Sourire en coin, regard malicieux, à 20 ans, Jessica Han est Australienne et Chinoise. Elle aime la nourriture, le piano, les chats et parle mandarin, anglais et français. Née en Chine, à Shenyang, dans le nord-est du pays, elle n’a pas eu une enfance ennuyeuse. Trop Australienne pour certains ou trop Chinoise pour d’autres, Jessica nous explique ce que c’est que de vivre avec différentes cultures.
Pourquoi as-tu déménagé en Nouvelle-Zélande et en Australie ?
Je crois que mes parents ont quitté la Chine pour la Nouvelle-Zélande parce qu’ils avaient beaucoup d’amis qui ont déménagé là-bas et qui ont adoré. Mes parents avaient la vingtaine et ils recherchaient l’aventure et ils ont donc aussi voulu essayer . Il me semble qu’ils sont ensuite partis pour l’Australie pour avoir de meilleures opportunités de travail. J’ai donc la double nationalité néo-zélandaise et australienne même si ethniquement je me considère Chinoise.

Comment ça fait de venir dans un pays comme l’Australie où la tradition, la langue et les valeurs sont différentes de celles que l’on trouve en Chine ?
J’ai quitté la Chine quand j’avais 3 ans donc j’ai grandi à l’étranger et la transition n’était pas si horrible que cela. J’ai un vague souvenir de mon premier jour à l’école en Nouvelle-Zélande. Je me rappelle essayer de ne pas pleurer après que mes parents m’aient déposée dans la salle de classe et que la maîtresse ait commencé à parler dans une langue que je ne comprenais absolument pas. Durant ma première année d’école, j’étais une élève vraiment silencieuse. Une autre différence : je n’avais aussi aucune idée de comment utiliser un couteau et une fourchette. Heureusement, mes amis étaient ravis de m’apprendre à m’en servir.
Te considères-tu plus Australienne ou plus Chinoise ? Les deux ?
Je me considère à la fois Australienne et Chinoise. En Australie, il existe un terme spécial pour les gens comme moi : ABC, Australian-born Chinese (Australiens nés en Chine). Ce sont ces gens qui sont ethniquement Chinois mais qui ont grandi en Australie et sont donc un étrange mélange culturel des deux nationalités, n’appartenant entièrement à aucune des deux. Quand j’étais plus jeune, je me suis toujours dit que si j’avais grandi en Chine, ma vie aurait été beaucoup plus facile. Mais maintenant je suis vraiment heureuse d’avoir cette double culture.
Y a-t-il des moments où tu te sens trop Chinoise ou trop Australienne à l’école ou bien avec tes amis et ta famille ?
Très souvent. Je suis allée dans un lycée avec des élèves majoritairement blancs donc chaque année j’étais une des seules asiatiques de la classe. Je me suis toujours sentie étrangère avec mes cheveux noirs perdus dans cette marée de cheveux blonds et bruns. A la place des Disney, j’ai grandi en regardant des dessins animés chinois comme Ne Zha et Journey to the West (Xi You Ji). Au lycée j’ai découvert les animés japonais et les mangas même la K-pop. Je ne dis pas que je n’étais pas intéressée par la pop culture occidentale, j’ai même été pendant longtemps obsédée par Harry Styles. C’est juste que je ne m’y reconnaissais pas autant. Quand j’étais plus jeune le fait de parler chinois avec ma famille ou de rapporter du riz fris ou des raviolis pour mon déjeuner renforçait à mes yeux cette idée que j’étais trop Chinoise pour être considérée vraiment Australienne. Je parle très bien chinois mais je ne suis pas aussi douée qu’une personne ayant vécu en Chine toute sa vie, donc parfois quand je suis à la maison et que je parle avec mes parents, je m’arrête en plein milieu de ma phrase pour traduire un mot que j’ai en anglais mais pas en chinois. Heureusement, mes parents parlent quand même un peu anglais donc on utilise généralement un mélange des deux langues. Mais quand je vais voir ma famille en Chine, j’ai du mal à me sentir à ma place parce que je suis considérée comme trop Australienne. En Chine, ils appellent les enfants comme moi « bananes » : jaune à l’extérieur et blanche à l’intérieur.

