Le cacique Raoni porte plainte contre Jair Bolsonaro pour crime contre l’humanité

Vendredi dernier, le cacique indigène kayapo Raoni a déposé plainte contre Jair Bolsonaro pour crime contre l’humanité. Le dossier est désormais entre les mains de la procureure Fatou Bensouda, qui décidera de l’ouverture ou non de l’enquête. 

Le cacique Raoni, le  15 janvier 2020 à Sao José do Xingu (Brésil). (CARL DE SOUZA / AFP)
(CARL DE SOUZA / AFP)

Raoni Metuktire est l’un des grands chefs du peuple kayapo, qui vit au cœur du territoire indigène de Capoto-Jarina. Il est également le visage de la lutte pour la préservation de la forêt Amazonienne et de la culture indigène. Le 22 janvier, il porte plainte contre Jair Bolsonaro pour crime contre l’humanité auprès de la Cour pénale internationale (CPI). Il l’accuse de meurtres, d’extermination et de mise en esclavage des autochtones de l’Amazonie par la destruction de leur habitat et le non respect de leurs droits fondamentaux. Pour rappel, la population indigène est composée d’environ 800 000 individus au Brésil. 

Ce qu’il fait savoir, c’est que ce n’est pas la première plainte déposée devant la CPI contre le chef d’État. Fin juillet 2020, une coalition regroupant une soixantaine d’organisations de professionnels de santé accusait l’administration de Jair Bolsonaro de crime contre l’humanité et de génocide pour sa gestion de la pandémie de Covid-19.

Pour comprendre ce qui est reproché à Jair Bolsonaro, il faut remonter au première jour de son mandat. En janvier 2019, le président a placé la démarcation des terres indigènes sous la tutelle du ministère de l’agriculture, les livrant ainsi à l’agrobusiness. Pourtant, la Constitution brésilienne rend ces terres « inaliénables et indisponibles ». De plus, cette démarcation accorde normalement aux indigènes la protection et l’usufruit exclusif des richesses du sol, des rivières et des lacs. En février 2020, le chef d’État a donné son accord à un projet de loi autorisant l’exploitation minière et agricole sur les territoires réservés aux indigènes. Prochainement, la Cour suprême doit décider si seules les terres qui étaient occupées par les peuples autochtones au moment de l’approbation de la Constitution le 5 octobre 1988 seront reconnues comme territoire indigène, alors que ces peuples ont été déplacés de force pendant la dictature militaire.

Depuis l’investiture de Jair Bolsonaro, la déforestation de l’Amazonie a augmenté de 34,5% en un an. Malgré la pandémie de Covid-19 et la récession économique, elle ne cesse d’augmenter encore et encore. Sa gestion de la crise sanitaire est aussi pointée du doigt. En juillet 2020, Jair Bolsonaro a exercé son droit de véto pour supprimer 16 articles d’une loi visant à obliger le gouvernement à fournir aux indigènes l’accès à l’eau potable et aux soins médicaux durant l’épidémie. Le président a estimé qu’elle pourrait entrainer des dépenses supplémentaires « contraires à l’intérêt public ». En 11 mois, 932 indigènes sont morts du coronavirus, notamment la femme de Raoni, et plus de 46 000 ont été contaminés, selon la Coordination des peuples indigènes du Brésil.

Au delà des décisions gouvernementales, les indigènes dénoncent les incendies volontaires qui détruisent la forêt, des plantations de soja qui se rapprochent dangereusement de leurs terres, les intrusions pour accaparer leurs ressources, des menaces et des meurtres. Une violence confirmée par le Conseil indigéniste missionnaire. En 2019, cette organisation a répertorié 256 invasions sur des terres indigènes, une augmentation de 135 % par rapport à 2018. De plus, 9 personnes ont été assassinées dont 7 caciques.

En fait, Raoni accuse le président brésilien de volontairement dégrader les conditions de vie des autochtones dans le but de les forcer à se déplacer de territoires convoités par les agriculteurs. Pour appuyer sa plainte, le cacique a monté un dossier de 65 pages, auxquelles sont annexées 21 pièces à conviction. Il rassemble les accusations portées par des dizaines d’ONG locales et internationales, des institutions internationales et des scientifiques spécialistes du climat. Le document reprend notamment un rapport publié par Amazon Watch, affirmant qu’« une faction dominante et conservatrice du puissant secteur agro-industriel du pays, connue sous le nom de “ruralistas”, aide à piloter le programme de Bolsonaro pour l’Amazonie ». 

Le chef Raoni est représenté par l’avocat français William Bourdon. Il a demandé à la procureure Fatou Bensouda d’ouvrir une enquête. Le Brésil a ratifié le traité de la CPI en 2002, ce qui lui permet d’enquêter sur les crimes commis sur son territoire et par ses ressortissants. En le ratifiant, le pays a aussi levé l’immunité de ses chefs d’Etat, dans le cas où ils seraient coupables de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre ou d’agression. Pourtant, Fatou Bensouda n’est pas tenue d’ouvrir l’enquête si elle considère que les chefs d’accusations ne correspondent pas à la définition d’un crime contre l’humanité. 

Alors est-ce que l’on peut considérer que Jair Bolsonaro est responsable d’un crime contre l’humanité ? Selon Valérie Cabanes, spécialiste des droits de l’homme : « Il faut regarder la Terre comme un être vivant et l’Amazonie comme l’un des organes de la planète. Jair Bolsonaro met en péril des ressources naturelles qui sont utiles aux populations locales et à l’humanité en général. La forêt amazonienne est vitale pour le maintien du vivant et si elle continue à être exploitée à ce rythme, elle va se transformer en désert très rapidement. Le cycle des pluies de cette région tropicale va s’en trouver totalement perturbé et finir par dérégler le climat mondial. En réalité, le président brésilien se rend coupable d’écocide – la destruction de la maison commune, une atteinte grave à l’un des écosystèmes de la Terre – mais ce crime n’existe pas encore en droit international ». 

Finalement, le dossier monté vise à prouver que Jair Bolsonaro est certes, coupable d’un écocide, mais que celui-ci a des conséquences meurtrières sur la population indigène. À travers cet écocide, le président se rendrait donc coupable d’une crime contre l’humanité. Le but est également d’attirer l’attention de la communauté internationale, dans l’espoir d’obtenir un quelconque soutient. 

Mathilda Calais