« Le premier confinement a augmenté les fractures sociales »

Philippe Delorme, secrétaire général de l’enseignement catholique, est revenu sur la situation actuelle des établissements scolaires privés. Un deuxième confinement, où les écoles ont en grande partie pu rester ouvertes au contraire de celui du printemps 2020. Le premier ayant amplifié les fractures sociales selon lui. Entretien.

Philippe Delorme, secrétaire général de l’enseignement catholique (crédit image : La Croix)

Pouvez-vous nous décrire votre rôle ?

J’ai été désigné par l’ensemble des évêques de France, secrétaire général de l’enseignement catholique. J’ai pris mes fonctions le 1er septembre 2019. L’enseignement catholique est un réseau réparti par diocèses. Chaque évêque est responsable de l’enseignement catholique de son diocèse. Il délègue cette responsabilité à un directeur diocésain.

Avez-vous un pouvoir hiérarchique sur le directeur diocésain ?

Non. J’ai plusieurs missions qui se situent au niveau national. Je dois fédérer et faire travailler ensemble tous les directeurs de l’enseignement catholique. Je ne décide néanmoins pas seul. Il y a un comité général qui vote des orientations proposées par moi-même. Le secrétaire s’occupe aussi de toutes les relations politiques. C’est moi-même et mes collaborateurs qui sommes en relation direct avec le ministère (et le ministre) de l’Education nationale. Je représente l’enseignement catholique auprès des autorités gouvernementales.

J’ai aussi tout le lien à effectuer avec les conférences des évêques de France. J’ai des missions de connaissances du terrain. Je me déplace donc assez souvent.

Comment avez-vous continué à poursuivre votre mission durant les deux confinements ?

Il y a eu deux énormes différences. Durant le premier, tous les élèves restaient chez eux. On avait un confinement strict pour tout le monde. On a réuni une fois par semaine par groupe de huit les directeurs diocésains dans des réunions par visioconférence. On faisait le point sur les difficultés, la réglementation. Ces réunions duraient deux heures.

Le deuxième a été différent. En grande partie, tous les élèves sont à l’école. On a continué de se réunir. Nous sommes dans une perspective d’avancée. On a un énorme travail national sur l’évolution de l’enseignement catholique à l’horizon de 2030. On continue à avancer, on ne peut pas rester bloquer par la crise sanitaire.

Par conséquent, vos déplacements ont été réduits ?

Tout à fait. Je me déplace peu. Je reste dans mon bureau à Paris. Il faut qu’on montre l’exemple. De ce fait, on reporte nos rendez-vous. On décale beaucoup. J’avais des déplacements en Guadeloupe, en Martinique, au Liban…Tout cela se fera plus tard.

Pour en revenir aux établissements scolaires, quelles ont été les règles protocolaires mises en place ?

Ce sont exactement les mêmes que pour les écoles publiques. On est soumis au même protocole. De ce que l’on me remonte, les élèves jouent bien le jeu. Les seules complications sont les temps de recréations et de restauration. Encore plus pour ces derniers car nous sommes obligés d’enlever les masques.

« Le problème se pose plus à l’extérieur des établissements »

Le problème se pose donc à l’extérieur des établissements ?

En effet. Les heures de sorties sont compliquées à gérer. J’ai une école publique, mais peu importe qu’elle le soit ou qu’elle soit privée, près de mon bureau à Paris. J’ai pu constater que les élèves se retrouvent à cinquante pour déjeuner dans un parc. Ce n’est pas tellement à l’intérieur des établissements que cela pose un problème mais plus à l’extérieur.

Tout cela est donc bien respecté, même si vous avez dû faire une exception pour les lycées ?

En effet, les directeurs et les enseignants font tout pour que cela se déroule bien. Même si dans les lycées, nous avons été obligés de passer au régime des demi-groupes afin de décharger le nombre d’élèves. La chance que l’on possède par rapport aux écoles publiques c’est qu’on a beaucoup moins d’effet de masse. Le grand maximum que l’on peut avoir ce sont 1000 personnes par établissement et non pas 3000 ou 4000. C’est tout de même plus facile à gérer.

« Le premier confinement a causé des dégâts sociaux et humains »

Avez-vous craint un confinement généralisé comme le premier ?

Oui, quand même. Il faut savoir mesurer les risques. Le premier confinement a causé des dégâts sociaux et humains. Les personnes les plus fragiles socialement parlant l’ont subi de plein fouet. On l’a constaté. Les enfants de familles plus fragiles ont pour certains décroché. Le réseau n’est pas le même partout en France. La fracture numérique existe. Certains enfants n’ont pas les mêmes moyens techniques pour pouvoir suivre les cours. Les enseignants l’ont constaté, ces élèves-là ont pour certains décroché. Si le confinement est une protection sanitaire, il cause des dégâts humains et sociaux considérables. Il faut donc être attentif à ça.

Des conséquences sociales donc très importantes…

On ne peut pas encore toutes les mesurer. Déjà comme je l’ai évoqué, des familles ont été touchées socialement. Dans l’enseignement catholique, on a pas mal d’enfants issus de milieux indépendants, artisans, commerçants, petits chefs d’entreprises. Ce sont des personnes qui ont été habituées à avoir des revenus corrects et qui d’un seul coup ont pu se retrouver sans, donc ce fut très compliqué.

On est aussi par exemple très implanté du côté de Toulouse, dans un secteur où il y a beaucoup d’employés d’Airbus. On sait que cette entreprise licencie massivement depuis la crise et ça risque de durer. Cela aura des répercussions sur la possibilité des parents à pouvoir scolariser leurs enfants chez nous.

 » Il faut plus s’inquiéter des conséquences sociales qu’économiques »

Au niveau économique et pour vos établissements, cela s’est-il fait aussi ressentir ?

Oui notamment ceux qui avaient des internats. Il y a des activités qui n’ont pas pu avoir lieu et n’ont pas procuré de ressources. Beaucoup de voyages scolaires ont aussi été annulés. Nos opérateurs nous ont rémunéré par bons d’achats et non par remboursement car ils n’ont plus de trésorerie. Des problèmes de restaurations aussi. On nous facture des frais fixes même si on n’a pas d’activités. Je pense néanmoins qu’il faut plus s’inquiéter des conséquences sociales qu’économiques.

Comment envisagez-vous l’avenir ?

Il faut l’envisager avec confiance et espérance. Il va y avoir un vrai rebond. Le virus ne va pas disparaître, mais il faut vivre avec. On a des défis importants à relever. J’ai confiance en la jeunesse et en l’institution enseignement catholique pour les mener vers le bon chemin. Je suis donc optimiste.

Nathan Bricout