« Over the rainbow » : l’épopée du drapeau arc-en-ciel

De sa création avec huit couleurs par l’activiste Gilbert Baker, à son déploiement à l’international sous la forme qu’on lui connaît aujourd’hui, jusqu’à sa remise en question pour souligner la nécessité d’une plus grande inclusivité des personnes LGBTQ+ racisées, l’histoire du rainbow flag a accompagné des luttes menées par les communautés qu’il vise à représenter.

28 juin 1969, Greenwhich Village à New-York. On y trouve des drag-queens, des prostituées, des homosexuels, des jeunes sans domicile fixe. Réputé infame, peu s’y rendent sauf les descentes de police. Mais fatiguée par la violence de ces derniers, la jeunesse ne va plus accepter cela et décide de se rebeller.

Etalées sur plusieurs jours, les émeutes de Stonewall vont marquer l’histoire des droits pour la communauté LGBTQ+. Le point de départ décisif, marquant un avant et un après. Un an jour pour jour après les émeutes, après de multiples réunions, la première Pride se tient à New-York réunissant plus de 2000 personnes sous le mot d’ordre : « Come out » ! Les années, suivantes, les Pride se multiplient, aux Etats-Unis d’abord, puis en Europe pour gagner la planète entière. La révolution est en route, et ce ne sont que les débuts.

Stonewall Riots, June 28, 1969 (4)
Les émeutes de Stonewall, les prémices d’une lutte. Source : Wikipédia

Symbole d’unité

En 1977, le jeune Harvey Milk ouvre une boutique d’appareils photo à San Fransisco. Il devient également le premier élu superviseur auprès du maire. Il demande à son ami Gilbert Baker, à la fois artiste et drag-queen, de créer un symbole de fierté pour désigner les LGBTQ+. Il a alors cette idée de créer un drapeau, pour un pays sans frontières. Synonyme de rébellion, de révolution, de pouvoir, le drapeau a pour mission de protéger la communauté afin de l’aider à vivre dans la vérité.

Il va s’inspirer de drapeaux existants : l’étendard bouddhiste du Sri Lanka, le wiphala des Amérindiens de Colombie ou le drapeau de la paix italien. Gilbert Baker va opter pour un rectangle de tissu accompagné de huit lignes horizontales, de couleurs différentes. Chacune de ces couleurs est déclinée selon celles de l’arc-en-ciel. Le rose représente le sexe, le rouge symbole de la vie, l’orange la guérison, le jaune pour le soleil, le vert pour la sérénité, le turquoise pour l’art, l’indigo pour l’harmonie et enfin le violet pour l’esprit.  

Malheureusement, Harvey Milk se fait assassiner un soir de novembre 1978. Après des nuits d’émeutes, une marche nocturne est organisée pour protester contre ce meurtre barabre d’un membre de la communauté. En hommage, Baker, fait fabriquer par centaines des Rainbow flags. Paramount Flag Company explique cependant que la couleur rose est en rupture de stock. Le drapeau deviendra un drapeau à 7 couleurs.

Mais il changera de forme une nouvelle fois ; il supprime le turquoise, remplace l’indigo par un bleu royal pour respecter une unité visuelle. Il faut attendre 1994, et la célébration des 25 ans des émeutes de Stonewall pour que le drapeau devienne un symbole universel de la communauté LGBTQ+.

Le drapeau arc-en-ciel en berne | Radio-Canada.ca
Le créateur du drapeau arc-en-ciel Gilbert Baker, à New York, en janvier 2016
Source: Getty Images / Spencer Platt

Gilbert Baker : « À la fin de la Pride, j’ai pris des ciseaux, j’ai commencé à découper le drapeau et à le distribuer aux gens autour, en leur disant : “Vous êtes de Londres, alors ramenez-en un bout chez vous, pareil pour vous qui venez de Cuba ou vous, de Hong Kong.” C’est comme ça que le rainbow est devenu international. »

Il sera décliné en pins, en badge, en autocollants. Il s’affiche sur les vitrines, sur les voitures jusque dans les musées. Et même la Maison Blanche sous la présidence Obama, pour célébrer la légalisation des mariages de même sexe dans le pays.

Symbole qui n’chappe pas à la récupération

Courant 2010, après une utilisation commerciale importante, le drapeau perd sa forme symbolique. On ne connait plus son histoire, son passé, sa signification. Désormais, des marques, au moment des Pride, ne se gênent pas de l’utiliser afin de s’acheter une crédibilité, une image « cool ».

Des entreprises qui se font rappeler à l’ordre par des activistes, qui les interpellent pour savoir où vont les bénéfices, depuis quand elles s’engagent pour la liberté de genre, etc.

Activiste, le créateur Christophe Baily, pour son dernier défilé chez Burberry dénonce l’opportunisme de certains et rappelle son soutien à trois associations. Il rappelle : « Ma dernière collection chez Burberry est dédiée – et en soutien – à quelques-unes des meilleures organisations soutenant la jeunesse LGBTQ+ dans le monde. Il n’a jamais été aussi important de rappeler que notre force et notre créativité résident dans notre diversité. ». En effet, il propose sur le célèbre tartan de la marque anglaise aux couleurs du Rainbow flag. Une prise de position et de parole engagée qui va bouleverser le monde de la mode.

Christopher Bailey Wrapped His Final Burberry Show in LGBTQ Pride
Christopher Bailey pour son dernier défilé chez Burberry. Source : Christophe Thomas

Mais de nouvelles critiques viennent s’ajouter, notamment son manque d’inclusivité. Il existe déjà 22 drapeaux différents étiquetés « Pride », pour couvrir de multiples genres et sexualités.

La ville de Philadelphie en 2017 décidait d’ajouter le noir et la marron sur le drapeau, pour le rendre plus inclusif. « En 1978, l’artiste Gilbert Baker a dessiné le rainbow flag original. Depuis, beaucoup de changements ont eu lieu. Beaucoup de progrès évidemment, mais nous pouvons encore mieux faire. Essentiellement quand il s’agit de reconnaître la place des personnes de couleur au sein de la communauté LGBTQ+. Pour mettre cette discussion importante sur la table, nous avons décidé d’ajouter deux couleurs au drapeau ». Très vite, des critiques et des protestations refusent d’ajouter ces couleurs, rappelant que les premières ne désignent pas la peau des humains.

Daniel Quasar a proposé à son tour une nouvelle version du rainbow flag, avec les six couleurs classiques, des flèches sur le côté déclinaient en 5 teintes différentes  (noir et marron, pour représenter les personnes LGBTQ+ racisées, ainsi que rose, bleu pâle et blanc, soit les trois couleurs du drapeau transgenre), visant à insister sur les progrès qu’il reste à faire en termes d’inclusivité. Un débat d’autant plus nécessaire, depuis l’arrivée du mouvement Black Lives Matter.

Claire Boubert