Le port du masque contre la grippe espagnole ne faisait pas non plus l’unanimité

Entre 1918 et 1920, la grippe espagnole a fait entre 25 et 50 millions de victimes dans le monde. Ces chiffres incertains témoignent de la volonté de nombreux Etats de cacher la pandémie, alors que l’Europe sort à peine de la Grande Guerre.

Ce réflexe de porter un masque est le résultat de nombreuses pandémies et incidents passés, de la peste au XIVème siècle jusqu’au grand smog de Londres en 1952. Même si le simple port d’un masque est encore discuté aujourd’hui, il y a eu une prise de conscience progressive pour la santé d’autrui depuis quelques années. Pendant longtemps, seuls les médecins portaient un masque, du corbeau pendant la peste noire jusqu’à cette grippe espagnole. Avec le début de la grippe espagnole, ne sont privilégiés que l’isolement des malades, la prise de médicaments antalgiques et la désinfection des lieux publics. Mais paradoxalement, cette consigne n’est pas mise en avant par le gouvernement ou les milieux de la Santé à l’époque.

Rare photographie de journalistes de l’Œuvre, en 1918, incitant les passants à se munir d’un masque.
Crédits : Getty / Topical Press Agency

Le Temps, en octobre 1918, disait : « Le port d’un masque […] constitue une précaution très utile dont il importerait de généraliser l’emploi pour toute personne soignant les grippés et pour les malades eux-mêmes ». Et dans cette liste de préconisations alors que la grippe s’installe en France durant 1918, cette mention ne figure qu’à la fin, à la suite de toutes les autres recommandations contre la grippe, assez sommaires. A l’époque, le port du masque paraît superficiel, alors que la fermeture des lieux publics ne sera jamais envisagée. Le masque est même moqué et tourné en ridicule par beaucoup, y compris par certains docteurs de profession.

Même si ce débat existe encore aujourd’hui, n’oublions pas que nous avons, dans cette période, affaire à une population qui sort d’une guerre mondiale. Elle a pris une grande place sur son territoire, et le gaz moutarde ou le chlore ont été pendant 3 à 4 ans des armes chimiques contre lesquels les poilus ont dû lutter par l’utilisation de solides masques à gaz. Ainsi, même s’il était prouvé que la crise sanitaire pouvait être arrêtée par des masques bien plus légers, ces derniers ne seront pas pris au sérieux par une population regorgeant d’anciens combattants. Le masque contre la grippe sera donc très facilement délaissé. On y prête peu de confiance, le voyant simplement comme inefficace.

Il est aussi mis en avant l’état psychologique des malades qui, s’ils portent un masque, pourraient se retrouver très vite en marge de la population, car peu de personnes appliquent cette protection au visage. Porter un masque est alors synonyme de maladie. Cette crainte renforce alors l’emploi du masque et ceux qui en portent sont très vite l’objet de quolibets ou de réflexions des passants qui voient en eux des gens potentiellement malades.

Dans la presse française, dès lors que l’on traite du masque entre 1918 et 1920, c’est pour en parler à l’étranger. On le voit comme une anomalie dans des pays comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni qui adoptent massivement la protection en tissu : on privilégie l’aspect esthétique à celui sanitaire dans les colonnes. Les Français semblent se résigner face au virus. Peu opteront pour le port du masque, et rares seront les photos où l’on pourra apercevoir des Français portant un masque.

A Saint-Louis dans le Missouri aux Etats-Unis pendant l’épidémie de grippe espagnole, en octobre 1918.
Crédits : Photo Library of Congress. Reuters

Bien sûr, la situation sanitaire passe bien après la sortie de guerre et ses dégâts. Le contexte est à la relève économique et à la mémoire collective, plutôt qu’à l’isolement et au port du masque. Les Français n’ont aucun moyen, sinon très peu, d’être sensibilisé au port du masque. Aussi, toujours dans un contexte de sortie de guerre, le matériel médical durant 1918 peut difficilement s’adapter à une situation pandémique de grippe. Sans nul doute que le manque de moyens a poussé les milieux politiques et les institutions de Santé à minimiser la gravité du virus, contrairement à l’Espagne qui, en dévoilant ses dangers, s’est attaché le nom de la grippe, devenant espagnole après sa quasi-disparition suite à 1920. Au-delà de l’ignorance des Français, c’est donc surtout le mutisme de la presse et des milieux de santé qui a poussé les Français à ne pas croire au masque, contrairement à d’autres pays comme l’Espagne ou l’Angleterre.

Aujourd’hui, la situation est bien sûr toute autre. Néanmoins, un siècle est passé depuis, et certains débats qui avaient lieu à l’époque sont toujours d’actualité. En espérant que le progrès continue dans le sens de la sensibilisation du port du masque, face au danger que le virus peut porter sur autrui, de la grippe espagnole à la Covid19.

Nicolas Pelouas