Du mythe à la réalité, il n’y a parfois qu’un pas. Dans ce cas-là, il y a un gouffre. Béant. Immense. Et dans lequel tout le monde se jette la tête la première. Représenté comme étant palpitant, facile et héroïque, le métier de détective privé est en réalité un travail de l’ombre qui est exercé par quelqu’un de patient, soumis à d’innombrables contraintes et dans l’incertitude de mener à bien sa mission.
Il y a trois jours, le procès pour espionnage d’IKEA France s’est ouvert. Les dirigeants de l’entreprise auraient eu recours à des sociétés de surveillance pour obtenir des informations personnelles sur leurs salariés. Des détectives privés, donc, ont été infiltrés dans les magasins. « Ça ne nous fait vraiment pas une bonne pub. On est tous mis dans le même panier », rouspète Thibault Zandecki, co-gérant de l’agence First Détective et opérant sur le secteur Paris-Lille. Et pour cause : la profession est secrète, très peu médiatisée et victime d’une représentation faussée dans les séries, les livres et les films. Le cadre légal dans lequel les privés exercent est très strict. Thibault Zandecki détaille : « Il y a 15 ans, tout le monde pouvait devenir détective. Depuis, pour éviter les dérives, une section a été créé au ministère de l’Intérieur, le CNAPS (*). On peut être contrôlé à tout moment. » Et ce cadre est très éloigné de l’imaginaire collectif.
Un métier de solitaire
« Absolument pas », rétorque Alexandre Laverze en ricanant lorsqu’on lui demande si le port d’arme est autorisé. Il est détective privé à son compte pour l’Agence Detective Nord. Pour lui, la réalité de la profession n’a rien à voir avec la représentation erronée que les gens se font : « Dans les films, ils font un pur travail de réflexion et d’intuition alors que la plupart du temps, c’est surtout de la surveillance. » Même topo chez son confrère : « Les détectives privés n’attendent jamais très longtemps. Les éléments viennent à eux. Ils arrivent facilement au but et à 100%. » Certes, ce métier est solitaire, mais rien à voir avec les personnages névrosés, alcooliques et dépressifs que les séries servent au public. Alexandre Laverze préfère en rire : « Même si en ce moment, c’est un peu le cas ! »
Pleins de missions différentes
Alors, quel quotidien pour ces professionnels de la surveillance ? Il y a deux types de mission en fonction des clients. Celles issues de demandes de particuliers, allant de l’enquête patrimoniale à la recherche de personnes disparues. Celles qui sont de l’ordre des entreprises, qui peuvent être des enquêtes sur la concurrence déloyale, des fraudes à l’assurance, du détournement de clientèle, remonter une chaîne de contrefaçon ou encore la recherche de la traçabilité d’un bien culturel. Bref, autant de missions variées qui ne font pas spécialement rêver.
« On a exactement les mêmes droits qu’un citoyen lambda »
Le quotidien, c’est de la paperasse administrative et pas mal de terrain. « Une filature à la télé, ça nous fait toujours rire. Ils collent la voiture juste derrière, ils sont à 50 en pleine ville et il n’y a pas de feux rouges, le gars se planque juste en face de la maison… » raille Alexandre Laverze. La réalité d’une filature est toute autre : « Ce sont beaucoup d’heures d’attente, savoir suivre de près ou de loin sans se faire repérer, prendre en compte le trafic sur la route et surtout être constamment concentré sur sa cible » analyse Thibault Zandecki, qui a déjà attendu près de 20 heures dans sa voiture.
Une profession très encadrée
Puis, il y a la manière avec laquelle ils mènent leurs enquêtes. Thibault Zandecki prévient : « On a exactement les mêmes droits qu’un citoyen lambda. » Et ça, peu de monde le sait. Beaucoup de clients ont des demandes bizarroïdes. « Mettre une personne sur écoute, baliser une voiture, pirater un ordinateur ou un portable, on n’a pas le droit » continue-t-il. Les photos sont un sujet très sensible : elles ne peuvent pas être diffusées car les détectives privés sont régis par le secret professionnel, mais elles sont très utiles comme supports de preuves dans les rapports. Quant à délivrer l’adresse d’une personne, cela ne peut se faire sans son consentement.
« Je me suis déjà fait bloquer par une cible et des jeunes de cité. J’avais été démasqué. »
Son confrère de l’Agence Detective Nord ajoute qu’on lui demande « ce qu’on voit dans les films. Notre but est d’administrer une preuve de façon légale. Il ne faut pas utiliser des moyens illégaux. Ce n’est déjà pas facile de faire une filature en respectant le code de la route alors si on nous demande de pirater des comptes Facebook… »
Une obligation de moyen mais pas de résultat
En clair, les détectives sont soumis à d’innombrables contraintes qui ne sont pas décrites dans les œuvres culturelles. Pour mener à bien une mission, il faut donc avoir « un maximum d’éléments provenant du client », précise Thibault Zandecki pour ensuite rédiger « un rapport objectif et détaillé qui va retracer l’enquête comme une histoire afin qu’elle soit lisible pour le juge et le client. » Mais il n’y a parfois rien à prouver. Les soupçons du client ne sont pas toujours avérés. Les privés ont une obligation de moyen, pas de résultat. En revanche, il est parfaitement possible de se faire repérer. « Ça arrive. Dans ces cas-là, on informe juste le client. On n’est pas des agents de la DGSE » s’amuse-t-il. « Je me suis déjà fait bloquer par une cible et des jeunes de cité. J’avais été démasqué. Avant que ça tourne mal, je suis parti, je n’ai pas cherché à comprendre. Le risque zéro n’existe pas… »
(*) Conseil National des Activités Privés de Sécurité
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.