La plupart des grandes maisons d’édition possèdent à la fois des titres de presse et des licences littéraires diverses, notamment de bande-dessinée. Et si chaque milieu est souvent hermétique, il arrive parfois que les deux mondes se rencontrent. Aussi, tandis que certaines bandes-dessinées sont publiées dans des journaux sous forme de feuilleton, d’autres s’amusent à encrer le journalisme dans des cases pour en tirer des personnages.
Tout le monde connaît Tintin. Le célèbre héros belge à la houppette, vêtu de son pull bleu et d’un pantalon de golf, a même une renommée mondiale. Au point que Charles de Gaules dit de lui qu’il était son « seul rival international »… Il faut dire que le maître du non moins célèbre Milou a traversé par ses albums 24 aventures inédites, qui souvent furent adaptées pour le petit comme le grand écran.
Ce qui est souvent oublié toutefois, c’est le motif de ses voyages périlleux : Tintin est reporter. Il travaille même à ses débuts pour Le Petit Vingtième, le supplément hebdomadaire du journal Le Vingtième Siècle où sont publiées en réalité les oeuvres d’Hergé sous forme de feuilleton, à la manière de Quick et Flupke et Jo, Zette et Jocko. Aussi la presse est devenu rapidement le motif prétexte à toutes sortes de découvertes et de voyages.
Il faut dire que Tintin, comme tout journaliste, est curieux. Très curieux. Vif aussi bien sur le plan intellectuel que physique, il traque et débusque toute sorte d’ennemis de l’ombre, allant de la dissolution de trafics de drogue à l’arrestation de réseaux de faux-monnayeurs. Et c’est par cette capacité à retranscrire les événements dans le grand jour de la presse que ce premier homme à marcher sur la Lune est perçu comme une si grande menace par ses ennemis : « dangereux, à éliminer ».
Mais si le journaliste est le héros des aventures d’Hergé, son métier devient lui-même ressort à une histoire comique qui tourne la profession souvent au ridicule. Tandis qu’il est simplement la caution journalistique dans l’expédition vers L’Etoile mystérieuse, il perd son rôle de reporter principal dans Les bijoux de la Castafiore où le héros passe d’auteur à lecteur d’une histoire : les journalistes paparazzis marient la cantatrice dite « rossignol milanais » au bien ronchon capitaine Haddock.
Dupond et Dupont de passage chez Astérix
Mais le résident du 26 rue du Labrador puis du château de Moulinsart n’est pas l’unique journaliste de la bande-dessinée. La France a aussi ses héros, et la série créée par Goscinny et Uderzo entend bien faire de la presse un de ses ressorts du comique. Si les deux policiers à la célèbre moustache font un petit détour dans la Gaule wallonne dans Asterix chez les Belges, il faudra toutefois attendre la reprise de Ferri et Conrad avec l’album Le Papyrus de César pour qu’elle y tienne toute sa place.
Ici, César entend bien faire disparaître de sa Guerre des Gaules ses épisodes marqués de défaites face aux irréductibles gaulois… Voilà bien une mission pour le reporter Doublepolémix, révéler au grand jour le chapitre officieux. Devrions-nous dire plutôt que reporter « colporteur », lui qui vend ses nouvelles au titre du Matin de Lutèce. Certain de sa réussite avec ce canalis, il voit déjà les titres qui feront « trembler tout l’Empire » !

(source : http://www.generationbd.com)
Plus modeste dans ses ambitions, le petit Schtroumpf reporter, personnage-titre, entend de son côté par son journal mettre fin au téléphone-arabe qui agite le village champignon et déforme toutes les nouvelles. Inventant l’imprimerie avec l’aide du Schtroumpf bricoleur pour mieux diffuser son papier, il conçoit le Schtroumpf à la une, digne de tout journal classique. Tout y est présent : édito, petites annonces, mise en abime de la bande-dessinée comique pour amuser son lecteur, revue artistique et même bulletin météo, lequel est rédigé selon sa montée ou descente sur son échelle d’une petite grenouille dans un bocal.
Mais rapidement, le journal Schtroumpf souffre de ce qui semble être le mal principal de la presse : le besoin d’être lu. Après la dénonciations des « profiteurs » du village, il est temps de véhiculer les ragots de la pauvre Schtroumpfette qui y perd toute sa vie privée. Les petits potins se vendent mieux que les grands discours.
La recherche du bruit, une constante dans la vision qu’inspire la presse
De l’autre côté de l’Atlantique, même Donald aimerait faire les gros titres. Dans Picsou, Perdu sous la mer ! de Carl Barks, le canard peine à trouver des articles vraisemblables pour sa rédaction. Il s’embarque alors avec son oncle et ses neveux, Riri, Fifi et Loulou, sur le navire Grosspanic en vue d’un « article juteux » au sujet des motivations du multimilliardaire Picsou à partir brusquement en secret vers l’Asie. Ce qu’il ne sait pas encore, c’est que cela l’emmènera à la découverte d’une civilisation martienne terrée sous les océans à la recherche de minerais… un potentiel journalistique colossal en somme, mais rejeté par l’éditeur qui n’y croit mot.
Quant à Franquin, le tableau n’est pas moins contrasté. Le bien maladroit Gaston Lagaffe est censé travailler au Journal de Spirou et d’y trier le courrier, tâche qui lui semble bien difficile. Son directeur n’est d’ailleurs autre que Charles Dupuis en personne, directeur et fils du fondateur de la célèbre maison d’édition.
Or Gaston souffre de comparaison face aux autres employés des locaux du journal. Certains reporters autrement plus talentueux voyagent à la manière de Tintin dans le monde entier, comme Spirou et Fantasio. Celui-ci, en plus d’être inventeur à ses heures perdues, est journaliste puis même secrétaire de rédaction du même titre de presse.
C’est dans La Corne de rhinocéros que Fantasio joue le jeu d’un cambrioleur de nuit dans un grand magasin pour écrire un reportage sensationnel, lequel l’emmènera bien plus loin que ce qui était initialement prévu. Et c’est dans la même bande-dessinée qu’il rencontre son rival de presse le plus aguerri, mademoiselle Seccotine, reporter pour le titre concurrent, Moustique.
Ingénieuse et maligne, elle a recours à toute sorte de stratagèmes pour arriver avant Fantasio sur les lieux essentiels de ses reportages. Elle dispose même de gadgets à la manière d’un certain agent secret britannique, ici un peu réadaptés… C’est le cas de son poudrier capable de prendre des photos en toute discrétion. Une véritable prouesse technologique lors de la parution du tome, en 1952.
Quoi qu’il en soit, et bien que le titre de presse soit véritable, le nom du Moustique semble illustrer singulièrement la vision commune du journalisme. Illustrée par la bande-dessinée, celle-ci se rapproche dans l’imaginaire du petit insecte insupportable la nuit, l’insaisissable piqueur à la recherche des endroits les plus juteux, et qui entraîne après son passage une vive démangeaison.
Foucault Barret
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