2.- La BBC et le MI5, une relation très étroite

Dans les années 30, la BBC commença à contrôler secrètement ses employés conjointement avec le MI5. Une relation étroite avec le service de sécurité intérieure du Royaume-Uni et inconnue de quiconque. La BBC avait alors une technique infaillible pour cacher la vérité, une procédure de vérification réfléchie et insidieuse.

Dans les couloirs de la Broadcasting House, le siège de la BBC en 1959, les dossiers des candidats étaient contrôlés par le MI5. Source : BBC

Tous les postes sont soumis à l’approbation du service de renseignements, allant du directeur général, des hauts fonctionnaires et leurs assistants jusqu’à des milliers d’employés qui participaient à des émissions en direct. Dès le départ, la BBC s’engage à ne pas révéler la relation avec le MI5 et son rôle de contrôler ses employés. Cela était compréhensible au départ dans le sens que l’existence même des services secrets est restée secrète jusqu’au Service Security Act, la première loi qui établissait une base statuaire du MI5.

Alors pour dissimuler cette vérité jusqu’au bout, la BBC met au point un filtrage infaillible : dès que de nouveaux employés voulaient entrer dans ses rangs, ils étaient contrôlés. Lors du processus de recrutement, l’institution sélectionnait plusieurs candidats jugés « apte » au poste. À partir de ce moment, le contrôle pouvait entrer en jeu puisque si le comité de nomination refusait un candidat après qu’il soit passé au crible, le comité pouvait facilement passer aux seconds. Les candidats étaient seulement informés que des « formalités » seraient effectuées avant que la nomination soit faite. En réalité, ces « formalités » n’étaient que le nom de code qui indiquait qu’un contrôle était en cours.

« Formalities » était le mot de code du système de contrôle. Source :
BBC

Si le MI5 suspectait le candidat, il était évalué et classé selon 3 catégories différentes, A, B ou C en fonction de sa possibilité à influencer.

  • La catégorie A déclarait : « Le service de sécurité conseille de ne pas embaucher le candidat dans un poste offrant la possibilité directe d’influencer le matériel diffusé à des fins subversives ».
  • La catégorie B était moins restrictive, le service de sécurité « déconseillait l’emploi à moins qu’il ne soit décidé que d’autres considérations l’emportent ».
  • La catégorie « C » déclarait que les informations contre un candidat ne devraient pas « nécessairement les exclure » mais la BBC « peut préférer prendre d’autres dispositions » si le poste offrait une « opportunité exceptionnelle » pour une activité subversive.

En principe, la procédure de la BBC était de ne jamais employer quelqu’un classé dans la catégorie A, bien que quelques-uns aient réussi à entrer à la BBC, contredisant la position publique de la BBC selon laquelle elle contrôlait toutes les nominations. En théorie, c’était le cas, mais en réalité, c’était le MI5 qui avait le dernier mot pour employer un candidat classé dans la catégorie A.

Un arbre de Noël ou l’art habile de tromper

La BBC est allée plus loin dans la ruse, si le personnel passait à travers les mailles du filet, il était à nouveau contrôlé. Lorsqu’il était suspecté après avoir été embauché ou souhaitait être muté à un emploi nécessitant un contrôle, un arbre de Noël était dessiné dans leur dossier personnel. La BBC tenait à jour une « liste de transfert de personnels » qui indiquait quels employés devaient être vérifiés lorsqu’ils devaient être promus. Un arbre de Noël ajouté au fichier alertait l’administration qu’il s’agissait d’un cas de sécurité.

Un « rappel permanent » (standing reminder en anglais) était
également inscrit dans leur dossier. Il stipulait : « Ne pas être
promu ou muté (ou placé sous contrat continu) sans référence au
[directeur du personnel]. » Source : BBC

Pendant 50 ans, la BBC a tenu secrète sa relation avec les services secrets britanniques, autant de temps qu’il aura fallu à la presse pour qu’elle découvre cette supercherie. La BBC supprimait subtilement le rappel permanent du dossier d’un employé si celui-ci se rendait à un tribunal du travail, qui pouvait demander ces dossiers personnels. Les dirigeants ont même été jusqu’à expliquer, de manière trompeuse, le cachet sur un dossier disant « Formalités normales de rendez-vous accomplies », en prétendant qu’il se référait à « des procédures de routine ».

La BBC ne peut plus continuer son petit jeu

Pourtant, en décembre 1979, le directeur général de la BBC, Hugh Pierce marqua un véritable tournant en annonçant qu’il était temps de mettre fin au contrôle. Au cours des deux dernières années, seulement 22 personnes avaient été exclues sur des milliers de personnes contrôlées, alors il recommanda de surveiller seulement les employés ayant accès aux secrets officiels et au BBC World Service, où de nombreux employés étrangers travaillaient. Au-delà, le contrôle n’était pas nécessaire et il jugeait plutôt que si l’opération devenait publiquement connue, ce serait « un motif de ridicule et de diffamation ». Sa recommandation ne fut pas suivie, mais sa prophétie se réalisa lorsque The Observer leva le voile sur cette affaire.

Presque immédiatement après cette révélation, la BBC n’eut pas d’autres choix que d’admettre publiquement qu’elle était de mèche avec le MI5 et annonça que le contrôle avait bien eu lieu depuis 1937. À la suite du Security Service Act en 1990, tous les contrôles furent arrêtés, à l’exception du personnel impliqué dans la radiodiffusion en temps de guerre et de ceux qui avaient accès à des renseignements secrets du gouvernement. Tout contrôle du personnel n’appartenant pas à ces catégories cesserait.

Au sein de l’institution, plusieurs voix se firent entendre et le soutien au système de vérification diminua. Au lendemain de la publication des deux reporters, David Leigh et Paul Lashmar, quelqu’un avait accroché des décorations de Noël sur la poignée de la porte de la salle 105 de Broadcasting House, l’endroit précis où le système fonctionnait. Deux années plus tard, le système de radiodiffusion en temps de guerre fut suspendu, le contrôle réduit.

Aujourd’hui, personne ne dira si des membres du personnel sont encore contrôlés, « nous ne commentons pas les questions de sécurité », dira un porte-parole de la BBC. Mais cette fois-ci, tout contrôle sera connu de la personne. Il n’y a plus de secrets comme autrefois.

Noémie Loiselle