelques semaines, elle électrifie tout le pays. Alors que la loi de sécurité globale et son article 24 font débat, en Espagne, la loi dite « bâillon » est en vigueur depuis cinq ans. Tout comme en France, les organisations et journalistes dénoncent un texte qui légitime le pouvoir policier. Voici comment cela se passe.

Ressemblant fortement à la loi de « sécurité globale » en France, la loi controversée espagnole interdit l’usage d’images des forces de l’ordre sans l’autorisation. Appelée loi organique de protection de la sécurité publique, elle a été adoptée sous le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy. Carlos Escano, alors responsable des campagnes des droits humains à Amnesty International, explique que « cette réforme a été approuvée, alors que tout le Parlement, excepté le Parti populaire de Mariano Rajoy, s’y opposait » (source : Slate).
Un air de déjà vu
La loi rapidement appelée par les « ley mordaza », c’est-à-dire « loi bâillon », comporte plusieurs articles qui font polémique. L’article 26.23 sanctionne ainsi « l’usage non autorisé d’images, de ais personnels ou professionnels concernant des autorités ou des membres des forces de sécurité, pouvant mettre en danger la sécurité personnelle ou familiale des agents, des installations protégées ou pouvant faire peser un risque sur une opération, tout ceci dans le respect fondamental du droit de l’information ».
Cette disposition n’est pas sans rappeler l’article 24 de la loi française qui prévoit de pénaliser d’un an de prison et 45000 euros d’amende tout comportement du même type, « portant atteinte à l’intégrité physique ou psychique » du fonctionnaire. Un amendement gouvernemental a spécifié que cette mesure ne peut porter « préjudice au droit d’informer » ; pourtant elle inquiète les organisations et journalistes du pays.
Autorité et autocensure
Depuis 2015, un million de personne ont été verbalisées. Selon un article du journal espagnol Publico, 70% des sanctions sont dues à la consommation ou possession de la drogue dans l’espace public, 20% liées à la sécurité citoyenne qui comprend les manifestations ou le vandalisme, et les 10% restants concernent la fabrication et le transport d’armes et explosifs. Les amendes sont plus ou moins salées ; elles peuvent aller de 600 euros à 30 000 euros.
Ainsi, difficile pour les journalistes de contester cette loi, en partie parce qu’elle fait bénéficier la police du principe de présomption de véracité. L’autocensure constitue de ce fait l’une des conséquences de cette inégalité de pouvoir. Pour la population, il est difficile d’exercer leurs droits à l’expression, à l’information et même la manifestation, ce que redoutent les citoyens français. Devant ces mesures, beaucoup d’Espagnols font un raccourci avec les heures les plus noires sous un général Franco ne laissant que très peu de place à la démocratie.
Un article jugé anticonstitutionnel
Mais rebondissement. Après cinq années, le Tribunal constitutionnel a rétorqué cette loi. Le fait de devoir demander une autorisation pour utiliser les images des forces de l’ordre est jugé « anticonstitutionnel » : « Il y a censure préalable proscrite par l’article 20 alinéa 2 de la Constitution quand la diffusion d’images ou de données est soumise à un examen préalable de leur contenu par les forces de l’ordre ».
Hormis cette notion d’autorisation, le tribunal a jugé que le reste de l’article n’est pas inconstitutionnel, à condition que la diffusion soit interprétée comme diffusion illicite et non pas leur simple captation de publication de diffusion. La possibilité de sanctions pour l’usage des images d’un policier pouvant être considérées comme une atteinte à son droit à l’intimité ou intégrité demeure.
En France, le président de la République Emmanuel Macron a décidé le lundi 30 novembre la réécriture de sa loi, vu par beaucoup comme liberticide. Pour beaucoup, l’espoir d’un retrait de la loi demeure ou d’une réécriture totale pour ne pas atteindre la liberté d’expression. Elle est désormais entre les mains du Sénat et de son président Gérard Larcher.
Claire Boubert
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