Colonies de vacances : Crise dans un secteur (déjà) en crise

Rien n’était plus incertain que le maintien des colonies de vacances l’été dernier lors du confinement de la France en mars 2020. Déjà frappées par une baisse constante d’effectif depuis près de 30 ans, beaucoup d’organismes ont purement et simplement décidé d’annuler leurs séjours. Néanmoins, d’irrésistibles gaulois les ont maintenues, en respectant (ou non) des règles sanitaires des plus strictes (ou non).

Une colonie trappeurs à Luchon. — UNOSEL – 20minutes.fr

Le Comité de gestion des centres de vacances (CGCV), rattaché au ministère de la Transition écologique, fait partie de la poignée d’organismes qui ont décidé de maintenir leurs séjours. Dès le 3 avril 2020, au vu du contexte sanitaire français et mondial, il a pris la décision de suspendre toutes les colonies se déroulant à l’étranger, ce qui représente plus de la moitié de ses séjours.

Le 18 avril, dans un courrier adressé à Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse, le président du CGCV Stéphane Suteau évoque « un réel et grand besoin de vacances collectives au titre de l’été pour leur [aux enfants] santé, leur épanouissement et recréer du lien social ».

Fin mai, l’appel a été entendu. Et le Premier ministre Edouard Philippe annonce la réouverture possible des centres de vacances dès le 22 juin, avec des règles sanitaires drastiques : ouverture régulière des fenêtres pour aérer, masques de protections pour les encadrants, créations de sous-groupes dans les groupes (qui ne sont pas limités en nombre).

Des règles drastiques oui, mais qui ont très vite évolué à la baisse, avec le passage de 2 fois à 1 fois par jour du nettoyage des locaux, suppression de la distanciation physique pour les activités sportives, suppression des recommandations concernant la restauration (distanciation, carafes et panières à pain individuelles), possibilité des lits superposés sans distance physique mais tête-bêche.

Les colonies de vacances devinrent donc des lieux de brassage géographique qui ne sont soumis qu’à une règlementation sanitaire allégée et où les décisions en la matière sont dorénavant prises par les organismes et les équipes d’animation.

Des interprétations différentes suivant les directions

De surcroît, ces décisions restent pour certaines libres d’interprétation par les équipes pédagogiques et par les directions desdits séjours.

Certains considérant que le groupe équivaut à une « petite famille » et que la vie en collectivité sur le centre doit ressembler à la vie d’une famille dans sa maison.

Néanmoins, à partir du 17 juillet, les règles relatives au port du masque évoluent.[1] Auparavant nécessaire seulement lors des déplacements ou dans les moyens de transports pour les enfants de plus de 11 ans, le port du masque devient obligatoire pour toute activité, dès lors que la distanciation physique devient impossible.

Le masque devient donc quotidien et constant. Les activités, les repas, les temps en chambre sont parmi les moments où les masques devraient être portés par les jeunes. Mais la réalité est tout autre…

Des contradictions sanitaires et philosophiques

Si sur le papier tout semble acté, il est très difficile en colonie de vacances de respecter intégralement le protocole dicté par le gouvernement. D’abord parce que des exceptions protocolaires limitent les décisions prises. En effet, la distanciation physique ne s’applique pas lors de la pratique physique et sportive en centre de vacances. De surcroit, avec le port du masque obligatoire pour les encadrants et les jeunes, en cas de non-respect des distanciations, la pratique d’activités sportives en extérieur aurait dû en être concernée. Il n’en fut rien.

Ensuite, parce que les colonies de vacances véhiculent les principes et mixage, de mixité, de partage et de socialisation. Chaque équipe étant donc libre de promouvoir ces valeurs comme elle l’entend. Si dans la colonie aux Angles (Pyrénées-Orientales) du CGCV les 48 jeunes vivaient ensemble avec port du masque quasi-permanent mais sans sous-groupes d’une quinzaine de participants, ce fut tout l’inverse au centre de La Ligue de l’Enseignement de Ouistreham (Calvados) où deux sous-groupes de 16 et 18 jeunes repartis par tranche d’âge ne se sont pratiquement jamais croisés, mais où le port du masque était beaucoup plus lacunaire, voire inexistant. Néanmoins, en présence de personnes extérieures, le masque fait l’unanimité.

