PHOTOJOURNALISME : OÙ SONT LES FEMMES ?

Elles ont écrit quelques-unes des plus belles pages du métier. Pourtant, les femmes photojournalistes restent très minoritaires. Quelle réalité, quelle égalité ? Elles témoignent des obstacles de la profession.

Des hommes, des hommes, et encore des hommes. Dans les grandes salles d’exposition photographique, on peine parfois à trouver des travaux féminins. En 2018, Libération pointait du doigt les Rencontres d’Arles : « 12 grandes expositions masculines contre 3 féminines ». Quand d’autres dénonçaient le célèbre festival Visa pour l’image : « sur les 21 photojournalistes exposés cette année, seules 5 sont des femmes ».

Et pourtant, les photographes féminines tiennent tête. Cette même année, c’est Véronique de Viguerie qui est acclamée pour monter sur scène. La voilà récompensée du très célèbre prix Visa d’or pour ses photos saisissantes de la guerre au Yémen. Cela faisait vingt ans qu’une femme n’avait pas été primée dans cette catégorie. « Il était temps et je suis encore plus fière », s’exclame la lauréate. Car en photojournalisme, la représentation féminine ne va pas de soi.

SAANA, YEMEN- 2017, OCT: Une mère et son bébé testé positif au choléra à l’hôpital Sabeen de Sanaa. © Véronique de Viguerie

Le photojournalisme s’est pourtant féminisé d’année en année. Plus de 60 % des étudiants en photographie sont des femmes. Alors pourquoi sont-elles quasi invisibles une fois sur le marché du travail ?

Ni vues, ni connues

Si sur le terrain les missions sont les mêmes, les inégalités apparaissent rapidement par la suite. « Les reportages des femmes sont moins mis en lumière, moins reconnus dans les expositions, moins sélectionnés pour être primés », témoigne Marie Dorigny, photoreporter.

« Un faux débat » selon Jean-François Leroy, le créateur et directeur du festival Visa pour l’image. Car la question, souvent posée, à l’art de l’agacer : « Je ne regarde jamais si c’est un mec, une femme, un black, un blanc, un asiatique. Je m’intéresse juste au travail ».

Une différence qui se ressent parfois même jusque dans les salaires. « Nous sommes moins bien payées que les hommes, car nous avons tendance à moins mettre notre travail en valeur », dénonce ainsi Stéphanie Sinclair, photojournaliste. Certains y voient le résultat d’une société patriarcale qui aurait généré un « manque d’audace » chez les femmes. Pour d’autres, c’est la cause d’un challenge perdu d’avance : la démotivation face au peu de visibilité de leurs consœurs.

Les femmes témoignent aussi d’un sexisme qui persiste dans le milieu de la photographie. Mais le plus dur à passer serait le « cap de maman ». « Quand je suis tombée enceinte, je ne connaissais aucune femme photojournaliste avec des enfants qui continuait d’exercer son métier. Mon premier réflexe a donc été de cacher ma grossesse », témoigne Lynsey Addario, partie réaliser un reportage en Somalie enceinte de six mois.

Un combat pour la reconnaissance

Forte heureusement, outre les obstacles, les femmes s’octroient quelques privilèges. « J’ai eu accès à des lieux interdits aux hommes », relate Marie Dorigny. « Je pouvais approcher et rencontrer les femmes alors que mes confrères n’y avaient pas accès ». Un sésame dont elles n’hésitent pas à se servir pour se démarquer face aux hommes. La ruse est de mise.


Photo primée par le Prix Canon de la femme photojournaliste 2019 ©Anush Babajanyan / VII Photo Agency

Alors les femmes se serrent les coudes et redéfinissent leurs propres règles. Sous-représentées, elles ont choisi d’organiser leur propre prix. Depuis 2001 par exemple, le Prix Canon de la femme photojournaliste est décerné par l’Association des femmes journalistes. Cofondée par Isabelle Fougère, il soutient chaque année une photographe indépendante qui réalise un projet de qualité.

Le parcours des femmes dans un domaine en crise semble bien compliqué. Cependant leur combat n’est pas vain. Pour la dernière édition de Visa : une programmation paritaire à l’affiche. Preuve que le talent n’a pas de sexe !

Cidjy Pierre