Mal-être des agriculteurs : le Sénat au rapport

Dévoilé mercredi, un rapport sénatorial pointe le manque de prévention pour le suicide des agriculteurs. Pour tenter d’y remédier, les parlementaires, en collaboration avec les exploitants agricoles, proposent 63 nouvelles pistes de réflexions.

Un an. C’est le temps qu’il a fallu aux sénateurs pour réfléchir à comment enrayer ce phénomène. Mercredi, les résidents du Palais du Luxembourg ont rendu un rapport « alarmant » concernant la détresse des agriculteurs . Avec un taux de suicide de 20% supérieur à la moyenne nationale, le secteur va mal. Très mal. Pour tenter d’endiguer ce fléau, qui dure depuis de nombreuses années maintenant, les pouvoirs publics ont, enfin, décidé d’agir. Ce texte, qui complète le rapport remis par Olivier Damaisin, député LREM, remis en décembre dernier, contient 63 recommandations. L’objectif affiché est clair : améliorer la prévention.

Un mal-être généralisé

Le mal-être des agriculteurs est un sujet qui ne date pas d’hier. Selon Santé Publique France, 780 d’entre eux se sont données la mort entre 2007 et 2011. En 2015, pour cette seule et même année, ils étaient 603. Au total, cela représente un peu plus d’un agriculteur par jour qui se suicide. Ce rapport, effarant, dressé par la MSA ( mutualité sociale agricole ), n’en est pas pour le moins étonnant. Soumis a d’innombrables problèmes, le secteur agricole craque. Entre les difficultés financières, la solitude ou la pression familiale, dur de respirer. Pour les soulager, des mesures ont été mises en place par l »Etat. Comme, par exemple, l’aide au répit ( congés ). Plébiscité par les acteurs de la filière agricole, il leur permet de se reposer un tant soit peu. 

Graphique sur le nombre de suicides chez les agriculteurs. Source MSA et Radio France

Par pudeur ou par honte, peu d’entre eux osent parler ce mal-être qui les rongent. Preuve que le sujet est encore tabou. Pour libérer la parole, une idée est envisagée : créer une sentinelle. En d’autre terme, il s’agit d’un référent départemental. Sa mission consisterait à aider l’exploitant dans ses démarches administratives. Souvent englués dans la paperasse administratives, les agriculteurs ne savent pas toujours forcément à qui s’adresser. Ce dispositif, s’il est appliqué, pourrait remédier à ce problème.

Le dialogue comme mesure préventive

Dans ce rapport, les parlementaires préconisent deux types d’action : celles qui ne demandent pas de temps, ni d’argent, et les autres. Pour la première catégorie, rien de bien compliqué. Selon les différents protagonistes , il faut ramener de l’humanité là où il n’y en a plus. Dans une interview accordée au journal Libération, Julien Denormandie, ministre de l’agriculture, déclare  » L’humanité, c’est épauler un agriculteur, seul et en pleine détresse, qui voit partir un matin à l’abattoir son cheptel de bovins touché par la tuberculose. L’humanité, c’est faire en sorte que des institutions financières arrêtent d’envoyer des lettres de recouvrement en recommandé à un agriculteur fragilisé, parfois pour quelques dizaines d’euros. Cela peut être la goutte d’eau de trop. » Pour la seconde catégorie, il faut négocier au plus haut sommet de l’Europe. L’un des premiers combats concerne l’harmonisation des mesures. En effet, sur le territoire européen, il existe trop de disparités entre les pays. Pour les agriculteurs français, cela contribue au développement de la concurrence déloyale. 

Dans cette même interview, le ministre ne se déclare pas favorable à un revenu minimal. Pour lui «  la volonté de chaque agriculteur est de vivre décemment de son travail, d’être rémunéré au juste prix mais pas d’appeler un service social pour demander à bénéficier de minima sociaux… » Une rémunération décanté, voilà le nerf de la guerre. Ils sont des milliers à travailler 70 heures par semaine pour, au final, a peine 500 euros à la fin du mois. Comment nourrir sa famille avec un tel revenu ? Acculé par les dettes, beaucoup d’entre eux ne voient pas d’autres échappatoire que la mort.

Le développement de « l’agribashing »

En plus de ces difficultés financières, les paysans doivent faire face à un nouveau problème : « l’agribashing ». Comprenez : la critique et remise en cause permanente de leur métier. Ce phénomène contribue, lui aussi, au mal-être de la filière. C’est ce que confiait en décembre dernier, Olivier Damaisin, au journal Libération : « Les agriculteurs ont du mal à supporter qu’on leur dise comment travailler. Et c’est l’un des rares métiers où tout le monde donne son avis. On a toujours l’impression que l’«agribashing» est tourné vers la culture intensive, ou l’élevage. Mais ce n’est pas vrai : vous avez des gens qui font du bio, qui font aussi du traitement parce que même en bio il faut traiter, et qui se font agresser »

Reste donc à savoir si ces 63 recommandations seront retenues par le Ministère de l’Agriculture. Réponse dans les prochaines semaines.

Antoine TAILLY