Une question que tu aimerais que les gens arrêtent de te poser ?
Maintenant ça ne m’importe plus autant mais avant je n’aimais vraiment pas quand les gens me demandaient « d’où viens-tu ? » parce que ça renforçait ce sentiment que même si j’avais grandi ici, je ne serais jamais à ma place. Mais désormais quand on me pose la question, je considère que les gens sont juste curieux et donc je réponds avec fierté que je viens de Chine. Je suis aussi curieuse quand je rencontre une personne qui n’est pas blanche. J’ai envie de savoir quelles sont ses origines donc je ne vois plus cela comme quelque chose d’offensant.
Quels sont pour toi les avantages ou les inconvénients d’avoir différentes cultures ?
J’adore être capable de pouvoir me rattacher à l’une ou l’autre des cultures, parce que je pense que chacune a quelque chose d’unique et je peux donc profiter du meilleur des deux mondes. Mais être prise en sandwich par les deux est aussi à double-tranchant, parce que je peux être considérée comme trop Chinoise par mes amis Australiens ou bien trop Chinoise par ma famille comme si je ne pouvais pas appartenir pleinement et entièrement à l’une et l’autre à la fois.
Un aspect de la culture chinoise ou une tradition que tu aimerais que les gens connaissent ?
La nourriture ! C’est fondamentale dans la culture chinoise. Cuisiner, servir et partage de délicieux plats est une façon pour les Chinois d’exprimer leur amour pour la famille et les amis. On rigole souvent sur le fait que la version de « je t’aime » des parents chinois est « tu as déjà mangé ? ». Les repas chinois sont généralement à partager entre tous les membres de la famille. Il y a énormément de variété de plats et très souvent il ont une histoire intéressante. Par exemple, chaque année on mange du zongzi, du riz gluant en forme de triangle enroulé dans des feuilles de bambou. Selon la légende, il y avait un grand et très aimé général appelé Qu Yuan qui s’est suicidé dans la Rivière Yangtze. Pour s’assurer que les poisons du court d’eau ne dévorent son corps, les gens jetaient des zongzi dedans. C’est donc comme ça que la tradition de manger des zongzi persiste chaque année.

Quels sont les stéréotypes à propos des chinois que tu considères vrais ? Et ceux qui ne le sont pas ?
Les Chinois considèrent l’éducation comme fondamentale. Les parents Chinois pensent qu’avec une bonne éducation, tu peux avoir un bon travail et donc être financièrement stable, ce qui est souvent synonyme d’une bonne vie. Par conséquent, beaucoup d’entre nous sont bons à l’école et doivent suivre très jeunes des cours de soutien. Beaucoup de personnes blanches pensent que ce n’est pas nécessaire, mais personnellement je suis reconnaissante de l’attitude qu’ont mes parents envers l’éducation. Cela m’a appris très jeune l’importance et le pouvoir du dur labeur . C’est en étudiant et en allant à des cours de soutien que j’ai été capable d’obtenir une bourse académique dans une école prestigieuse, qu’autrement je n’aurais pas été capable de me payer. Je souhaiterais que les gens, en me voyant et en voyant mes résultats scolaires ne considèrent pas que mes parents sont stricts et cruels, qu’ils me déshéritent si je n’étudie pas la médecine ou que je suis à plaindre. Pour ce qui est des faux stéréotypes, je dirais que tous les Chinois ne sont pas riches et je ne connais pas une seule personne Chinoise qui mange des chiens.
Grandir peut être compliqué. Grandir sans savoir quelle est son identité peut l’être encore plus. Jessica est une jeune femme pleine de vie, toujours partante pour essayer de nouvelles choses. Elle part vivre deux mois en France à l’âge de 16 ans, elle voyage seule en Angleterre, en Corée du Sud, baroude en Australie… Certes, avoir différentes cultures peut s’avérer difficile pour trouver sa place dans ce monde. Mais cela lui a aussi énormément apporté : de la curiosité, de l’ouverture d’esprit, une capacité d’adaptation et tellement d’autres qualités. Finalement, ces enfants multiculturels et immigrés ne seraient-ils pas la plus grande richesse d’un pays ?
Margaux Chauvineau
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