Victoire pour Lactalis : indiquer l’origine du lait sur l’étiquette n’est plus obligatoire

Le Conseil d’Etat a annulé, ce 11 mars, un décret gouvernemental qui avait imposé l’étiquetage de l’origine du lait, à la demande de Lactalis. Cela concerne également l’utilisation du lait en tant qu’ingrédient dans les produits transformés. Le géant laitier estime que cette disposition est contraire au marché unique et à la libre circulation des marchandises.

Pour appuyer sa demande, la multinationale soutenait que cette obligation était contraire au règlement du 25 octobre 2011 du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires. Interrogée par la plus haute juridiction administrative française, qu’est le Conseil d’Etat, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé le 1er octobre 2020 que, en application de ce règlement, les Etats membres peuvent imposer un tel étiquetage au nom de la protection des consommateurs à deux conditions. Il faut, d’une part, que « la majorité des consommateurs attache une importance significative à cette information », et d’autre part qu’il existe un « lien avéré entre certaines propriétés d’une denrée alimentaire et son origine ou sa provenance ». « ces deux conditions, qui sont distinctes, doivent être remplies l’une et l’autre ». La première condition est remplie, l’administration française a justifiée l’obligation d’étiquetage « par l’importance que la majorité des consommateurs attachent, d’après des sondages, à l’existence d’une information sur l’origine ou la provenance du lait. ».

C’est la deuxième condition qui pêche, le Conseil d’Etat juge qu’il n’y a pas « objectivement de propriété du lait qui puisse être reliée à son origine géographique. » « Tirant les conséquences de l’arrêt de la CJUE, le Conseil d’Etat juge ainsi que l’obligation sous peine de sanctions de l’étiquetage de l’origine du lait est illégale ». Résultat des courses, les fabricants peuvent continuer à indiquer l’origine de leurs produits s’ils le souhaitent mais n’y sont plus contraints. Alors que l’Etat français, lui, est condamné à verser 6 000€ au groupe Lactalis pour le dédommager de ses frais d’avocats.

Pour Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne : « Ce n’est pas étonnant que Lactalis se soit tourné vers l’Union européenne pour maintenir sa logique de concurrence et de baisse des prix. C’est une décision favorable à ceux qui exportent mais pas à ceux qui privilégient la relocalisation et la montée en gamme. »

Pourquoi avoir promulgué ce décret ?

En février 2016, la France est soulevée par une grogne paysanne. Pris à la gorge par la chute du prix du lait, les producteurs français demandaient de l’aide auprès de la Commission européenne et espéraient des réponses rapides du gouvernement.

Image tirée de cet article (2016) : https://www.europe1.fr/economie/combien-les-agriculteurs-gagnent-ils-sur-une-bouteille-de-lait-2829988

Nous pouvons observer sur cette image que sur 1 litre de lait, l’éleveur perçoit 27 centimes. Le syndicat agricole Coordination Rurale, Agriculteurs Responsables estime que « pour une rémunération juste et en adéquation avec les coûts de production il faudrait que les éleveurs soient payés 0.45€/litre ».

Cette chute inexorable s’explique par deux facteurs :

  • Disparition des quotas (1er avril 2015)
  • Baisse de la demande mondiale

Pour répondre au désespoir des producteurs laitiers, Stéphane Le Foll, alors ministre de l’Agriculture, décide de porter à Bruxelles des mesures destinées à soutenir les prix du lait français. Le 16 août 2016, la France lance une expérimentation demandant aux producteurs et aux industriels d’indiquer l’origine des viandes dans les plats préparés, du lait dans les bouteilles et briques de lait et du lait dans les produits laitiers.

« La Commission européenne s’exprime en faveur de ces mesures et accorde une autorisation dérogatoire à la France pour l’étiquetage obligatoire de l’origine du lait dans les produits transformés. Le ministre souhaite par cet étiquetage augmenter l’achat de la production française de lait, tout en limitant la production. » détail La Croix (juillet 2016)

« Il s’agit là d’une opportunité majeure pour faire reconnaître la qualité des produits (…) français et d’une avancée concrète pour une meilleure information du consommateur qui bénéficiera ainsi d’une information équivalente à celle déjà obligatoire pour les viandes fraîches, les fruits et légumes frais ou encore le miel » se félicitait le ministère de l’Agriculture fin 2016. Le décret a été mis en place le 1er janvier 2017 pour deux ans. Il était même question que cette règle soit « suivie par la Commission européenne en vue d’une éventuelle généralisation à l’UE », affirmait le site du ministère de l’Agriculture.

Après les deux premières années d’expérimentation le décret a été prolongé fin 2018 jusqu’au 31 décembre 2021. Non sans le mécontentement du groupe Lactalis qui a tout de suite réagi : « Cet étiquetage du lait est, selon lui, un casse-tête. Il demande au Conseil d’Etat son annulation pour « excès de pouvoir ». Ce décret serait, entre autres, selon lui, contraire au code de la consommation voté par le parlement européen. » écrit Ouest France dans un article parut en juin 2018.

Lactalis a eu gain de cause alors même que la Commission européenne s’est exprimé en faveur de ce décret en 2016, ce dernier ayant passé tous les organes de contrôles avant d’être promulguer le 1er janvier 2017. Il a également été prolongé en 2018… Etonnant.

Lloyd Lefebvre