De la haine à l’amour : le rap français passe à la radio

Le rap, longtemps « persona non grata » de la scène radiophonique en France, est aujourd’hui en tête des écoutes.

Depuis plus de dix ans, le rap a connu une ascension fulgurante en France jusqu’à devenir aujourd’hui le genre musical qui trône en tête des écoutes. En témoigne le classement Spotify des morceaux les plus écoutés en 2020 où la musique urbaine occupe les premières places avec des rappeurs comme Hatik, Ninho, Nekfeu ou encore Jul…Qui aurait cru, il y a quelques années seulement, que le rap occuperait une place prépondérante dans le paysage musical français ? Personne. 

Nekfeu à l’hôtel de ville de Paris / Source photo : Elisa Parron

Et pour cause, longtemps labellisé comme sous-culture des quartiers populaires et de la jeunesse délinquante, le rap s’est longtemps vu refuser des ondes radio, voué à une diffusion sur des radios pirates car boudé par les annonceurs publicitaires. 

En 1981, François Mitterand, alors président de la République met fin au monopole de l’Etat sur la radio et déclare l’ouverture des radios libres. C’est alors qu’apparaissent les premières radios diffusant du rap dont Radio 7.

Cependant, le rap continue d’occuper une position marginale et n’accède pas aux radios les plus écoutées. 

 Dans mon quartier la violence devient un acte trop banal. Alors va faire un tour dans les banlieues. Regarde ta jeunesse dans les yeux. Toi qui commande en haut lieu, mon appel est sérieux. Non ne prends pas ça comme un jeu car les jeunes changent. Voilà ce qui dérange. » clamé le collectif de rappeurs Suprême NTM dans Le monde de demain en 1991. 

Années 90, la banlieue française est à feu et à sang. Des émeutes débutent à Lyon et gagnent l’ensemble de l’hexagone. Une contestation sociale qui met en lumière la misère de la vie des banlieues françaises. Deux moyens d’expression apparaissent la violence et le rap. Une instrumentalisation des écrits des jeunes de banlieue a lieu et participe à faire connaître le rap comme moyen d’expression. 

En 1994, une loi vient appuyer la visibilisation du rap. La loi Toubon oblige les radios à diffuser 40% de musique française. Le but ? Éviter le monopole des productions américaines. Le rap fait officiellement son entrée en tête des charts avec des morceaux devenus cultes : Je danse le MIA de NTM ou encore Bye Bye de Menellik.

L’hégémonie Skyrock 

 Je sors en indé, tu me verras plus jamais mettre les pieds à Skyrock. Ils ont travestis le R.A.P, je fais parti des rescapés. Ils ont encensés la médiocrité. Ils ont fait du Hip-Hop de la variété. », Kery James, Racailles.

En 1996, le monopole de la radio musicale repose sur un trio : Fun Radio, NRJ, Skyrock. Cependant, ce dernier est en perte de vitesse en comparaison des écoutes de ses concurrents directs. Laurent Bouneau, directeur des programmes de Skyrock fait alors un pari fou : tout miser sur le rap français. Un coup de poker payant puisque la radio voit ses audiences exploser. Trois millions d’écoutes journalières qui témoignent de l’autonomisation du rap comme genre musical grand public.

Le succès de Skyrock c’est aussi l’introduction de logiques marchandes dans le rap et d’un formatage critiqué des artistes. C’est ce qu’explique Sear, rédacteur en chef du magazine Get busy, un trimestriel spécialisé dans le rap et rédigé par des passionnés :

Tu rentres dans une commercialisation, tu vas avoir affaire à des grandes sociétés donc le but principal c’est de faire du chiffre, faire du placement. C’est pas de défendre une cause ou la banlieue ou la mémoire de la colonisation ».

Un monopole à l’effet pervers donc qui va être mis à mal ces dernières années avec l’arrivée du streaming. 

D’une logique marchande à une logique d’écoutes : le streaming 

En 15 ans, l’industrie du disque perd deux tiers de sa valeur. Les rappeurs ne vendent plus de disques. Les maisons de disques désinvestissent dans le rap. Pourtant, la baisse des ventes de CD de rap ne témoigne pas d’une faible popularité. En réalité, c’est même l’inverse. Les milliers de téléchargements sur les plateformes streaming ne sont pas comptabilisés dans les chiffres. Or le public qui écoute du rap est un public plutôt jeune qui investit massivement les plateformes de streaming : Deezer, Spotify, Apple Music et les sites comme Youtube ou Soundcloud

En 2018, le streaming représente 50% du marché de la musique en France. En 2015, les albums de rap représentent 16% des albums dans le top 200 en France, sans prise en compte des téléchargements streaming. En 2018, ils représentent 48% des albums avec prise en compte du streaming.

Le rap vit aujourd’hui ses jours dorés, n’étant plus seulement réservé aux radios spécialisées, il irradie l’ensemble des radios musicales à quelques exceptions près.

Il s’est imposé là où on ne l’attendait pas et conserve sa place en tête des ventes depuis plusieurs années. Pourtant les puristes regrettent un rap qui a perdu son ADN des débuts. Alors le succès au prix de la qualité ? 

Cécilia Leriche