Sur les médias, les princesses d’Angleterre règnent sans partage

Victoria, Elisabeth Ire, Marie Stuart… autant de grands noms d’Outre-Manche qui ne sont que des noms de femme. Héritière de cette vaste tradition, la reine Elisabeth II est aussi devenue une figure majeure de l’Histoire, en étant à la fois tête d’un monde présent et porteuse par sa couronne des joyaux du passé. Pour toujours rester moderne, elle a su recourir aux médias et constamment jouer des progrès. Un savoir-faire unique qu’elle a transmis au reste des dames de la famille Windsor.

Tout commence en 1932. Georges V prononce un discours pour Noël qui, chose singulière, n’est pas déclaré depuis une estrade de bois à la destination d’un happy few. Pour la première fois, il a recours à cet étrange appareil déjà bien connu, la radio. 

Alors que cet essai un peu étrange n’aurait dû être qu’une tentative isolée, les voeux de la Nativité par voie des médias devinrent coutume. L’ensemble du peuple peut enfin entendre dans son plus grand nombre la voix de son monarque. 

La petite-fille du roi ayant troqué son nom de Saxe-Cobourg-Gotha pour celui plus anglais de Windsor comprend toute l’importance du courage et de l’image. Déjà elle avait vu son père souffrant de bégaiements répondre par la radio au tribun moustachu qui déclarait la guerre à l’Europe. Déjà elle avait vu le nouveau discours du 6 juin 1944 annonçant au peuple d’Angleterre la victoire des alliés sur les crimes de l’Allemagne nazie.

La princesse Elisabeth sait donc dès son plus jeune âge que, pour mener un peuple, il est nécessaire que celui-ci sache qui le mène. Aussi, lorsque Georges VI s’éteint, la princesse de 26 ans devenue femme la plus puissante du monde saisit que, par les innovations techniques de la presse, elle pourra renforcer son pouvoir dans une Europe défaite du plus gros de ses monarchies. 

C’est donc tout naturellement qu’elle pense à inviter, en plus de 17.000 convives, la British Broadcasting Corporation, dite BBC, pour filmer son couronnement en grande pompe. Le 2 juin 1953, derrière les 20 caméras disséminées dans l’abbaye de Westminster, le peuple anglais s’invite pour la première fois dans le sacre de son monarque. Plus de 20 millions même, soit près de la moitié de la population nationale.

Armée de ses regalia, entourée par ses pairs en tenue solennelle, la reine Elisabeth II est couronnée selon les règles de la tradition tout en innovant : des millions de personnes assistent pour la première fois grâce à la télévision à l’investiture de leur monarque. Crédits photo : Apimagesblog.com

Ce génie de communication fit croitre la popularité de son institution jusqu’à aujourd’hui sans jamais s’effriter.

Il faut dire que les méthodes ont été reprises de la part des nouvelles figures féminines alliées à la famille. Le 29 juillet 1981, le prince de Galles épouse lady Diana Spencer dans la cathédrale Saint Paul de Londres. Une véritable attraction savamment orchestrée qui réunit grâce à la télévision, couleur cette fois-ci, non moins de 750 millions de spectateurs.

Mais la joie est de courte durée, et le couple bat rapidement de l’aile. Après le souvenir d’une robe de mariée éblouissante, le public assiste à un déchirement. Il n’est plus question de famille royale et d’institution sacrée mais de drame chez les grands dont les ragots, potins et malheurs font le beurre et la recette d’une presse à scandale. La reine Elisabeth sait utiliser la télévision, il est temps que ses enfants découvrent les rouages d’une presse people en pleine effusion. 

Les paparazzis parasitent bientôt les dames couronnées qui ne savent répondre autrement que par la radio ou l’écran. Dépassée, bouleversée, c’est à travers lui et par le biais de la BBC que Diana répond en 1995 au poids du secret. Ce que la famille royale ne dit pas est traqué par les médias, ce que la famille royale dit est analysé, retourné, disséqué, par la critique. Les journaux comme The Sun et Daily Mirror ne font que précipiter la douleur conjugale qui aurait dû rester privée. Aussi, en ayant accéléré un divorce, il se nourrirent de ce dernier.

