Lorsqu’il est question de broderie et de Normandie, la première image qui viendrait à l’esprit serait une sorte de vieille dentelle réalisée par une tante séculaire au fond d’une chartreuse qui prend l’eau. Et pourtant. Le pays du camembert détient aussi une toile exceptionnelle, la tapisserie de Bayeux, qui va finalement se refaire une beauté.
Il était plus que temps. La célèbre tapisserie de Bayeux, dite toile de la Conquête, n’avait pas fait l’objet de réparations depuis 1870. Au point que le chef d’oeuvre séculaire, inscrit aux monuments historiques depuis le règne de Louis-Philippe en 1840 puis au registre de la mémoire du monde de l’Unesco en 2007, était même en péril.
Annoncé samedi 27 février, c’est en 2024 que débutera la reprise de cette oeuvre. L’objectif est simple : faire en sorte qu’elle soit achevée pour le musée modernisé qui ouvrira ses portes en 2026. La rénovation, cruciale, est un important enjeux tant économique que culturel : la tapisserie de Bayeux est l’un des chefs-d’oeuvre normands qui attire le plus chaque année, à raison de près de 400.000 visiteurs dont plus de 70% sont étrangers.
L’engouement est d’ailleurs justifié. Faite de lin tissé, elle est un document historique à part entière exceptionnel. Commandée entre 1070 et 1080 par Odon de Bayeux, comte du Kent, elle fait l’étalage de la gloire du beau-frère de son commanditaire, Guillaume le Bâtard, plus connu de son nom hérité de la conquête, Guillaume le Conquérant, duc de Normandie et roi d’Angleterre.
Ode à la puissance de ce dernier, la tapisserie retrace sous forme d’épopée toute l’aventure de la conquête. Sur plus de 68 mètres de longueur et 15 kilos de fils, elle se conclut sur le 14 octobre 1066 qui vit par la bataille d’Hastings le renversement d’Harold.
De ce fait, la gigantesque tapisserie ne fait que l’étalage de la victoire normande sur le peuple saxon, véritable oeuvre d’une propagande royale des années avant le terme. Aussi, elle figure avec le Domesday Book comme le principal témoignage du mode de vie de cette époque.

Il faut dire cependant que la tapisserie a besoin d’un long travail de rénovation. Non moins de huit restaurateurs l’ont examinée à raison d’un mètre par jour par expert pour discerner toutes les faiblesse de la toile. Et le résultat a de quoi être inquiétant. 24 204 taches, 16 445 plis, 9 646 manques dans la toile et 30 déchirures non stabilisées sont ainsi recensées.
De ce fait, le travail à réaliser est évalué à près de deux millions d’euros. Durant une périodes de 18 mois, il devra colmater les déchirures, mener un dépoussiérage profond, limiter les tensions sur la toile et même nettoyer les nombreuses taches de cire reparties un peu partout, témoignage de l’ancien éclairage à la bougie de la cathédrale de Bayeux où elle était exposée jadis.
Appartenant à l’Etat français, la tapisserie fut toutefois réalisée à Cantorbury dans le Kent il y a près de 1000 ans. Double héritage entre deux côtés de la Manche à la manière de Guillaume, duc d’un côté, roi de l’autre, elle est même devenue un objet d’importance géopolitique. L’Angleterre a demandé à plusieurs reprises que la France lui prête la toile, en vain. C’était d’une part en 1953 pour le couronnement d’Elisabeth II, d’autre part en 1966 pour les 900 ans de la bataille d’Hastings.
Et si Emmanuel Macron avait annoncé un prêt éventuel en 2018 dans le cadre d’un échange culturel d’oeuvres entre les deux nations, rien n’avait été fait à cause de la fragilité de la tapisserie.
Peut-être qu’enfin, après la longue restauration qui s’annonce, l’Angleterre obtiendra gain de cause et reverra, au bout de mille années, le retour sur sa terre d’une oeuvre dont l’idée vit le jour un soir d’octobre 1066.
Foucault Barret
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