C’est un moment de télévision qui a marqué toute une génération. Daniel Balavoine, chanteur à succès, décide de monter au créneau. Le 19 mars 1980, sur le plateau d’Antenne 2, l’artiste interpelle François Mitterrand, premier secrétaire du Parti Socialiste, sur la détresse de la jeunesse française.
« La jeunesse se désespère ». Voilà comment Daniel Balavoine exprime son désarroi sur le plateau d’Antenne 2. Invité de Daniel Breem et Patrick Lecoq, le chanteur en a marre. Marre qu’on le mette de côté. Encore une fois, on relègue la jeunesse au second plan. Face à lui, se trouve un monument : François Mitterrand. Leader et candidat du Parti Socialiste à l’élection présidentielle de 1981, l’homme politique en impose. Qu’importe, Balavoine ne se dégonfle pas. Loin de là. Blouson en cuir sur le dos et jean bleu, le chanteur à succès n’y va pas de main morte. On sent qu’il a des choses à dire. Alors que l’émission doit bientôt se terminer, il ne s’est toujours pas exprimé. Excédé, il décide de prendre la parole : « Écoutez, ça fait 3/4 d’heures que je suis là et que je m’ennuie à entendre des bêtises ». Le ton est donné. Désespéré de ne pas avoir eu la parole jusqu’ici, il se lâche. Sa colère ne se dirige pas contre « Monsieur Mitterrand » lui- même, mais plutôt contre les présentateurs. Daniel Balavoine se plaint d’être, une nouvelle fois, réduit au silence. Selon lui, cela traduit bien l’importance, ou plutôt l’indifférence, de ces personnes envers l’avenir du pays. Énervé, il décide de quitter le plateau. L’air sérieux, le ton grave, François Mitterrand l’interpelle : « Revenez, et parlez-en tout de suite ». Le chanteur s’exécute.
UN MONOLOGUE ICONIQUE
Pendant près de deux minutes, l’artiste français parle sans discontinuer. Le débit de parole est rapide, mais fluide. Au fil de son intervention, la colère monte. Daniel Balavoine sort de sa réserve naturelle. Il distribue les coups. Pour lui, la jeunesse n’est pas assez écoutée. Lui qui vient d’assister à cette émission, en énumère tous les travers.
« On n’en a rien foutre de George Marchais » dit-il en haussant la voix, en référence aux dix minutes de débat sur l’activité du leader communiste pendant la Seconde Guerre mondiale.
Pour Balavoine, cette séquence traduit les différences abyssales entre ce que veulent les jeunes et ce qu’on leur propose, cette offre politique qui est à des années lumières de leur préoccupations. C’est ce décalage constaté qui est au cœur du problème.
UN CONSTAT ÉCLAIRÉ SUR UNE JEUNESSE DÉSEMPARÉE
Continuant sur sa lancée, l’interprète de « SOS d’un terrien en détresse » lance, lui aussi, son SOS, sa mise en garde. L’artiste livre ici un constat lucide et éclairé sur les maux qui gangrènent cette partie de la population. Évoquant la détresse de cette dernière, il tient des mots très forts : « Le désespoir est mobilisateur, et quand il devient mobilisateur, ça entraîne le terrorisme ». Nous sommes au début des années quatre-vingts et le terrorisme, incarné par la bande à Bader, groupuscule de l’extrême gauche, séduit une partie des jeunes. Les Trente Glorieuses sont terminées, le plein emploi aussi. L’avenir n’est plus aussi radieux qu’avant. Inquiète, la jeunesse cherche des réponses là où les politiques n’en ont pas.
Interloqués par ce coup de gueule, les présentateurs laissent faire. La fougue de Daniel Balavoine emporte tout sur son passage. François Mitterrand, quant à lui, écoute. Avec son flegme habituel, le leader socialiste ne bronche pas. Sans doute a t-il compris que, devant ses yeux, était en train de se jouer un grand moment de la télévision.
Suite à cette intervention, le chanteur est propulsé par les médias comme LE porte-parole de la jeunesse. Refusant cette étiquette, Daniel Balavoine se revendique indépendant. Cela ne l’empêchera pas, l’année suivante, de chanter aux meeting du candidat socialiste à l’élection présidentielle.
Antoine Tailly
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