Parmi les journalistes du vingtième siècle, Martha Gellhorn se distingue en tant que reporter de guerre, témoignant de ce que vivent les peuples pendant ces périodes d’incertitude.

Martha Gellhorn est peu connue en Europe. Ou, si elle l’est, c’est souvent comme « femme de », ce qui, pour elle, était pire que l’anonymat. Il est vrai qu’elle fut l’une des quatre épouses d’Ernest Hemingway, tout en étant la seule à l’avoir quitté. Non seulement parce qu’il courtisait beaucoup d’autres femmes. Mais surtout parce Martha Gellhorn était d’une autre trempe : c’était elle qui s’en allait. Elle qui agissait au lieu de subir. On retrouve cette force et cette noblesse de caractère dans ses écrits.
Née en 1908 à Saint-Louis, dans le Missouri, d’un père gynécologue et d’une mère avocate et militante féministe, elle abandonne ses études supérieures pour se lancer dans le journalisme. C’est durant cette période qu’elle couvrira notamment la vie des gens pendant la Grande Dépression, écrits qui seront réunis plus tard dans J’ai vu la misère : Récit d’une Amérique en crise.
Témoin de la guerre
Elle trouvera plus tard un penchant pour le reportage de guerres ; dans son livre Le Monde sur le vif, elle compare le journalisme de terrain à « un simple passeport », qui lui permettait d’obtenir « un siège au premier rang pour le spectacle de l’histoire en cours ». En 1936 elle est envoyée à Madrid pour couvrir la Guerre d’Espagne aux côtés des Républicains espagnols pour le magazine américain Collier’s. Elle raconte dans ses articles comment vivent au quotidien les Madrilènes sous les bombes. C’est pendant ses voyages qu’elle rencontre Ernest Hemingway, journaliste qui avait aussi un goût pour l’aventure. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle est la seule femme à participer au débarquement de Normandie en juin 1944 avec les troupes américaines. Dans ses écrits, journalistiques et romanesques, Gellhorn tient toujours du côté des peuples ; les Espagnols en 1937, les Finlandais lors de la Guerre d’Hiver en 1939. De manière frappante et émouvante, elle raconte le côté parfois oublié de la guerre, celui du peuple qui essaye de survivre pendant les conflits. Elle varie les angles, trouve le mot juste. Cette relation avec les laissés-pour-compte, les victimes du malheur, se double d’un regard critique qu’elle porte bien, sans jamais tomber dans la compassion ou dans le militantisme.
Après la Seconde Guerre mondiale, elle travaille pour le mensuel The Atlantic et couvrira pour eux le procès d’Eichmann en 1961 puis fera un reportage en Allemagne sur le changement d’idéologie du peuple allemand depuis 45. Elle décrit le nazisme comme une conséquence d’un monde qui n’a pas écouté les appels aux dangers. Déjà dans ses reportages qu’elle écrivait depuis l’Italie de 1944 ou l’Amérique centrale des années 80, elle expliquait que le nazisme « prônait l' »épouvante » comme arme de combat, comme moyen de parvenir à la victoire. Le genre humain est encore empoisonné par l’inoculation de cette doctrine, par les crimes commis partout et compensés par d’autres crimes. »
Elle continue de témoigner des violences de la guerre, partant en reportage dans les années 50 durant la Guerre du Viêt Nam, ainsi qu’au Salvador en 1983, toujours du point de vue des peuples. Après cela, elle décide d’arrêter le métier de reporter de guerre, se considérant trop âgée pour continuer.
Quand elle ne pouvait plus aller nager, voyager, écrire, parce qu’elle avait un cancer et n’y voyait plus, elle se suicida en avalant du cyanure le 14 février 1998. Elle avait 89 ans.
Grande romancière, quelques-uns de ses ouvrages sont disponibles en français, notamment « La Guerre de face, « Mes saisons en enfer, cinq voyages cauchemardesques », ainsi que Le monde sur le vif, recueil de ses plus grands textes entre les années 1930 et 1980.
Louis DELMOTTE
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