Journaliste ou agent secret ? Quand le MI5 contrôlait les embauches à la BBC

Des années 30 jusqu’aux années 90, la BBC (British Broadcasting Corporation) a étouffé sa relation étroite avec le service de sécurité intérieure du Royaume-Uni, le MI5. Celui-ci contrôlait le personnel qu’elle embauchait. Un récit dévoilé par Paul Reynold, correspondant de la BBC de 1978 à 2011 et premier journaliste à avoir eu accès à tous les fichiers sur le personnel de la BBC.

En 1985, les journalistes David Leigh et Paul Lashmar dévoilaient la relation entre le MI5 et la BBC dans The Observer. Depuis la salle 105 dans un couloir à l’écart du premier étage de Broadcasting House (siège de la BBC), les dossiers des candidats étaient contrôlés par le service de sécurité, le MI5.

Personne, ni le personnel ni même la presse, était au courant de ce qui se passait lorsque l’on poussait la porte numéro 105. Derrière, se trouvait un homme en liaison direct avec le MI5, l’assistant spécial du directeur du personnel, ancien officier de l’armée, le brigadier Ronnie Stonham ; l’homme à la tête de tout un système qui contrôlait, main dans la main avec le MI5, les candidats au poste de la BBC.

Si le service secret jugeait le candidat inadapté, il pouvait être exclu du poste, sans toutefois savoir pourquoi. Dans certains cas, des journalistes étaient inscrits sur une liste noire suite à des informations inexactes sans même leur donner une chance de contester la véracité de ces informations, allant jusqu’à nuire à leur carrière.

La BBC et le MI5, une relation tenue secrète

En 1985, les journalistes David Leigh et Paul Lashmar dévoilaient la relation entre le MI5 et la BBC dans The Observer. Source : BBC

La BBC a réussi à garder l’histoire secrète jusqu’à la révélation en août 1985 par les journalistes David Leigh et Paul Lashmar dans The Observer. La presse venait de révéler les manœuvres de la BBC et l’article n’avait pas mis longtemps avant de provoquer une tempête à l’intérieur comme à l’extérieur de l’institution de la BBC remettant en cause son impartialité.

Dès 1933, le dirigeant de la BBC, le colonel Alan Dawnay, échangeait des informations avec le chef du MI5, Vermon Kell dans son appartement à Eaton Terrace dans le quartier de Chelsea. Deux ans plus tard, ces arrangements étaient vite devenus formels, les deux parties ont alors conclu un accord. Les candidats qui postulent à la BBC seraient examinés par le MI5 pour leurs opinions politiques, à l’exception des « charwomen », les femmes de ménage qui travaillaient à temps partiel.

Dès son départ, la BBC s’est engagée à ne pas révéler le rôle du MI5. Certains dirigeants du média s’étaient même inquiétés des déclarations trompeuses qu’ils avaient dû faire pour garder le secret. La BBC jouait sur une politique d’offuscation, niant toute la vérité à la presse de cette relation qu’elle entretenait avec le service de renseignement responsable de la sécurité intérieure. L’existence du MI5 lui-même n’a été officiellement reconnue qu’à partir du Security Service Act 1989.

A un journaliste du Sunday Times en 1968, le directeur général de la BBC, Hugh Greene déclarera allègrement de manière trompeuse :

« Nous avons 23 000 employés et dans cette communauté nous avons des gens de toutes sortes, y compris ce que vous appelez des pensées – le mot avait apparemment été utilisé par le journaliste – et aussi les communistes. Mais ce ne sont pas mes affaires. Nous ne menons pas une enquête sur les personnes qui rejoignent la BBC. »

Les craintes étaient que les communistes accèdent à des postes stratégiques et qu’ils puissent influencer les auditeurs. Le MI5 et la BBC appréhendaient que des conspirateurs infiltrent et sabotent le réseau à un moment critique ou encore qu’ils discréditent la BBC et que la voix soit ouverte pour un gouvernement de gauche.

Selon une note de 1984, une liste regroupait les organisations interdites incluant les partis de gauche, le Parti communiste de Grande Bretagne, le Socialist Workers Party, le Workers Revolutionary Party et la Militant Tendency. À ce stade, il y avait également des inquiétudes concernant les mouvements de droite, le Front national et le Parti national britannique. Un candidat banni n’avait pas besoin d’être un membre, la simple association à l’un de ces partis suffisait.

« La BBC avait trahi la confiance du public »

La journaliste Isabel Hilton s’est vu refuser un emploi à BBC Scotland en 1976. Source : BBC

En 1976, la journaliste et animatrice, Isabel Hilton, s’est vu refuser un emploi à la BBC Scotland. Elle est persuadée que ce refus est dû à sa prétendue complicité avec un membre du Parti communiste de l’Université d’Edimbourg. Plus tard, Michael Hodder, le dernier en relation avec le MI5 lui présentera ses excuses lui expliquant que cet épisode était une erreur. Mais cette « supposée erreur » lui laisse un goût amer dans la bouche. Indignée, elle reproche directement à la BBC de ne pas avoir assumé la responsabilité de ses actes. « Personne ne s’est jamais excusé, expliqué ou n’a fait aucune déclaration publique pour ma défense ou pour reconnaître son erreur ».

« Ils sont entrés dans un cloisonnement défensif institutionnel sans se soucier de ce que leurs actions auraient pu me faire, de ma réputation, de ma carrière, etc. – personne à la BBC n’a pris la responsabilité ou ne semblait penser qu’ils devraient faire quelque chose pour réparer les dommages. Je pensais que c’était une manière sordide de se comporter et je le pense toujours. »

Au-delà de sa propre expérience, la journaliste critique vivement la BBC.

« J’ai eu le sentiment que la BBC avait trahi la confiance du public en promouvant un système au Royaume-Uni dans lequel la police secrète autorisait et mettait sur la liste noire les journalistes. Chaque fois que j’entends la BBC se vanter de ses belles traditions de journalisme, je ressens un petit coup d’indignation. »

En 1983, 5 728 emplois de la BBC sont soumis à ce type de contrôle, connu sous le nom de « contre-subversion ». Presque immédiatement après la révélation dans le journal The Observer, la BBC n’a eu d’autres choix que d’admettre publiquement qu’elle était de mèche avec le MI5. Elle annonça que le contrôle avait bien eu lieu depuis 1937.

Seulement, la BBC s’est fait prendre à son propre jeu et fut dupée. Elle ne réussit pas à éliminer le véritable ennemi, Guy Burgess, qui travailla pour la BBC en exploitant les sources d’informations auxquelles il avait accès et qui s’était fait l’agent des services soviétiques d’espionnage. Ironiquement, la BBC avait, au sein de ses rangs, un membre du Secret Intelligence Service et des Cinq de Cambridge, le groupe d’espions qui coopérait avec l’Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale.

Noémie Loiselle