C’est une machine infernale de lumière et d’ombres qui presse les membres d’une institution à la fois renforcée et affaiblie en étant connue de tous.

En ayant eu recours à la presse, la couronne d’Angleterre a sacralisé sa désacralisation sans poser de limite.

Il faut attendre le terrible accident du 31 août 1997 et toutes ses répercussions pour que la couronne comprenne que son relâchement dans les médias est impossible, que tout flottement est meurtrier.

Le prince Charle étant incapable d’une communication positive, c’est une nouvelle fois à une femme de relever le flambeau de l’image royale. Le 29 avril 2011, Kate Middleton par son mariage avec William, duc de Cambridge, devient le nouvel horizon de ce que doit être et sera la tête de la Grande-Bretagne. Plus de 2 milliards de personnes assistent à cette noce digne d’un conte de fée où la jeune femme devenue princesse aura un jour à assumer le titre de reine d’Angleterre.

Près d’un tiers de l’humanité assista avec engouement au royal wedding de William de Cambridge et de Catherine Middleton, un des événements les plus médiatisés de l’Histoire. Crédits photo : britain-magazine.com

Ainsi, plutôt que d’attirer à eux scandales et désillusions, les Windsor comprennent que leur droit à l’humanité ne leur aliène celui à la beauté : les princesses peuvent encore être des modèles pour les plus jeunes et les tirer vers un idéal.

Et si William est bien l’héritier de la couronne, c’est sa femme qui lui insuffle une popularité singulière dans les médias comme dans le monde. Tandis que les journaux à sensation se cassent désormais les ongles sur leur intimité, le couple s’est armé des nouveaux médias au service de son image. Suivis par plus de 2 millions de personnes sur Twitter, les époux ont su communiquer et créer l’engouement autour de la naissance du royal baby, suivie depuis par une soeur et un frère. Un jeu qui n’est toutefois pas sans méfiance : tout est filtré et maîtrisé afin de conserver le plus possible une once d’intimité.

Toutefois, tandis que jusque-là le public s’était habitué à un duo féminin soutenant la couronne et son image, d’abord par la reine et Diana puis par la reine et Kate, des figures s’y ajoutent parfois au risque de contrarier l’équilibre. Ce n’est guère le cas de Camilla, duchesse de Cornouailles, ni de la princesse royale, mais plutôt de l’épouse du prince Henry.

Dans les faits, Meghan Markle suit le schéma traditionnel de la communication royale dans la presse. Histoire romantique, mariage sur-médiatique et tentative de vie privée pour préserver celle de famille. Cependant, les dissociations récentes tendent à renvoyer à un passé lourd. 

L’interview du couple ducal de Sussex sur CBS a employé la presse non plus au service d’une institution supérieure, mais personnelle. L’entretien diffusé et regardé notamment par plus d’un million de Français n’est ainsi plus en faveur de l’image de la couronne, mais utilisé comme arme personnelle pour mettre en exergue non pas ce qui rassemble mais ce qui distingue.

Un couple qui a renoncé à une partie de ses titres en faveur d’une vie privée utile à mener de vastes entretiens dans la presse. Depuis mars 2021, les médias sont la proie d’une incohérence profonde qui pourrait menacer le système trouvé depuis quelques années. Crédits photos : 20minutes.fr

Une guerre tacite criée au plus grand nombre. Voilà ce que semble être devenue la relation de deux belles-soeurs prête à mener une bataille fratricide entre deux princes désireux de paix. Et puisque l’avancée des deux dames intéresse des millions de personnes, elle ne sera partagée que sur le canal désormais habitué au pouvoir, y compris celui d’une monarchie d’Outre-Manche : la presse. 

Foucault Barret