L’anorexie touche 1,5% des femmes âgées de 15 à 35 ans. Une maladie qui fait partie des TCA (Troubles du comportement alimentaire) que l’on assimile souvent trop facilement à l’envie de ressembler aux standards de beauté. Juliette, 20 ans, a accepté de nous raconter son combat contre l’anorexie en montrant la complexité de cette maladie.

Difficile d’identifier l’origine du mal-être qui anime Juliette, 20 ans, étudiante en École d’ingénieur à Lille. Un épisode est sûrement à retenir, celui de sa mère faisant une énième réflexion à sa soeur de 8 ans son ainée à propos des formes qu’elle développe, pendant sa quatorzième année et qu’il faut contrôler. Juliette a six ans.
Puis l’adolescence arrive pour la jeune femme avec à son tour, son lot de modifications physiques. Au même moment, elle découvre les difficultés des relations sociales et peine à se sentir à sa place dans les groupes d’amis, au collège puis au lycée.
J’avais la sensation de ne pas rentrer dans le moule. La solution, là, était toute trouvée. Pour être mieux acceptée socialement, il fallait que je rentre dans le moule physiquement en étant plus fine » raconte Juliette.
À ce moment là, il est difficile de parler d’anorexie. Juliette s’impose une discipline sportive pour perdre du poids : 12 heures de sport par semaines, renforcement musculaire…
J’ai commencé à m’interdire de goûter. Puis, petit à petit, j’ai forcé mon corps à une discipline drastique en contrôlant chacune des choses que je mangeais. Impossible pour moi de manger quelque chose cuisiner au beurre ou à l’huile. Je refusais ce que ma mère me préparait. » confie la jeune femme.
« Prendre du poids pour moi c’était un échec »
Juliette est heureuse, son régime marche et elle a réussi à faire mentir sa mère qui lui assurait qu’elle était « un bec sucré » qui n’avait « pas le bon métabolisme ». Une perte de 17 kilos en huit mois. Elle passe de 63 à 46 kg pour 1 mètre 71. Une IMC de 15,7, situation d’insuffisance pondérale, de dénutrition. Il faut dire qu’elle n’a pas chaumé. Environ huit passages sur la balance par jour pour contrôler le moindre variation d’un gramme, l’interdiction de la moindre transgression sucrée et beaucoup, beaucoup de sport.
Je me souviens que je me sentais très fatiguée et que j’avais froid. Parfois j’avais du mal à tenir sur mes jambes. Contrôler mon poids était devenu la solution à toutes mes inquiétudes. Seulement si moi j’étais fière de ma perte rapide de poids, mon entourage commençait à s’interroger, à la maison mais aussi au lycée ».
Si les autres tirent la sonnette d’alarme et commencent à évoquer l’anorexie, Juliette voit en cette nouvelle compagne, une alliée de choix pour accéder à son idéal de contrôle sur sa vie. « Malheureusement c’est scientifique, moins on mange, moins on libère d’hormones du bonheur. J’ai arrêté d’avoir mes règles et je suis tombée en dépression ». Sa mère l’oblige à rencontrer une diététicienne et elle commence à reprendre du poids. Là c’est la descente aux enfers.
J’avais la sensation que tout s’écroulait. Les gens me faisaient remarquer que j’avais meilleure mine, que j’avais l’air d’aller mieux… En réalité c’était pire, pour moi c’était un échec, je préférais me voir avec un visage cadavérique ».
Impossible pour elle de rester comme cela, après son baccalauréat, elle entre en médecine, le stress de la réussite, elle reprends un régime déséquilibré.
Soit je régissais ma vie comme une militaire, soit je passais mes journées à grignoter des choses sucrées pour contrôler mes angoisses et là je penchais vers l’hyperphagie. Dans tous les cas, j’étais fatiguée et je n’arrivais plus à apprendre, à retenir mes cours. J’ai dû arrêter médecine ».
Le poids des mots
Après une hospitalisation de dix jours, qu’elle appréhendait comme une sorte de stage, rien n’a réellement changé. Sa psychologue lui a néanmoins permis un retour rétrospectif sur l’origine de l’anorexie.
J’ai compris au cours du travail avec ma psychologue que beaucoup de choses venaient de ma mère. Le contrôle de l’image et du poids était omniprésent dans ma famille. Les réflexions qu’on pouvait entendre comme « bec sucré » , ou « Oh tu as pris des fesses, attention » ont eu un impact dévastateur sur moi. Aujourd’hui encore, il y a une sorte de compétition malsaine entre ma mère, ma soeur et moi autour du poids ».
Pour Juliette, s’en prendre à son corps c’était en quelque sorte, s’en prendre à sa mère. Voilà toute la perversion de la maladie : voir comme une amie cette chose impalpable qui te détruit tout en te permettant une sensation de contrôle.
Aujourd’hui, si elle estime aller mieux, elle peine encore à la considérer comme une ennemie.
C’est difficile, une fois que c’est passé de me souvenir des côtés négatifs. J’ai l’impression que l’anorexie m’a permis de mieux me connaître. Je n’estime pas en être guérie, pour le moment, j’apprends à vivre avec ».
Selon l’INSERM, les troubles alimentaires (TCA) touchent les femmes plus de 9 fois sur 10. On estime qu’1,5 % des personnes de sexe féminin entre 15 et 35 ans connaissent ou connaitront des troubles alimentaires.
En France, 5 à 10% des anorexies entrainent une tentative de suicide ou le suicide. Les troubles alimentaires causent un décès dans 10 % des cas, alors qu’ils évoluent positivement dans 30% des cas.
Cécilia Leriche
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.