Il est également difficile de contenir les liens créés par ce type de séjour. Les colonies de vacances sont des lieux de partages et d’échanges où le « zéro contact » est impossible. Les jeux collectifs ou les accolades des fins de séjour sont légions et même inévitables. Les équipes encadrantes ne peuvent être en permanence aux aguets.

Colos apprenantes : top ou flop ?

Après les deux mois de confinement et la poursuite relativement réussie de l’enseignement à distance pour les élèves, le gouvernement a lancé l’opération « vacances apprenantes » dans laquelle s’inscrivent les « colos apprenantes ».

Cette opération, subventionnée jusqu’à 80% par l’Etat aux organismes partenaires, permettrait aux élèves de « rattraper leur retard » éducatif au travers d’activités tournées vers la culture et le savoir.[2]

L’objectif de Jean-Michel Blanquer était de faire partir 250 000 enfants durant la période estivale. Malheureusement, le succès souhaité n’a été que léger. Pour la ville de Paris par exemple, 2000 places ont été réservées sur les 3400 disponibles, c’est-à-dire moins de 6 places sur 10.[3]

Cependant, se pose désormais aux directions et organismes la question de la légitimité de ces « colos apprenantes ». En effet, trois réflexions s’affrontent.

Pour certains, est-ce le rôle d’une colonie de vacances de se « substituer » à l’Éducation nationale, et plus généralement aux enseignants, dans le cursus d’apprentissage scolaire ? Un animateur diplômé du BAFA (Brevet d’Aptitude aux Fonctions d’Animateur) n’est pas formé à l’enseignement thématique du savoir scolaire.

Ensuite, ce nouveau format de colonies de vacances pensé par le gouvernement n’est en réalité pas une nouveauté. Il existe en France de nombreux organismes qui proposent des « séjours pédagogiques » pendant lesquels s’alternent cours en présence de professeurs en fonction et activités ludiques encadrées par des animateurs diplômés. C’est le cas par exemple de l’Œuvre des Orphelins des Douanes (ODOD) qui organise chaque printemps des séjours pédagogiques pour préparer ses colons aux épreuves du baccalauréat. Ce type de séjour permet donc un accompagnement et un renforcement de qualité, en complément du cursus scolaire.

Enfin, le terme même de colonie « apprenante » parait, pour d’autres, dénué de sens. Une colonie de vacances n’est-elle ainsi pas un lieu d’apprentissage ? Certes, il n’est pas étudié les mathématiques pures ou la grammaire normative, mais les séjours permettent le développement moteur de l’enfant, ainsi que la créativité, l’imaginaire, l’autonomie, la vie en collectivité. A cela s’ajoute les activités culturelles organisées d’ordinaire par les organismes comme les visites du patrimoine local, la compréhension des marrées en bord de mer, l’étude du cycle des plantes à la campagne… Faire une distinction entre les « colos apprenantes » et celle qui ne le sont pas est donc « un manque de compréhension sur la véritable nature et les objectifs réels des colonies de vacances en France » nous confie un animateur.

Le coronavirus, un deuxième genou à terre pour les colonies de vacances ?

Depuis son âge d’or dans les années 1960 où près de 4 millions des jeunes partaient, la colonie de vacances connaît de fortes difficultés. En 2017, seuls 1,5 millions d’enfants séjournaient en « colo ». A savoir qu’en France, près de 4 millions d’enfants ne sont pas partis en vacances en 2019.

Contrairement à il y a 60 ans, les colonies se sont hyper-spécialisées avec des séjours thématiques, linguistiques, pédagogiques… La mise aux normes des locaux ou le recrutement de personnels diplômés sont d’autant de facteurs engendrant une hausse des prix. Partant d’une volonté de permettre à tous les enfants de partir en vacances après la Seconde Guerre mondiale, les colonies de vacances se sont aujourd’hui, en grande majorité, transformées en business du tourisme qu’en véritable lieu de mixité sociale, ethnique, géographique et culturelle. Outre les comités d’entreprises ou certaines associations d’éducation populaire comme La Ligue de l’enseignement qui, par des jeux de subventions aux familles les plus nécessiteuses, obtiennent des tarifs plus accessibles, le prix d’une semaine de « colo » se situe aux alentours de 500€ en moyenne.

