Le 5 décembre, Allan Kaval, journaliste au Monde a reçu le graal de tout journaliste : Le prix Albert Londres. Un prix qui porte le nom du précurseur du grand reportage, qui a donné ses lettres de noblesse à la profession.
Cette année, le prix Albert Londres a été remis, le 5 décembre, à Allan Kaval, 31 ans, journaliste au journal Le Monde pour son travail dans un centre de détention de djihadistes géré par les forces kurdes, au coeur de la Syrie. Un prix qui constitue depuis 82 ans, une consécration pour tous les journalistes. Un prix qui fut créé par la fille du grand reporter est décerné tous les ans à la date anniversaire de sa mort. Comment expliquer le prestige du Prix ? Qui était Albert Londres, le grand reporter qui lui donna son nom?

Le Prix Albert Londres est décerné tous les ans, à la date anniversaire de la mort du grand reporter. Photographie : RTL.fr
Des îles de bagnards en Guyane, aux forçats du Tour de France, en passant par les asiles psychiatriques, Albert Londres a « porté la plume dans la plaie ». Cette exigence a accompagné le grand reporter, tout au long de son existence de journaliste. Lui, qui se rêvait poète, le sera à sa manière, en donnant ces lettres de noblesses à la profession.
Né le 1er novembre 1884 à Vichy, d’un père chaudronnier et d’une mère issue d’une famille bourbonnaise, c’est presque par hasard que le jeune homme, rêvant de poésie a croisé les chemins du journalisme.
Une plume remarquée pendant la Première guerre mondiale
Il débute une carrière de journaliste parlementaire au quotidien Le Matin qui lui permet de pénétrer dans l’enceinte du Palais Bourbon et d’aiguiser sa plume. Il se révèle lors de la Première guerre mondiale. Le 12 septembre 1914, les Allemands bombardent la cathédrale de Reims. Il écrit un article qui le fait remarquer tant la description de l’événement était saisissante. Il peint la cathédrale de Reims enflammée comme une femme violée et titre : « Ils ont bombardés Reims et nous avons vu cela !». L’article marque les esprits.
Sa plume unique ainsi révélée, il décide de dédier sa vie aux voyages cherchant à dévoiler les zones d’ombres dans la société.
Infatigable curieux, il impose son style littéraire avec des descriptions rigoureuses tout en accordant une place importante aux témoignages, rendant ainsi ses articles incroyablement vivants.
Les grands reportages

L’humain, les opprimés, les injustices, un terrain d’enquête qui le mène jusqu’au fin fond des îles guyanaises réservées aux bagnards. À Cayenne, il décrit la violence du traitement des condamnés :
« Le bagne n’est pas une machine à châtiment bien définie, réglée, invariable. C’est une usine à malheur qui travaille sans plan ni matrice. On y chercherait vainement le gabarit qui sert à façonner le forçat. Elle les broie, c’est tout, et les morceaux vont où ils peuvent ».
Son reportage suscite de vives réactions dans l’opinion publique.
Après s’être intéressé au Tour de France, qu’il renomma le tour de la souffrance en dénonçant le traitement des corps des cyclistes, il force les portes des asiles de fou en France.
L’opposition de l’administration française de l’époque, au projet de reportage d’Albert Londres sur les asiles d’aliénés, n’a pas découragé le téméraire qui tenta même de se faire interner pour pénétrer dans cet environnement clos.
Malgré l’échec de cette tentative, il parvient à force de persévérance à entrer dans l’enceinte des lieux et en fait un récit édifiant.
Mené à la première personne du singulier, son sinueux parcours au sein des asiles de France est ponctué par la révélation des mensonges de l’administration sur le traitement de ces malades mentaux. Pour le Petit Parisien, il réalise une série d’articles, dénonçant l’enfermement, les mauvais traitements, le manque de personnel et la toute-puissance des psychiatres de l’époque. « Onze femmes ficelées sur ces onze chaises. On les attache parce que les asiles manquent de personnel… tout de même! ». Des articles si percutants que ces derniers seront soumis à la censure, ce qui contraindra Albert Londres à supprimer certains noms et à édulcorer son récit.
La mission est néanmoins menée à son terme et Albert Londres conclura :
Notre devoir n’est pas de nous débarrasser du fou. Il est de débarrasser le fou de sa folie » .
Le « redresseur de torts » a encore frappé.
Le dernier voyage d’Albert Londres
Le Journal le charge d’aller couvrir les affrontements de la guerre sino-japonaise sans savoir qu’il y écrirait ses derniers papiers. Il rédige une série d’articles qu’il envoie en France par câblogrammes. Il contacte ensuite la rédaction et informe qu’il rentre à bord du Georges Philippar avec des nouvelles brûlantes incriminant le régime Chinois.
Dans la nuit du 16 au 17 mai 1932, le paquebot prend feu et piège 54 passagers dont Albert Londres. C’est dans ses circonstances troubles, au large de l’actuel Yémen, que le paquebot fait naufrage et emporte avec lui les révélations du reporter.
De nombreuses spéculations autour d’un naufrage organisé par les autorités chinoises pour faire taire le journaliste ont été formulées suite à ce tragique événement. D’Albert Londres, il reste la pratique noble du travail de journaliste appuyée par des faits, des témoignages et une place centrale de l’humain qu’il résumera lui même en ces termes :
Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ».
Cécilia Leriche
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