L’Humanité, la voix des ouvriers

En ce mois de décembre, le Parti Communiste Français fête le centenaire de sa création. L’occasion de revenir sur l’histoire d’ un journal qui a longtemps été sa propriété : l’Humanité

Située dans le premier arrondissement de Paris, la rue Richelieu est un des symboles de la capitale. On y trouve de magnifiques bâtiments, la plupart classés monuments historiques, comme, par exemple, le siège de la Comédie Française. Dans cette rue bourgeoise du 1er arrondissement, on discute plus souvent de la mode que des conditions de travail des ouvriers. Et pourtant. C’est bel et bien ici, au numéro 110, que Jean Jaurès décide, le 18 avril 1804, de fonder son propre journal. Son nom sonne comme une évidence : l’Humanité. L’objectif est simple : lutter contre les inégalités sociales et le capitalisme. Dans une société où les premières s’accroissent et le second fleurit, le mouvement ouvrier souffre. Il souffre d’autant plus que la gauche française ne joue pas le rôle qu’elle devrait. Enlisée dans des querelles partisanes, elle peine à s’unifier. Avec la création de ce quotidien, Jaurès espère donc remédier à ce problème. Pour ce faire, il s’entoure d’ouvriers mais pas que. Non, dans sa rédaction, on retrouve des intellectuels et pas n’importe lesquels : Anatole France, Jules Renaud ou encore Aristide Briand, tous sont là. Sensibles aux idéaux et valeurs prônés par l’Humanité, ces derniers y interviennent très régulièrement. Néanmoins, les ventes du journal peine à décoller ( à peine 15 000 en 1905 )  et les socialistes sont toujours autant divisés.

Passage sous pavillon communiste 

Il faut attendre 1914 pour que l’Humanité réalise le souhait de son fondateur. Ironie du sort, c’est par la mort de ce dernier qu’il y arrive. Touchés par l’assassinat de Jean Jaurès et bien décidés à lutter contre le nationalisme ambiant, les socialistes font front commun et décident de rejoindre l’union sacrée. Tout cela permet au quotidien d’être tiré à 100 000 exemplaires dans une époque où « La Guerre Sociale » n’en fait que 50 000. Oui mais voilà. Six ans après, cette unification vole en éclat. La faute à la révolution bolchévique de 1917 qui a vu, une nouvelle fois, la gauche s’entredéchirer. Révolution ou réformation, socialisme ou communisme, telle est la question. La réponse est apportée en décembre 1920 lors du congrès de Tour. Lors de cet événement, la SFIO se fracture en deux avec la création de la SFIC, ancêtre du PCF ( parti communiste français). Séduite par cette nouvelle organisation, la direction de l’Humanité cède aux sirènes de l’Internationale. Mais cette décision est loin de faire l’unanimité au sein de la rédaction où certains vont faire part de leur opposition. C’est le cas de Léon Blum, cadre de la SFIO, qui décide de quitter le journal dès le lendemain. Le 8 avril 1921, l’Humanité officialise sa nouvelle appartenance en imposant la mention « journal communiste » allant même jusqu’à la remplacer par « organe central du parti communiste » deux ans plus tard.  Dorénavant, les choses sont claires : le quotidien est communiste.

L’essor de l’entre-deux guerres 

C’est à la fin des années 20 que l’Humanité s’impose vraiment comme le journal de la classe ouvrière. Avec sa couverture de la grève des sardinières en 1924, il montre son soutien au prolétariat. Pierre Salvini, directeur de la rubrique politique dans les années 1970, déclarera d’ailleurs à ce propos : « c’est lors de la période 25-30 que le journal est devenu, plus que jamais, un journal ouvrier. » C’est le début de la gloire. Le succès est tel que le quotidien est désormais tiré à près de 200 000 exemplaires ! Marcel Cachin, directeur du journal depuis 1918, profite de cet engouement pour créer le 7 juin 1930 une grande fête populaire où se rassemblent petits et grands, atour d’activités culturelles diverses. La fête de l’Huma est née.

