Chaque année, l’éternel débat pour les fans de football resurgit : qui obtiendra le Ballon d’Or ? Chaque année, les défenseurs de Lionel Messi ou Cristiano Ronaldo affutent leurs arguments pour les promouvoir. Chaque année, des supporters jouent la carte du chauvinisme et misent tout sur le meilleur joueur de leur pays. Mais depuis deux ans, un nouveau trophée a fait son apparition : le Ballon d’Or… féminin. Pourquoi a-t-il fallu attendre six décennies pour voir cette récompense décernée également aux joueuses ?

Le Ballon d’Or a été créé par des hommes pour des hommes. Les journalistes du magazine France Football voulaient en effet, d’abord récompenser le meilleur joueur européen et depuis 2007, le meilleur joueur au monde. Mais dans une ère où le football féminin n’en finit pas de grandir, il fallait récompenser, à l’égal des hommes, la meilleure footballeuse de l’année, 62 ans après la création du trophée masculin. Mais pourquoi autant de temps ?
Le football féminin censuré par les hommes
Le football prend essor en Angleterre et en Ecosse. Le premier texte qui relate un match de football féminin date de 1885 et est signé par le poète Catulle Mendès. Un accueil plutôt sexiste réservé aux femmes sur le terrain.
« Qui peut prévoir jusqu’où s’émancipera la virilisation de la femme ? Je trouve un sujet d’inquiétude dans cette adaptation de la délicatesse féminine aux plus masculins exercices. La femme naguère, frêle et se sentant si précieuse dans sa fragilité, s’avouait à elle-même son besoin d’être défendue, et il y avait encore entre elle et nous cet adorable échange de toute la joie qui nous accordait sa faiblesse contre la sécurité que lui donnait notre force »
Les Femmes de sport, préface du Baron de Vaux, écrite par Catulle Mendès
Mais dès 1921, et jusque 1971, le football féminin connaît une période d’interdiction Outre-Manche, sous prétexte qu’il était « unsuitable for women ». Pourquoi cela ? Le football féminin était tout simplement victime de son succès. Une concurrence directe au football masculin. Imaginez, l’équipe phare de l’époque, les Dick, Kerr’s Ladies, attirait près de 50 000 personnes ; trop de monde, trop de foule pour des femmes, alors que les hommes peinaient à atteindre la même influence.
En France, il faut attendre 1917 pour apercevoir des femmes faisant irruption sur les terrains. Le football féminin, survit, quelques années, avant d’être radié par la FSFSF en 1933.

Contrôle du corps de la femme
Depuis les plus anciennes civilisations, une répartition des tâches entre les hommes et les femmes est mise en place et va même être hiérarchisée. Dans la plupart des cultures, les hommes viennent au-dessus du féminin. Les femmes sont vouées à rester dans l’espace privé alors que les hommes se situent dans l’espace public et politique. Faire du sport, c’est les rendre visibles dans l’espace public.
Le contrôle du corps féminin est tout naturel pour la gente masculine ; le discours médical a très vite pris position contre les femmes qui voulaient faire de la pratique sportive. Les femmes allaient perdre leur féminité, mais également gagner en virilité. Un véritable discours s’est créé autour du sport féminin : dérèglement hormonal, déformation du corps, pousse de poils et même inversion de l’utérus.
Une nécessité de récompenser les footballeuses
Depuis quelques années, le football féminin se développe, dans l’Hexagone mais aussi à l’international. Que dire, des lionnes de l’Olympique Lyonnais qui survolent l’Europe avec 7 victoires en Ligue des Champions. Les références mondiales ne manquent pas non plus : les Etats-Unis, le Japon ou encore l’Allemagne impressionnent par leurs performances, alors que leurs homologues masculins déçoivent. Et les marques l’ont bien compris ; aujourd’hui, le football féminin fonctionne, et rapporte. Agréable à regarder, technique et moins agressif, le football féminin plaît aux marques comme aux médias.

Une aubaine pour France Football, qui comprend alors la nécessité de créer un trophée féminin. La demande se fait ressentir auprès des spectateurs et des lecteurs du magazine. En 2018, le magazine annonce la création du prix féminin qui récompensera la meilleure joueuse de l’année.
Une première historique gâchée par…. Le sexisme
A 23 ans, Ada Hegerberg devient la première joueuse de l’histoire à remporter le Ballon d’Or. Elle déclare, émue « C’est très important pour nous, femmes. Jeunes filles, croyez en vous ». Mais tout dérape, quand l’animateur de la soirée, le DJ Martin Solveig, lance une blague des plus douteuses, en demandant si la joueuse sait twerker. Depuis, la remarque sexiste a enflammé les réseaux sociaux et face au tollé, le DJ doit présenter des excuses. Mais le mal est fait. Est-ce que l’on aurait demandé cela à un homme ? Pas sûr.

Ada Hegerberg, attaquante norvégienne de Olympique Lyonnais, brandit son trophée lors de la cérémonie de remise du premier Ballon d’Or féminin au Grand Palais à Paris, le 3 décembre 2018. Source : Franck Fife pour AFP
L’année suivante, c’est la co-capitaine de l’équipe américaine, championne du monde, Megan Rapinoe qui remporte le second Ballon d’Or féminin. Icône de la lutte pour l’égalité femme-homme, sa notoriété dépasse le cadre du football. Il faudra attendre 2021, pour connaître la joueuse qui succèdera à Rapinoe.
Et oui, à circonstances exceptionnelles, dispositions exceptionnelles. France Football l’a indiqué, il n’y aura pas d’édition 2020 du Ballon d’Or. Le temps pour les institutions d’accéder un peu plus à l’égalité femme-homme ; dernière victoire en date, les joueuses du Brésil toucheront les mêmes salaires que leurs homologues masculins. Un cheminement encore difficile en France, où l’écart reste important. En 2019, les femmes étaient payées 10 fois moins que les hommes selon le JDD.
Claire Boubert
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