L’eSport et le défi de la parité entre ses joueurs

On dirait qu’une nouvelle histoire d’harcèlement sexuel, de racisme ou de transphobie sort chaque mois, impliquant membres de l’industrie eSport, allant du joueur jusqu’au développeur. Mais depuis peu, c’est la question des femmes dans l’eSport qui est de nouveau posée sur la table.

En France, d’après le rapport annuel du Syndicat des Éditeurs de Logiciels de Loisirs (SELL), la part des femmes dans le public de jeux vidéo vient d’atteindre les 51%. Pourtant, l’industrie des jeux vidéo et du eSport est en retard en matière d’égalité des sexes.

Sur les 34 streamers les plus suivis sur Twitch, le site Brandwatch ne liste qu’une seule femme. Ce gap se fait encore plus ressentir dans la sphère eSport ; d’après le rapport du SELL, sur les 1,6 millions de compétiteurs en France, seulement 6% d’entre elles sont des femmes. Mise à part les compétitions individuelles (notamment les jeux de combats), qui montrent une meilleure mixité, il existe peu d’équipes féminines voire mixtes. Les organisations prennent le sujet à cœur, comme Team Solomid qui a récemment recruté, pour son arrivée sur le jeu Valorant, une équipe 100% féminine. Malheureusement, ces équipes sont souvent vues comme des « expériences » ou des « tests ». Vaevictis eSports avait formé en 2019 une équipe entièrement féminine de League of Legends pour la ligue d’Europe de l’Est de ce jeu. L’organisation, qui voulait à la base vendre leur place dans la compétition, ne voyait en l’équipe qu’un simple coup de pub, alors qu’elles n’avaient remporté aucun match durant leur parcours.

Le fléau du harcèlement

Que ce soit en tant que streamer, joueur ou encore développeur, les femmes font encore face au harcèlement, en ligne et dans le milieu professionnel. Le studio Riot Games est connu pour ses nombreuses affaires d’harcèlement sexuel et de sexisme. Deux femmes ont porté plainte contre le studio en 2018, racontant qu’elles étaient soumises quotidiennement à des remarques sexistes. Après avoir trouvé un accord, Riot Games a donné 10 millions de dollars en 2019 aux femmes qui ont travaillé chez eux durant les 5 dernières années.

L’année dernière, plus de 70 personnes travaillant dans l’eSport ont été accusés d’harcèlement sexuel. L’affaire était d’une telle ampleur que des médias traditionnels comme le New York Times ont parlé de ce mouvement. Les médias commencent à reprendre ces affaires, qui peuvent connaître d’affreuses conclusions.

Fin février, Ingrid Oliveira « Sol » Bueno da Silva, joueuse professionnelle brésilienne de Call of Duty Mobile, fut sauvagement assassinée par un autre joueur pro de CoD Mobile, Guilherme Alves « Flashlight » Costa. Selon les autorités, il n’a montré aucun remord pour son geste. Il aurait même partagé des images de la victime. Si le meurtre reste un cas isolé, cette affaire a relancé la question de l’inclusivité dans l’eSport, et les mesures nécessaires pour promouvoir un environnement compétitif juste et plus sécurisé ?

Des avocates se sont penché sur le sujet (article en anglais). Pour elles, il est nécessaire d’avoir un moyen de signaler ces harcèlements, pour aider les survivants à s’exprimer, hors des réseaux sociaux et de la peur de ne pas être pris au sérieux :

« Pour encourager les survivants à signaler, les organisations doivent mettre en place des lignes d’assistance téléphonique et Internet disponibles 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Elles doivent également rappeler aux survivants, ainsi qu’aux témoins, que l’organisation encourage le signalement de tels incidents et que personne ne fera l’objet de représailles pour avoir signalé ce qu’il a vécu ou ce dont il a été témoin. L’été dernier, l’organisateur d’un événement « Smash » (Super Smash Bros.), House of 3000, a mis en place une ligne d’information avec une option de signalement anonyme des mauvais comportements. »

Encore aujourd’hui, après le mouvement « Speaking Out » sur Twitter, beaucoup de joueurs et de personnalités haut-placés dans l’eSport, comme Jay « Sinatraa » Won, sont encore accusés aujourd’hui d’harcèlement sexuel. Comment est-il possible d’aimer une industrie qui reste en proie à ces mauvaises conduites ? Parce que l’eSport permet la mixité ; il n’y a pas de divisions masculines ou féminines, les joueurs sont embauchés comme des joueurs, et ça s’arrête-là. Des avancées ont été faites ces dernières années, mais il y a encore du chemin à faire. C’est justement en soutenant la libération de la parole et en ouvrant le débat que la situation s’améliorera davantage.

Louis DELMOTTE