Restaurant O P’tit Crabe de Goury : « On creuse notre tombe tous les mois »

Léa Lequertier et Thomas Perrotte sont propriétaires du restaurant O P’tit Crabe situé près du phare de Goury (Cap de la Hague – département de la Manche). Depuis deux ans et demi, ils s’investissent dans la modernisation de l’intérieur du lieu et de la carte mais la crise de la Covid-19 les plonge dans une situation très compliquée.

Thomas Perrotte est « un enfant de la Hague » selon ses propres mots. Il a vécu dans un petit village non loin du phare de Goury. Son objectif premier était d’investir dans le bâti localement et non dans la restauration. Mais, comme le lieu où se trouve O P’tit Crabe est classé, il n’est pas possible de changer sa dénomination. Alors, avec sa compagne, il s’est lancé ce défi : concilier une vie professionnelle et une vie de restaurateur. Thomas et Léa ont en effet chacun un travail à temps plein à côté et ils ne sont pas issus du milieu de la restauration. La localisation du restaurant illustre parfaitement ce qu’ils souhaitaient : investir dans le bâti du bout du monde. « C’est le reflet de la Hague pour nous ». Ce lieu touristique de la région n’est pourtant pas si favorable que ça pour les restaurateurs : « C’est compliqué de faire venir du monde de novembre jusqu’aux vacances de février. Les touristes commencent à revenir à ce moment-là puis nous avons un creux jusqu’au premier mai. La saison débute vraiment à la mi-avril et se termine mi-octobre ». Le couple a donc décidé d’élargir son offre : outre une partie restaurant, O P’tit Crabe offre également une partie séminaire. « Cette dernière permet de rester ouvert toute l’année, sinon ce n’est pas rentable. L’objectif est de faire venir des personnes qui sont loin de la mer – région, de Rouen, de Paris par exemple – et qu’elles profitent de ce magnifique cadre pour des réunions. » Cette activité a été freiné par la crise sanitaire : tous les séminaires programmés ont dû être annulés.

Mettre en avant le patrimoine local

Lorsque le couple a rouvert le restaurant en juin 2018, il voulait que les produits locaux soient mis en avant. Et c’est une réussite puisque « les produits à la carte ne proviennent que de la Hague : les poissons du pêcheur de Goury, la viande et la crème de Sideville et les maraichers du Val de Saire. » Seules les épices proviennent de grossistes. « Nous voulons mettre en avant le patrimoine culinaire local. Notre but est de créer une dynamique locale d’exploitation et de consommation. » Cette culture locale ne se retrouve pas que dans les assiettes : le restaurant est en partie décoré par des artistes de la Hague. Peintres, sculptures, photographes, ils se relaient tous les quatre mois pour accrocher leurs œuvres.

La Hague, partie ouest de la Normandie
Crédits : Canal Blog

La situation financière est catastrophique

Lors du premier confinement, le couple a été prévenu le samedi matin qu’il devait fermer le samedi soir. Hors, pour ces restaurateurs n’utilisant pas de congélateur, les pertes financières ont été importantes. « Quand on travaille avec des produits frais, c’est compliqué de s’organiser en si peu de temps. Nous avons environ 5 000€ de stock de frais dans les cuisines. Donc mi-mars, nous avons dû donner à des associations et vendre une partie. Mais cela ne comble pas les pertes financières. » Les restaurateurs ont pu se rendre compte que travailler avec des produits frais demande une certaine anticipation : « Nous avons besoin d’une semaine avant de pouvoir ouvrir aux clients. Notre carte est constituée de 5 choix et même avec ce nombre réduit, il nous est impossible de rouvrir du jour au lendemain. C’est une notion que je n’avais pas avant. », explique Thomas.

Lors de la conférence de presse du 7 janvier, le gouvernement a déclaré que les restaurants ne réouvriraient pas le 20 janvier comme espéré. Selon Mr Perrotte, le délai d’annonce « est raisonnable » et permet de mieux s’organiser. Mais la déception est grande : « Actuellement, la situation financière est catastrophique. On perd entre 3 000 et 4 000€ par mois malgré les aides de l’Etat. On creuse notre tombe petit à petit. Ma compagne et moi avons chacun un salaire grâce à nos activités à côté. Mais je me mets à la place des restaurateurs qui ne vivent que de ça, ils sont encore plus en difficulté que nous. Ils ne peuvent même pas se verser de salaire à la fin du mois. » L’Etat aide comme promis le couple : 1 500€ par mois de fermeture ont été versés pendant le premier confinement, ce qui revient donc à 4 500€. Et lors du confinement de novembre, 10 000€. Mais en contrepartie, l’URSSAF (cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales) a prélevé au mois d’octobre les charges salariales pour la période de mars à mai. Cela a été une surprise pour Thomas Perrotte : « Nous avions eu une promesse d’annulation des charges salariales mais nous ne l’avons pas eu. L’URSSAF nous a donc prélevé sans envoyer de facture. » De plus, le restaurant emploie six salariés en CDI et jusqu’à douze pour l’été. Les charges fixes sont donc élevées pour ce restaurateur.

Pendant la période estivale, O P’tit Crabe de Goury a pu accueillir des clients à 75% de sa capacité maximale. « Nous sommes passés de 70 à 50 couverts ». Et le rythme d’ouverture a également évolué : « Nous n’avons pas voulu recruter autant de salariés que d’habitude – 9 au lieu de 12 – puisque la situation est très instable. L’été, nous sommes normalement ouvert 7 jours sur 7 midi et soir. Cette année, nous avons réduit pour ouvrir tous les midis et les vendredi, samedi et dimanche soirs. » Ce qui est d’autant plus frustrant que les touristes étaient au rendez-vous : les restaurateurs ont dû refuser plus de monde qu’à l’accoutumée.

Intérieur du restaurant

La situation est compliquée pour le couple qui prend son mal en patience : « Nous n’avons plus de trésorerie. Nous n’avons pas d’optique de temps, pas de stimulation, pas de vision. Nous ne savons pas vraiment où nous allons. » Si O P’tit Crabe ne rouvre pas avant fin février, ça sera sûrement la fin de cette belle histoire pour Léa et Thomas.

Amélie Desjuzeur

Crédits Photos : Intérieur restaurant : Léa Lequertier
Extérieur : Amélie Desjuzeur