Il y quelques semaines, le Time faisait les gros titres par cette couverture symbolique rayée d’une imposante croix rouge : ces 365 derniers jours auraient été les pires connus par l’humanité… 2020, pire année de l’Histoire, calomnie ou vérité ?
Tout le monde a déjà entendu ce slogan. « C’était mieux avant. » A la table d’un repas de famille, en présence du grand-père un peu aigri ou même dans son cercle intime des amis idéalistes, ces mots ont nécessairement été prononcés. Au point bien souvent d’être devenus un trait d’esprit, la marque railleuse qui accuse de tous les maux le temps présent.
Aussi l’année 2020 se présentait comme un parfait pharmakós, ce bouc émissaire martyre pour le soutien de toutes les souffrances. Chaque calamité n’est à rechercher que dans le temps présent puisque c’est à lui de les traverser, en oubliant parfois qu’elles prennent source dans le passé, voire qu’elles étaient pire au sein de ce dernier.
Après tout, l’année qui s’achève n’est-elle pas celle des violents incendies américains et australiens, celle des mois les plus chauds jamais enregistrés, celle d’une épidémie mondiale chargée de millions de morts, celle de la fermeture de commerces et d’une destruction économique actée elle-même par les Etats ?
Certes, évidemment, elle l’est. Et il est certain que ceux touchés par les retombées du virus traversent des temps difficiles. Il est certain aussi que les confinements successifs eurent pour beaucoup des impacts psychologiques et financiers désastreux. Mais cela fait-il pour autant de cette année la pire de l’Histoire ?
Assurément non. Pour certains, le titre du Times mettait davantage en valeur la singularité de cette année, unique dans la vie de bien des gens. Toutefois, il ne faudrait s’y méprendre, chaque année précédente apporte elle aussi son lot de nouveautés. Comment oublier celle antérieure qui vit l’incendie de Notre-Dame et la crise des « gilets-jaunes » ? Comment oublier celle qui la devança où furent mises sur le devant de la scène toutes les violences faites aux femmes ? Comment oublier encore le même an l’assassinat d’Arnaud Beltrame après sa marque de courage héroïque ?
Et ces quelques exemples sont si peu, ils sont seulement la marque d’un regard occidental, et en particulier, celui français. Aussi, l’Histoire ne s’arrête pas à ces trois ans du passé, et le monde a souffert bien avant 2020 de douleurs épouvantables.
Titrer avec tant d’innocence « la pire année de l’Histoire », c’est piétiner la mémoire de ceux qui subirent des temps bien plus troublés.
Rappelez-vous. Les génocides qui altérèrent l’humanité, que ce soit en Arménie, en Vendée, en Allemagne ou au Cambodge. La guerre des tranchées qui fit des fiancées des isolées, des épouses des veuves, des enfants des pupilles de la nation. Les maladies qui anéantirent jusqu’à près de la moitié de la population mondiale.
Et les exemples ne manquent pas. Des températures si élevées ne furent jamais enregistrées auparavant car les températures n’étaient simplement pas enregistrées. Les désastres économiques sont encore bien peu aux côtés des successifs crashs boursiers et des reconstructions d’après-guerre. L’épidémie n’a pas fauché avec douleur une personne sur deux.
Les êtres qui vécurent avant nous ne se réduisent pas à de simples noms ni à des personnes de papier. Eux-aussi, ce sont des hommes qui connurent la difficulté. L’unique différence avec eux consiste dans le fait qu’ils ne cherchèrent pas à se rassurer sur le dos de personnes qui ne pourraient plus ni répondre, ni contester.
La tentation de l’oubli est forte, mais tant de signes rappellent des temps plus exécrables. Le voisin décrochant son téléphone pour prévenir la police de suspects bravant le confinement réveille les cicatrices encore brûlantes d’une collaboration passée. Toutefois, il ne faudrait s’y méprendre, car la frêle amende n’aurait su décemment être comparée au billet simple vers un camp de la mort.
Se projeter en des temps à venir est nécessaire à l’Homme, puisque par cette clarté qu’offre l’espérance, il est à même de tenir dans les périodes les plus difficiles. Cependant, la projection chimérique du rêve vers le réel ne saurait altérer la réalité du passé. Des années furent pires, bien pires, que celle s’étant achevée il y a quelques jours. Aussi, il n’y a pas de raison pour que celle qui débute soit de loin meilleure.
La marche de l’Histoire n’est pas faite seulement de montées, mais tout autant de précipices profonds résorbés par cet éternel : « c’était mieux avant ».
Foucault Barret
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