Il y a 9 mois, Society pulvérisait ses records de ventes en publiant une première fois une enquête très poussée sur la tuerie de Nantes. Cette réussite témoigne d’une fascination du public pour les affaires de ce style. Fasciation qui est due à de singuliers processus psychologiques et émotionnels.
Le bandeau siglé d’un « exclusif » du Parisien est formel : Xavier Dupont de Ligonnès a été retrouvé en Ecosse, le 11 octobre 2019. Le journal affirme avoir recoupé l’information avec 5 sources plus ou moins proche du dossier. Information que confirme l’AFP par une dépêche. Cette soirée fera date, à coup sûr, dans la grande histoire des faits divers. Puis, c’est l’emballement médiatique. Plusieurs journaux bouclent leur une du lendemain en affirmant que XDDL a été identifié. Les chaînes d’informations en continu diffusent des éditions spéciales toute la nuit. Pourtant, dès le début de soirée, certains émettent des doutes sur la véracité de cette nouvelle. Le lendemain, patatra. La police écossaise annonce que l’homme arrêté n’est pas le fugitif français. Tout le monde s’insurge contre la fiabilité des médias. Tout le monde, sauf quatre personnes, sûrement ivres de joie devant leur télévision. Ces quatre personnes sont journalistes et depuis plus de trois ans, ils mènent une enquête ultra poussée sur l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès pour le magazine Society. Qu’il soit retrouvé aurait sans doute fichu en l’air des années de travail.
Les journalistes prennent conscience qu’un autre rebondissement dans l’affaire pourrait leur être fatal. Ainsi, lors de l’été 2020, leur enquête est publiée sur 77 pages, dans deux numéros distincts. Le succès est complètement fou : 400 000 exemplaires vendus au total, des buralistes en rupture de stock et une édition en livre parue à l’automne. Une série est même à l’étude. Les journalistes Pierre Boisson, Maxime Chamoux, Sylvain Gouverneur et Thibault Raisse, ainsi que le rédacteur en chef Franck Anesse n’en croient pas leurs yeux. Mais d’où vient cet engouement pour ce fait divers ?
Curiosité naturelle du lecteur
D’abord, il y a l’ampleur de l’enquête. Jamais un fait divers n’avait été aussi bien documenté. Les journalistes sont arrivés à des conclusions que même la police n’avait pas trouvées. Emmanuel Teneur, présenté comme une simple connaissance de XDDL, est en réalité son meilleur ami et bien plus que ça encore. Society s’est infiltré dans la vie très privée du présumé meurtrier, allant jusqu’à raconter sa sexualité avec sa femme et ses maîtresses, jouant ainsi avec la curiosité naturelle du lecteur. Le sexe, ça attise le regard. Comme la mort ou la morbidité. Dans cette affaire, Ligonnès aurait – il est toujours présumé innocent – tué de ses propres mains sa femme, ses quatre enfants et son chien, qu’il aurait ensuite enterrés dans son jardin. Ses meilleurs amis, Emmanuel Teneur donc, et Michel Retif, sont rongés par la tristesse et sombrent dans l’alcoolisme et la dépression. L’un meurt d’une crise cardiaque suite à une cirrhose du foie, l’autre se suicide. Niveau morbidité, on a rarement vu mieux.

Identification du lecteur
D’autres facteurs ont amplifié l’intérêt du public. Déjà victime de la mise en scène des médias, l’affaire XDDL était très populaire avant que Society ne s’en empare. En décrivant si précisément la vie de Ligonnès, puis l’enquête qui a suivi les meurtres, les journalistes permettent au lecteur de s’identifier à l’histoire. Cela peut être à un personnage, à un trait de caractère, à un problème particulier… Et j’en passe, tant les journalistes abordent l’affaire sur tous ses angles. Le principal concerné peut très bien être lui aussi la cible de cette identification. Il représente cette part d’ombre que, selon la psychanalyse Freudienne, chaque homme a en soi. Cette partie de nous pulsionnelle que nous canalisons grâce à l’éducation et la socialisation. Le lecteur se fascine pour cette pulsion non contrôlée et se dit qu’il pourrait lui-même perdre le contrôle des siennes.
Accentuer les émotions du public
Il y a dans les faits divers les plus populaires des détails qui jouent avec les émotions du public. Dans l’affaire Grégory, le fait qu’un enfant soit tué dans de telles conditions accentue la tristesse et le dégoût ressenti. Ligonnès, lui, s’évanouit dans la nature du jour au lendemain. Sans laisser aucune trace. Et sans que personne ne sache où il est allé. Les auteurs du livre ne se privent pas pour le rappeler à plusieurs reprises. Sa disparition subite est digne d’un grand thriller. Sa cavale, retranscrite précisément à l’aide de cartes, l’est aussi. Ce point de l’enquête amplifie l’incompréhension du lecteur et peut même susciter son admiration.

Une passion ancienne pas prête de s’estomper
Tous ces points évoqués ont fait de cette histoire un banal sujet de discussion, comparable à la météo. Pourquoi ? Car tous s’accordent sur le caractère ignoble du crime. Exprimer son opinion sur XDDL n’est pas source de conflit car tout le monde a la même. L’affaire est devenue un vecteur de lien social à la machine à café. Ils sont nombreux à être tombés dans le piège curiosité/identification/émotion que tendent les affaires de ce style.
Et l’industrie ne se gêne pas pour exploiter au maximum cette fascination. Deux des dix documentaires les plus vus sur Netflix en France étaient consacrés à un fait divers sordide. Un intérêt immense qui ne date pas d’hier : lors des exécutions publiques, dans le temps, ils étaient nombreux à y assister. Aujourd’hui, c’est grâce au multimédia que les gens consomment leur passion. Aux Etats-Unis, les entreprises de nettoyage de scènes de crime ouvrent des comptes Instagram pour partager leur travail. Les réseaux sociaux commencent à peine à s’y mettre. On est loin d’avoir tout vu.
Mathieu Alfonsi
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