Avec le « Women’s Day », on évoque beaucoup l’évolution des droits des femmes. C’est donc l’occasion de revenir sur l’histoire de Gretchen Carlson. Pro-Trump, présentatrice star au franc-parler et chosifiée de Fox News, rien ne destinait la journaliste à devenir un symbole de la lutte contre le harcèlement sexuel. Opportunisme ou réelles convictions ? Analyse d’une affaire qui a fait trembler l’Amérique.
C’est l’histoire d’une femme qui a tout réussi. Les portes du monde du show business et de la célébrité étaient grandes ouvertes. Cheveux blonds, brushing parfait, sourire éclatant, talons hauts, robes colorées cintrées – obligatoire pour les présentatrices –, elle incarne la chaine républicaine à la perfection parmi les autres présentatrices au look parfaitement similaire. Pourtant cette vitrine impeccable cache bien autre chose. Présentatrice phare de Fox News, chaîne américaine ultra-conservatrice ennemie de CNN, Gretchen Carlson est la femme qui a risqué sa carrière en détruisant celle d’un géant. David au féminin contre Goliath.

Le début d’un mouvement
Outre le fait d’avoir été un prodige du violon et couronnée Miss America en 1989, elle est diplômée de l’université de Stanford en comportement organisationnel. A partir de 2006, elle devient une des têtes d’affiches de la chaîne, animant son émission Fox & Friends le matin durant 7 ans, puis reléguée l’après-midi avec l’émission The Real Story with Gretchen Carlson, une décision qui, pour elle, était déjà le signe d’un sabotage. Mais c’est en 2016 qu’elle va incarner un nouveau personnage. Une femme qui n’a pas que le « look », mais aussi l’esprit. Une femme qui représente tout un mouvement contre le harcèlement sexuel et l’objectification des femmes.
Un environnement de travail toxique
« Une femme devrait apprendre à rester à sa place et à fermer sa gueule », « les femmes sont plus heureuses au foyer avec un mari et des enfants », « les hommes devraient pouvoir empêcher les femmes d’avorter en posant leur veto », voilà ce que l’on peut entendre à l’antenne. La chaine considérée la plus fiable par les Américains en 2015 est connue pour ne pas lésiner sur les commentaires sexistes (racistes, homophobes…) autant à l’antenne que dans les coulisses. Ce serait d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles, elle aurait quitté Fox & Friends. Brian Kilmeade, un collègue parmi tant d’autres, lui faisait des remarques sur ses jupes, sur son physique et lui demandait son avis sur les sous-vêtements (« When it comes to bra stories, defer to the babe »). Steve Doocy, partenaire à l’antenne, la considérait plus comme un accessoire qu’une journaliste. Une compilation a été faite sur YouTube de tous ces commentaires rétrogrades et machistes filmés.
L’affaire Roger Ailes
C’est donc en 2016 que l’on apprend que Roger Ailes, président puissant de Fox News depuis 1996, aurait agressé et harcelé sexuellement bon nombre de journalistes de la chaîne dont Gretchen Carlson et Megyn Kelly, autre présentatrice phare. Une collaboratrice de Fox News témoigne sur les méthodes de recrutement du PDG : « Il m’a dit que quand il voulait embaucher une femme, il se demandait s’il la baiserait et si la réponse était positive, alors il l’embaucherait pour être présentatrice ». Il examine aussi leurs fesses et leur pose des questions salaces lors de ces entretiens. Gretchen Carlson porte plainte après s’être fait renvoyer de la chaîne pour avoir refusé une énième fois les avances du PDG. Elle déclare que Roger Ailes lui aurait déjà dit « Je crois que toi et moi aurions dû avoir des rapports sexuels il y a longtemps, ça t’aurait rendue gentille meilleure, et j’aurais été gentil et meilleur aussi ». Refusez ses avances et votre carrière était terminée avant d’avoir commencé.
Etonnant ou pas de la part du président misogyne décédé en 2017, ce qui l’est un peu plus est la réaction de Gretchen Carlson. « Si on avait demandé à des bookmakers de prédire quelle femme célèbre serait la prochaine lanceuse d’alerte sur le sujet du harcèlement sexuel (…), Carlson n’aurait même pas figuré dans la liste tant [elle] s’est moquée du « politiquement correct » au sein de l’une des chaînes les plus conservatrices du pays. », explique Bianca Silva, journaliste du Time qui lui consacre un portrait en 2016. Si elle a participé à ériger Fox News au rang de chaine majeure dans le pays, elle semble aussi être une alliée sincère de la cause féministe. Outre les accusations qu’elle a faites, au cours de sa carrière, elle couvrira des sujets sur les droits des femmes. En 2013, elle passe à l’antenne sans maquillage, une première, et elle soutient la législation des armes à feu dans le pays.

« Je veux retrouver ma voix ! »
Aujourd’hui, elle se bat pour retrouver sa voix. A la suite de ses accusations et du jugement du patron de Fox News, elle doit signer un accord de confidentialité qui lui donne droit à 20 millions de dollars en indemnités. Aussi, Roger Ailes reçoit 40 millions en compensation et démissionne en juillet 2016. Muselée par cet accord, elle ne peut témoigner sur l’affaire. Le personnage de Gretchen Carlson joué par Nicole Kidman dans le film Scandale déclare « Roger disait qu’à la télévision on n’a qu’un rôle à jouer. Plaire au public. Je me fiche de vous plaire, tant que vous me croyez ». Malgré le fait que la résignation de Ailes a pris du temps, elle est heureuse de se sentir cru et écouté. La Fox News lui a même présenté ses excuses. Est-ce donc la véritable Gretchen Carlson que l’on a aujourd’hui ? Ou est-elle toujours en train de jouer un rôle pour redorer son image entachée par Fox News ?
Battre les géants
Malgré cela, la démarche semble sincère. Elle veut porter une loi au Congrès pour empêcher la signature de ces accords de confidentialité dans les cas de harcèlements sexuels avec son organisation Lift Our Voices et son histoire a fait l’objet d’un film, d’une série The Loudest Voice et de documentaires. L’affaire Roger Ailes a lancé un véritable mouvement : des reporters du New York Times ont fait des recherches sur Bill O’Reilly, présentateur de Fox News qui s’avère aussi coupable qu’Ailes, et posant dans la foulée des questions sur Harvey Weinstein. Les langues se délient et les accusations tombent, ne menant toutefois pas toujours à de véritables peines pour les agresseurs. Alors, même si l’on veut et peut reprocher son passé chez les renards, on ne peut nier qu’elle a été la première à risquer sa carrière et parler et elle ne sera certainement pas la dernière. Son histoire montre qu’il est possible de combattre et vaincre ces géants, de pouvoir s’en sortir.
Margaux Chauvineau
Quelques recommandations pour en apprendre plus sur l’affaire :
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