James Nachtwey, les yeux de l’anti-guerre

« J’ai été un témoin, et ces images sont mon témoignage. Les événements que j’ai enregistrés ne doivent pas être oubliés et ne doivent pas être répétés ». Il est le témoin silencieux caché derrière des images qui font hurler. James Nachtwey est un homme de paix qui raconte la guerre derrière son objectif depuis plus de quarante ans.

© James Nachtwey, Autoportrait

Dans l’obscurité, elles nous fixent – ces victimes, figées par James Nachtwey. Une scénographie sombre mettant en lumière douleur, injustice, violence, mort… L’ ambiance est macabre et pourtant, indispensable. En 2018, le photo-reporter américain est exposé à Paris. En grand format, ses clichés les plus forts sont présentés. Tous sont issus de ses reportages les plus significatifs : Bosnie, Palestine, Afghanistan, Rwanda, Irak… Il est l’un des plus grands photographes de guerre contemporain. À travers Memoria (titre de l’exposition), ses photographies, qui avaient été prises pour des magazines, sont sorties de leur contexte et de l’actualité. Ici, pas de légende. Dans un silence religieux, la réaction doit-être avant tout, visuelle. « Les photos se racontent en elles-mêmes et nous confrontent à la réalité. Cette triste réalité : les hommes sont capables du pire, mais en y étant confrontés, peut- être que ça nous incitera à protester » explique la co-commissaire de Memoria, Laurie Hurwitz.

Le choc de l’image

« J’ai voulu devenir photographe pour être photographe de guerre mais je suis convaincu qu’une photographie qui révèle le vrai visage de la guerre, est presque par définition, une photographie contre la guerre ». Étudiant, Nachtwey saisi le pouvoir des images quand ses yeux s’inondent des clichés de la guerre du Viêtnam. En émerge un homme qui se donne pour mission de témoigner pour que le monde change. Dans une posture de compassion, il entreprend un tour du monde de « l’Enfer ». Rwanda : un gros plan, brut, noir et blanc, une posture d’étouffement, un visage marqué à coups de machette… le portrait d’un Tutsi rescapé du génocide. Bosnie : une chambre devenue champ de bataille, un homme armé, un massacre voisin contre voisin… l’horreur d’une guerre civile. Il sera la voix de cette humanité mutilée par la violence, dévastée par la maladie ou la faim. Et pourtant, comment croire que de ces images du chaos puisse, un jour, surgir la paix ?


© James Nachtwey, Sudan, Famine victim in a feeding center, 1993

Une arme de communication

Considérés parfois comme des charognards pour oser s’immiscer dans les malheurs des autres, les photo-reporters de guerre sont vivement critiqués. « Voyeurisme », dîtes-vous ? Nachtwey vous répondra « humanisme ». Discret, presque invisible derrière son objectif, il veut montrer la guerre pour qu’elle disparaisse. Au péril de sa vie, là où d’autres photographes reculent, lui s’avance, guidé par l’intime conviction que l’impact de la photographie peut changer le cours de l’histoire. « Je veux que le premier impact, et de loin, l’impact le plus puissant, soit une réaction émotionnelle, intellectuelle et morale sur ce qui arrive à ces personnes. Je veux que ma présence soit transparente ». Il ne considère pas ses photos comme des œuvres d’art, mais comme une arme de communication.

© James Nachtwey, Nepal, for TIME

« Je veux enregistrer l’histoire à travers le destin d’individus singuliers qui appartiennent souvent aux classes les moins riches, je ne veux pas montrer la guerre en général, ni l’histoire avec un grand H, mais plutôt la tragédie d’un homme unique, ou d’une famille ». S’il a couvert la majorité des guerres et conflits de ces dernières années, son travail se concentre aussi sur une mise au point des graves problèmes sociaux. Comme pour le séisme meurtrier au Népal de 2015, pour lequel il dépeint l’intense précarité des populations ; qui ont tout perdu. Ou pour l’Afrique, où il se penche sur les victimes du sida. Et pour cause, ses témoignages ont un impact ! Il a, entre autres, motivé l’arrivé des ONG après le tremblement de terre à Haïti ; ou aider à déplacer cette famille pauvre d’Indonésie vivant au pied d’un chemin de fer.

Un paradoxe entre beauté et atrocités

Ses photographies sont belles, ; malgré lui. On se sent presque mal de trouver une étrange beauté dans de telles atrocités. Authentiques et exigeantes, elles ont fait de lui le photographe le plus primé de la presse américaine.


© James Nachtwey, Rwanda, Survivor of Hutu death camp, 1994

Cadrage, composition, angle de vue, lumière, contraste… : le tout est parfaitement maîtrisé. « Si on montre le sujet en noir et blanc, on diffuse l’essentiel de ce qu’il se passe, sans compétition avec la couleur ». Jusqu’aux petits détails de la retouche, le photographe cherche a obtenir le meilleur rendu possible pour rendre compte de ce qui s’est déroulé. Et ce, en restant fidèle à son objectif : montrer l’horreur pour que cela ne se reproduise plus… Si seulement.

Cidjy Pierre