Dans les années 30, le journal continue sur sa lancée. Il reste fidèle à ses valeurs en soutenant les grévistes de 36 et en s’engageant contre la montée du fascisme en Europe. 

Malheureusement pour lui, la seconde guerre mondiale vient mettre un terme à cette période faste. Le 28 aout 1939, l’Humanité est interdite.  Sa parution est prohibée, sa possession aussi. Le journal passe dans la clandestinité. Grâce à la mobilisation des militants communistes et des journalistes, sa publication continue. Au total, ce sont près de 300 numéros qui sortent durant la guerre. Certaines figures de ce mouvement paient cet engagement au prix fort, comme Lucien Sampaix, journaliste, fusillé en 1941. 

Prise de distance durant la guerre froide

De 1945 à 1950, l’Huma devient le quotidien le plus populaire de France. A son âge d’ôr, en janvier 1947, il est tiré à 450 000 exemplaires ! Puis vient la guerre froide. Deux visions du monde s’affrontent. Le bloc occidental face au bloc oriental. Le libéralisme face au communisme. Aron contre Sartre. Et, au milieu de tout ça, l’Humanité. Journal communiste dans un pays libéral, le quotidien fait figure d’épouvantail en luttant contre l’impérialisme occidental. Si ses prises de position sont calquées sur Moscou pendant la première partie du conflit, ce n’est plus vraiment le cas en 1968 où « la répression du printemps de Prague » par l’URSS sonne le glas des relations entre le parti communiste des deux pays. Le journal se permet même de titrer en Une : « Surprise et réprobation ». C’est dire. Malgré ce divorce consommé, le quotidien continue de se battre contre l’impérialisme en soutenant les mouvements de libération nationale. Signe que les idéaux communistes sont toujours présents. Pourtant, il décide tout de même d’envoyer des journalistes couvrir la chute du mur de Berlin en 1989. Évènement qui aboutira, deux ans plus tard, à la dislocation de l’URSS. 

Dans le même temps, ses ventes baissent. La presse militante connait un déclin et « l’Huma », comme ses lecteurs l’appellent, n’y échappe pas. Il paie aussi son soutien à l’URSS au début de la guerre froide. On lui reproche d’avoir passé sous silence les crimes des dirigeants soviétiques, comme lors de l’année 1952 où il titre « Budapest retrouve le sourire » alors que l’insurrection hongroise est réprimée dans le sang par les troupes de Nikolai Boulganine.

Après avoir pris ses distances avec le parti communiste soviétique, le journal fait de même avec celui de l’hexagone. En 1994, le quotidien n’est plus « organe central du PCF » mais simple « journal du PCF. » Puis, en 1999, les dirigeants du parti quittent la présidence de ce dernier. Le parti reste cependant l’éditeur du journal. Cela n’empêche pourtant pas les militants communistes de continuer à distribuer et lire « l’Huma ».  Si le quotidien prend ses distances avec le PCF, les comptes du journal restent, quant à eux, dans le rouge.

Le début des années 2000 marque le début des problèmes pour le journal de Jaurès. Plombé par des dettes de plus en plus grandes et un manque de sous-capitalisation, le quotidien est au plus mal. A tel point que la justice s’en mêle. Redressement judiciaire, plan de sauvegarde de l’emploi ou encore cessation de paiement sont des termes que le journal ne connait que trop bien. Ajoutez à cela des ventes en baisse, passant même sous la barre des 35 000 exemplaires en 2018, et vous obtiendrez un journal au bord de l’agonie. La mobilisation générale d’artistes, d’hommes politiques et des lecteurs permet de sauver le quotidien de justesse. L’Huma tangue mais ne coule pas. En plus de ses soutiens, il peut remercier les subventions qui lui permettent de se maintenir à flot. Subventions que Jaurès a pourtant toujours refusées, invoquant une atteinte au principe d’indépendance.

Même si la crise du covid-19 et celle de Portalis viennent l’enfoncer encore un peu plus dans une situation critique, l‘Humanité n’est pas prêt de disparaitre.

Antoine Tailly