30 octobre 1938, les Martiens envahissent l’Amérique !

Le 30 octobre 1938, la voix d’Orson Welles résonne sur les ondes de CBS. Les auditeurs
découvrent l’interprétation du roman d’Herbert George Wells, La Guerre des mondes. Entre
canular et panique bien réelle, une légende naît : les Martiens ont envahi l’Amérique.

« Depuis l’aube de notre siècle, nous sommes observés par des êtres d’une intelligence absolue » [1]

Un soir d’octobre 1938, les auditeurs sont captivés par la voix d’Orson Welles mettant en scène le roman La Guerre des mondes de l’écrivain britannique Herbert George Wells. En quelques secondes, la troupe du Mercury Theatre on the Air crée un vent de panique à travers les États-Unis: les Martiens ont envahi le pays. A coup de faux flash informations et de faux journalistes, l’émission devient réelle.

Terreur martienne

Ce soir-là, le bulletin météo informe d’une perturbation atmosphérique d’origine inconnue. Les astronautes aperçoivent des lumières à la surface de Mars. Le ton est donné. Depuis Los Angeles, dans l’hôtel Park Plaza, le speaker prend la parole :

« Mesdames et Messieurs, nous sommes bien contraints de ne pas poursuivre notre retransmission musicale car une nouvelle d’importance doit vous être donnée… »

Pendant ce temps à Chicago dans son laboratoire, un scientifique observe des explosions de gaz incandescent sur la planète Mars. Un astéroïde semble se diriger vers la Terre. Étrange.

La musique reprend, laissant le doute gagner les auditeurs. En direct du New Jersey, le présentateur Philipps d’une voix grave annonce :

« Une forme voûtée s’extrait de la fosse. Je parviens à distinguer un faible rayon de lumière sur un miroir. Qu’est-ce que c’est ? Un jet de flamme vient de jaillir du miroir et bondit droit vers les hommes qui s’avançaient ! Ils sont frappés de plein fouet ! Oh mon Dieu, ils viennent de prendre feu ! » [1]

Ce qui était alors une météorite se révèle être en réalité des Martiens venus semer la mort sur l’Amérique. Silence radio.

Les Martiens viennent tout juste d’envahir les terres américaines.
Source :
La guerre des mondes, H.G. Wells, Edgar P. Jacobs.
Edition Dargaud

« Mesdames et Messieurs nous sommes au regret de ne pouvoir poursuivre notre émission depuis Grovers Mill. »

De l’autre côté du poste, à Chicago, c’est l’effroi, pris de panique d’autres décident de mettre fin à leur jour. Embouteillages, accidents, fausses couches, suicides… L’Amérique est en proie à la terreur martienne.

La Guerre des mondes, un canular radiophonique

Le lendemain, tous les journaux diffusent la nouvelle. Le New York Times titre « Les auditeurs paniqués prennent une fiction sur la guerre pour la réalité ». A Boston, le Daily Globe titre « La pièce radiophonique terrifie la nation ». « Une prétendue invasion martienne plonge le pays dans la panique », continue le Boston Herald.

« Une fausse “guerre” à la radio sème la terreur à travers les États-Unis » titre Le New York Daily News. Source : Slate

Des milliers d’articles décrivent la panique qui a envahi les rues des États-Unis. C’est ainsi que l’histoire est parvenue dans les oreilles des Américains. Contrairement à ce que l’on croit, la légende a été largement exagérée.

Le soir même de la diffusion, le service de mesure d’audience C.E Hooper rapporte avoir téléphoné à quelque 5.000 foyers pour son évaluation nationale. A la question « Quel programme êtes-vous en train d’écouter ? », seuls 2 % des interrogés auraient été branchés sur CBS. En d’autres termes, 98 % des interrogés écoutaient un autre programme ou rien du tout.

Il faut dire que la fiction radiophonique de Welles était programmée au même moment qu’une émission nationale populaire « Chase and Sanborn Hour » avec en vedette, le célèbre ventriloque Edgar Bergen.

Dès le lendemain, les journaux ont alimenté la rumeur et l’émission d’Orson Welles a gagné en popularité. Alors que les nazis et fascistes menacent la paix du pays, l’histoire semble réelle. Cinq mois avant, les auditeurs ont déjà vécu un flash info semblable. Le 6 mai 1937, un journaliste raconte à la radio ce qu’il vient juste de voir. A cet instant, les auditeurs apprennent le crash du zeppelin, le LZ 129 Hindenburg.

Tous auraient alors pu croire que l’Amérique entière écoutait CBS. Mais c’est loin d’être le cas. CBS n’a pas diffusé l’émission sur tout le territoire et a fait un décrochage dans certaines régions préférant diffuser de la musique. Plusieurs chaines affiliées à CBS, dont la WWEI de Boston a même déjà programmé des émissions commerciales locales sur La Guerre des mondes.

La radio, un concurrent redoutable

Alors pourquoi les journaux se sont empressés de publier cette histoire amplifiant la rumeur ? Les scènes apocalyptiques de Welles sont construites a posteriori par la presse écrite et l’édition. Les journaux ont participé à la création du mythe. En plein essor et siphonnant leurs revenus publicitaires, la radio est
devenue un concurrent, une cible.

Ce 31 octobre 1938, la presse saute alors sur l’occasion de discréditer le média comme source d’informations. Dans son éditorial intitulé « La terreur par la radio », le New York Times reproche aux « responsables de la radio » d’avoir accepté de mêler « fiction à glacer le sang » et flashs d’informations « présentés exactement comme s’il s’agissait de véritables informations » [2].

Dans leurs articles, les journalistes mettent en garde contre les dangers de manipuler les foules. La
radio ne saurait maitriser l’information. L’Editor and Publisher écrit « la nation dans son ensemble fait toujours face au danger d’informations incomplètes et mal comprises sur un média qui doit encore faire ses preuves… quant à sa compétence à traiter l’information ».

Les voix d’Orson Welles et sa troupe n’ont finalement pas effrayé l’Amérique mais bel et bien les journaux. La radio vient tout juste de dévoiler sa force.

Noémie Loiselle

[1] Robert, Pierre. « « La Guerre des mondes » : histoire d’un canular radiophonique ». Franceculture.fr, 29 octobre 2010. Disponible sur : URL < https://www.franceculture.fr/emissions/la-methode-scientifique/la-methode-scientifique-emission-du-vendredi-17-janvier-2020 >

[2] Pooley Jefferson et Socolow Michael. « Non, «La Guerre des mondes» d’Orson Welles n’a pas paniqué les Etats-Unis ». Slate.fr, 31 octobre 2013. Disponible sur : URL < http://www.slate.fr/story/79512/guerre-mondes-welles-panique >