Cash Investigation : la justice par l’information

A l’heure où des entreprises sont plus puissantes que certains pays, il y a peu d’institutions qui peuvent se permettre de dénoncer des multinationales. Pourtant, une émission française peut se vanter de cette prouesse. Depuis 2012, Elise Lucet et l’équipe de Cash Investigation révèlent au grand public des fraudes et secrets inavoués. Mais pour une fois, c’est à notre tour d’aller inspecter les bureaux de Cash Investigation.

Il faut redoubler d’ingéniosité pour enrayer ce système de communication et découvrir la vérité qui se cache derrière le discours publicitaire”. Ces mots, rapportés par Télérama, sont ceux d’Elise Lucet à la veille de la première diffusion de son émission. Un discours engagé, fort, mais surtout à l’image du programme auquel elle participe. 

Car Cash Investigation n’est pas qu’une simple émission, c’est un véritable symbole. Voir Elise Lucet débarquer dans ses locaux est le cauchemar de tout PDG, une réputation forgée après de nombreuses victimes : LVMH, WWF, Free ou plus récemment Huawei. Des empires jugés inatteignables et pourtant égratignés par un simple reportage. 

Elise Lucet face à un responsable de Samsung en 2014 cf France 2

Courage et infiltration 

Mais pour atteindre sa cible, il faut la connaître parfaitement. Cela, les journalistes de Cash Investigation l’ont parfaitement assimilé. Mieux encore, ils sont des professionnels dans l’art de l’infiltration. Au cours de chaque épisode, les reporters nous emmènent avec eux. Leurs caméras sont nos yeux et ceux-ci pétillent de vérité. 

Sauf que cette vérité n’est pas exposée de suite, nous la découvrons dans les mêmes conditions que les journalistes : sur le terrain. Toutes leurs péripéties sont vécues par le spectateur, celui-ci s’identifiant et comprenant les risques encourus. Dans les bureaux de Huawei ou dans les dortoirs d’une usine en Chine, ces voyages sont des expériences à part entière, témoignage de tout ce qu’il faut braver pour découvrir cette vérité. 

Là est la force de Cash Investigation : faire comprendre à son public les vices d’un système que personne ne connaît réellement. En ce sens, il attire l’attention d’un spectateur acquis entièrement à sa cause. 

Des risques non sans conséquence …

Toutefois, pour s’approprier l’attention, l’émission aime jouer d’une mise en scène sensationnelle et très orientée. Des reproches notamment prononcés par les journaux La Tribune et Challenges qui dénoncent un discours caricatural, réducteur et sans nuance. Une “mise en scène de l’information” très critiquée par les entreprises visées qui réplique par leurs moyens : les poursuites judiciaires.

C’est le cas en 2012 lorsque WWF et Jardiland attaquent Cash Investigation. Le premier réclame l’interdiction de diffusion d’une interview quand le second porte plainte pour diffamation. Ces recours, bien qu’infructueux, appellent à la déprogrammation de l’émission. Une alternative envisagée par l’équipe d’Elise Lucet, alors submergée par les procès. Finalement, ce sont les fans de l’émission qui vont militer pour une reconduite du programme via une pétition. Une initiative gagnante puisque Cash Investigation compte à ce jour 9 saisons avec des parts d’audience flirtant les 10%. 

Une réussite symbole du renouveau du journalisme d’investigation depuis 2010, avec le succès de Mediapart notamment. Les deux médias avaient d’ailleurs participé au dévoilement de l’affaire des Panama Papers en 2016, qui avaient secoué le monde entier. 

Louis Bouchard