Au XIXe siècle, la journaliste Nellie Bly réalise les premiers reportages clandestins. Elle n’hésite pas à infiltrer des usines et même un asile de fou pour ses enquêtes. Son parcours hors norme en fait une figure majeure du journalisme d’investigation, et des droits des femmes.
« Le 22 septembre 1887, le World me donna pour mission de me faire interner dans un asile de fou de New York. »
Ainsi débute le rapport de Nellie Bly sur le premier reportage clandestin. Cette journaliste américaine est une pionnière dans le domaine de l’infiltration. Ses enquêtes lui ont valu une entrée dans la postérité, ainsi qu’une technique journalistique à son nom. La « Méthode Nellie Bly » est celle de l’exploration d’un milieu de l’intérieur. Un type d’enquête qui nécessite autant d’audace que d’ingéniosité. Mais ce sont deux particularités qui n’ont jamais fait défaut à cette grande reporter. Dès sa jeunesse, Nellie Bly a entrepris de pousser les portes et de braver les apparences.
Née Elizabeth Jane Cochrane en 1864, elle est issue d’un milieu modeste. Dès l’âge de seize ans, elle cherche du travail, se refusant à l’avenir de gouvernante qui semble tracé pour elle. Un jour, un exemplaire du Pittsburg Dispatch lui tombe entre les mains, et après lecture, lui tombe des mains ! « Ce à quoi sont bonnes les jeunes filles » : un article qui soutient qu’une fille qui travaille est une monstruosité. Furieuse, Elizabeth Jane Cochrane prend la plume et rédige une réponse cinglante au rédacteur en chef du journal : « Rassemblez les filles intelligentes. Sortez-les de la bourbe. Aidez-les à grimper l’échelle de la vie et soyez-en amplement récompensés. »

Impressionné, George Madden l’accepte dans son équipe. La jeune femme adopte alors Nellie Bly comme nom de plume.
En 1880, elle entame son premier reportage sur les fabriques de conserve. Photographies à l’appui, elle expose les conditions de travail éprouvantes et dangereuses. Elle se fait également embaucher dans une tréfilerie, un usine travaillant le métal, pour ensuite en dénoncer le quotidien des ouvriers.
Des révélations qui font exploser les ventes du journal… mais lui valent également d’être reléguée aux rubriques culturelles, suite aux pressions des industriels.
Mais pas question de renoncer en si bon chemin pour la reporter ! Elle entreprend un voyage au Mexique en 1886, l’occasion pour elle de décrire le pays, ainsi que la corruption qui ronge les politiques. Encore une fois, ses révélations ne sont pas au goût de tout le monde, et elle est expulsée du pays. Néanmoins, son ouvrage Six mois au Mexique est publié en 1888 aux États-Unis.

Mais c’est en 1887 qu’elle se lance dans l’enquête phare de sa carrière. A la demande de son employeur, Nellie Bly entreprend d’infiltrer un asile pour fous. Après une nuit à s’entraîner à faire des grimaces, elle parvient à se faire interner, avec une facilité terrifiante. Durant dix jours, elle vit le quotidien des patientes du Blackwells Island Hopital. « Dans mon esprit, si je réussissais à franchir les portes de l’asile, ce serait pour vivre la paisible routine d’un hôpital psychiatrique. »
Que nenni : elle découvre l’enfer. Comme les autres femmes, elle subit de nombreuses maltraitances du corps médical. « Dès mon entrée dans l’asile de l’île, je me suis départi de mon rôle de démente. Je parlais et me comportais en tout point comme d’ordinaire. Mais chose étrange, plus je parlais et me comportais normalement, plus les médecins étaient convaincus de ma folie. » Manque de nourriture, hygiène déplorable, violence physique et psychologique, l’hôpital n’est en rien un lieu de convalescence. « Mise à part la torture, quel autre traitement vous conduirait plus vite à la folie ? » A sa sortie, elle publie Dix jours dans un asile, signant le premier grand reportage du genre. C’est un véritable séisme : de nombreux fonds sont alors alloués par la ville de New York, et une réforme des asiles s’opère.

Nellie Bly enchaîne avec un nouveau défi : battre le record fictif de Phileas Fogg. Né sous la plume de Jules Verne, ce gentleman explore le globe dans Le tour du monde en quatre-vingt jours.
Le défi est double, étant donné son sexe.
Un membre de sa rédaction lui objecte : «Mais vous n’y arriverez jamais. Vous êtes une femme, vous aurez besoin d’un protecteur et même si vous voyagez seule, il vous faudrait emporter tant de bagages que cela vous ralentirait. En plus, vous parlez uniquement l’anglais. Rien ne sert de débattre. Seul un homme peut relever ce défi. ».
Mais encore une fois, la journaliste ne recule devant rien pour atteindre son objectif.
Le 14 novembre 1889, elle part à l’aventure avec seulement un bagage et une robe. A chaque étape de son parcours, elle envoie un télégramme. Son aventure est ainsi relatée par le journal comme un feuilleton addictif. Lors d’une escale en France, elle rencontre même Jules Verne, qui lui apporte son soutien. Il doute néanmoins de la possibilité de faire le voyage en soixante-quinze jours, comme elle avait prévu. Mais la journaliste redouble d’efforts et brave tous les obstacles. Elle arrive le 25 janvier 1890 au terme de son périple : 72 jours, 6 heures, 11 minutes et 14 secondes. En plus d’être un record pour son temps, et un succès littéraire, ce voyage est un signe de l’émancipation féminine.
Les nombreux articles et ouvrages de Nellie Bly ont durablement influencé les techniques journalistiques. Sa méthode sera appliquée par de nombreux reporters, comme John Howard Grifin avec « Dans la peau d’un noir », ou Florence Aubenas avec « Le quai de Ouistreham ».
Pauline Defélix
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