Julian Assange, héros ou traître ?

Le lundi 4 janvier, la justice britannique a décidé de refuser l’extradition de Julian Assange, fondateur de Wikileaks, vers les Etats-Unis pour « des raisons de santé mentale ». Le pays veut le juger pour espionnage après avoir obtenu et diffusé des mémos classés secret défense via divers médias. Héros ou traître ? Retour sur cette accusation inquiétante pour la liberté de la presse.

Julian Assange à la cour criminelle de l’Old Bailey, à Londres le lundi 4 janvier.

« Se soumettre à une extradition pour un travail de journalisme qui a récolté de nombreuses récompenses et protégé beaucoup de gens » semble aberrant pour Julian Assange. Détenu en Grande-Bretagne depuis avril 2019, il attendait le verdict avec impatience. Désormais, cela est chose faite mais il reste encore beaucoup d’incertitudes quant à la situation d’Assange. Il est toujours poursuivi par les Etats-Unis pour espionnage selon l’Espionage Act de 1917 punissant toute personne interférant avec les affaires militaires du pays. Il encoure 175 ans de prison.

Beaucoup ont oublié l’existence de Julian Assange qui semble avoir disparu des radars depuis son incarcération en 2019. Son avocat français, Me Antoine Vey, a évoqué à la Voix du Nord sa surprise et sa joie en apprenant la nouvelle : « C’est une forme de miracle statistique, puisque la juge qui a rendu la décision accepte 98% des demandes d’extradition qu’on lui soumet. De plus, cela a permis de parler à nouveau de lui, de mettre en avant sa situation et son état. C’est un véritable bol d’air. L’une des premières bonnes nouvelles depuis dix ans. »

Post sur Twitter de Amnesty International condamnant la détention de Julian Assange

Avant son emprisonnement, Julian Assange s’est réfugié dans l’ambassade de l’Equateur pendant sept longues années alors qu’il était aussi poursuivi pour viol en Suède (les charges ont été abandonnées depuis). Aujourd’hui, incarcéré à la prison de Belmarsh à Londres, « le Guantanamo britannique », Julian Assange subirait de mauvais traitements allant même jusqu’à de la torture psychologique. Même si la juge britannique, Vanessa Baraitser, a refusé l’extradition à cause de la fragile santé mentale de l’homme, elle n’autorise toujours pas sa libération sous caution arguant qu’il lui serait trop facile de prendre la fuite. Nils Melzer, rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, a aussi réagi à l’annonce en évoquant que « Même s’il y a une procédure d’appel en cours, son isolation permanente dans une prison de haute sécurité est totalement inutile et démesurée. Rien ne justifie les mesures qui l’empêchent d’attendre le verdict final dans un environnement où il pourrait recouvrer la santé et mener une vie familiale et professionnelle normales. » Le Mexique a tout de même souhaité offrir l’asile politique au fondateur de WikiLeaks.

Liberté de la presse en danger

Ce genre de cas, similaires à ceux de Snowden ou des Pentagon Papers, sont généralement justifiés par la recherche de la vérité, mais Assange est, ici, accusé d’espionnage par la justice américaine. Un précédent inquiétant pour les lanceurs d’alerte et les journalistes qui les aident. L’ONG Freedom of the Press Foundation dénonce : « ces nouvelles inculpations contre lui sont sans précédent, effrayantes, et un coup porté au cœur du droit fondamental à la liberté de la presse ». L’Union Américaine pour les libertés civiles ajoute que « pour la première fois dans l’histoire de notre pays, le gouvernement entame une procédure criminelle contre un éditeur pour la publication d’informations véridiques ». Et c’est bien cela qui dérange.

Pour ces organisations et lui-même, Assange est un héros qui, via son site WikiLeaks, a tenté de rétablir et révéler la vérité. Les dossiers confidentiels qu’il a révélés au monde entier avec l’aide du Monde notamment en 2010, sont très sensibles et concernent en grande majorité des opérations de l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Alors que l’administration Obama ne s’était pas risquée sur ce terrain-là, c’est sous Donald Trump que les charges sont avancées. Il sera donc intéressant de voir comment agira le prochain président des Etats-Unis, Joe Biden, face à cette affaire. Va-t-il continuer sur la voie tracée par Donald Trump ou va-t-il prendre un autre chemin ?

Julian Assange qui est arrêté à Londres le 11 avril 2019. Photo de Hannah McKay pour REUTERS

Le Premier amendement détourné ?

Le Premier amendement de la Constitution américaine avance que « le Congrès ne pourra faire aucune loi ayant pour objet l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice, de limiter la liberté de parole ou de presse, ou le droit des citoyens de s’assembler pacifiquement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour qu’il mette fin aux abus ». C’est cela que la justice américaine essaye de contourner en avançant que le travail journalistique fournit par Julian Assange n’est pas « valide ». Selon le Monde, il aurait « explicitement réclamé, sur son site, certains documents secrets ; […] incité sa source, la militaire Chelsea Manning, à les lui fournir » et les aurait « reçus en ayant pleinement conscience de leur confidentialité » mais aurait aussi délibérément dévoilé l’identité des sources confidentielles évoquées dans les documents, les plaçant de surcroît en danger. La mise en danger de ces sources est un point controversé de l’affaire qui a valu à Julian Assange de nombreuses critiques même de la part des médias comme Le Monde qui l’ont aidé à diffuser les télégrammes et qui se sont efforcés de « filtrer » les documents confidentiels pour protéger les diplomates qui se retrouvaient exposés en pays en guerre.

« Souvent dans l’histoire, révéler brutalement au peuple une information jusque-là tenue secrète par les élites a provoqué de grands bouleversements politiques et sociaux. »

Julian Assange a évoqué dans une interview au Monde que « Souvent dans l’histoire, révéler brutalement au peuple une information jusque-là tenue secrète par les élites a provoqué de grands bouleversements politiques et sociaux. » Ainsi, pour lui, son travail serait le même que celui des journalistes qui s’efforcent d’informer le peuple et d’exposer la vérité. Il se décrit d’ailleurs comme un journaliste et non pas comme un lanceur d’alerte. Pour de nombreux médias comme le New York Times, The Guardian ou Der Spiegel, la question est donc de savoir ce qui, à l’avenir, empêcherait la justice américaine de s’en prendre à des journalistes qui auraient révélé des informations sensibles au public comme l’a fait Julian Assange. Se taire ou parler ? : voilà le dilemme auquel les journalistes sont aujourd’hui confrontés.

Margaux Chauvineau

Un documentaire d’Arte à regarder pour tous ceux qui veulent en savoir plus