Si dans les années 1990, c’est le système de marché et de commerce qui met à terre le premier genou des colonies, en 2020 c’est la Covid-19 qui fait fléchir le deuxième. Pour « Réseau colo », fédération de 30 organismes de colonies de vacances, 85% des séjours ont été annulés pour cause de la pandémie.

Le CGCV, quant à lui, a perdu près d’un quart de son effectif d’enfants, passant de 2000 à 1600 jeunes partis sur les deux mois d’été. Enfin, il faut ajouter à cela le surcoût, souvent à la charge de l’organisme, lié au contexte sanitaire. Entre les masques, les visières et les gels hydroalcooliques, le CGCV aura déboursé par loin de 20.000€[4] supplémentaires.

Un secteur déficitaire

Cependant, cette pandémie a permis la mise en lumière de ce secteur désavoué, malgré plusieurs campagnes de promotion au début des années 2010.

Passée inaperçue durant le confinement, une réforme a été opérée en avril dernier. Le BAFD (Brevet d’Aptitude aux Fonctions de Directeur) a vu son âge minimum abaissé à 18 ans, au lieu des 21 ans requis précédemment. Cette avancée démontre le manque de directeurs au sein des accueils collectifs de mineurs (ACM).

De surcroit, le secteur de l’animation se voit fragilisé par l’instauration du CEE (contrat d’engagement éducatif) en 2006. En effet, depuis lors, la rémunération journalière ne peut être inférieure à 2,20 fois le montant du SMIC horaire, c’est-à-dire qu’elle ne peut être inférieure à 21€ brut par jour. Bien loin du SMIC journalier de 71€. A savoir qu’en 2011, la Cour de justice européenne a estimé que le CEE ne respectait pas le droit du travail européen, notamment en matière de repos. Même si encadrer une colonie est un engagement citoyen, il n’en reste pas moins un véritable travail, pour lequel il aura fallu au préalable payer une formation.

La Covid-19 a donc provoqué un mal non dissimulé au domaine des colonies de vacances. Déjà délaissées depuis plus de 30 ans, elles subissent de plein fouet la peur (légitime) des parents au sujet de la contamination des enfants. En novembre dernier, le gouvernement a doté le secteur des accueils collectifs de mineurs d’un fond d’urgence de 15 millions d’euros dans le cadre de son plan de relance. De quoi donner un peu d’air frai aux associations organisatrices.

Benjamin Grischko


[1] Protocole sanitaire relatif aux accueils collectifs de mineurs avec hébergement – Ministère de l’Education nationale, de la jeunesse et des sports – 17/07/2020

[2] https://www.education.gouv.fr/les-colos-apprenantes-304050?gclid=CjwKCAjw1ej5BRBhEiwAfHyh1N0ZxqeRByWU_DVIPqBrTg2alzgIhZYGXH5mQbKTnF_B-3wRHqZddxoCGaUQAvD_BwE&gclsrc=aw.ds : Les « colos apprenantes » sont proposées par les organisateurs de colonies de vacances. Elles bénéficient d’un label délivré par l’État et proposent des formules associant renforcement des apprentissages et activités de loisirs autour de la culture, du sport et du développement durable. Elles offrent la possibilité aux enfants et aux jeunes de renforcer savoirs et compétences dans un cadre ludique et de préparer ainsi dans de bonnes conditions la rentrée prochaine. Une aide de l’État pouvant atteindre 80 % du coût du séjour est proposée aux collectivités co-partenaires du dispositif à hauteur de 20% du financement.

[3] https://www.leparisien.fr/societe/les-colos-apprenantes-ce-sont-surtout-des-vacances-15-08-2020-8368362.php

[4] Note interne envoyée aux directeurs du CGCV datant de juillet 2020.